Jacques CHIFFOLEAU : « Saint Louis, Frédéric Il et les constructions institutionnelles du XIIIe siècle »
S’agissant des deux plus grands souverains du XIIIe siècle, on a pris l’habitude d’opposer un peu trop facilement le saint à l’antéchrist. Mais l’abondance des sources hagiographiques et exemplaires dans le cas de Saint Louis ne doit pas dissimuler l’importance des constructions proprement institutionnelles sous son règne, dont les racines et les moyens sont presque toujours romano-canoniques (quoi qu’en disent les tenants de la thèse d’une « relégation du droit romain » par la monarchie française) et dont on repère ici quelques manifestations évidentes. L’ouvrage de Jacques Le Goff, parce qu’il est centré sur la construction complexe de la personne du roi, individuelle et institutionnelle, et non à proprement parler sur sa « personnalité », n’est pas vraiment une biographie, mais bien un essai d’histoire politique très neuf qui éclaire la genèse de l’État moderne sans se contenter, comme on l’a fait souvent, de proposer une simple « histoire des idées politiques » au milieu du XIIIe siècle.
Jean-Philippe GENET : « Saint Louis : le roi politique »
La lecture du Saint Louis de Jacques Le Goff en liaison avec la problématique de l’Etat moderne conduit à poser une série de questions qui n’ont pas toutes encore trouvé de réponses. Saint Louis est-il un roi moderne, ou un roi féodal ? Si Saint Louis apparaît bien comme un roi de paix, un roi « arbitre », et donc un roi féodal, il peut aussi être considéré comme un roi moderne, un roi de guerre, dans la mesure où il est avant toute chose un roi chrétien et un croisé. Une seconde question est liée au genre littéraire des Miroirs au Prince et à d’autres textes dominicains – dont le De Regimine Principum de Gilles de Rome – qui sont essentiels pour comprendre les fondements de l’idéologie royale médiévale : quelles relations peut-il exister entre ces textes et Saint Louis ? Enfin, qu’en est-il de Saint Louis et de ces grands nobles qui ont tous été à un moment ou à un autre ses compagnons ? Sa piété, sa culture, ses attitudes prendraient peut-être un tout autre relief Si ce groupe social pouvait être mieux dessiné : les parallélismes avec un Simon de Montfort sont par exemple particulièrement frappants.
Chiara FRUGONI : « Saint Louis et saint François »
En offrant une série d’exemples convergents, cet article examine les rapports entre la figure de saint François et celle de Saint Louis, considérés du point de vue de leurs biographes respectifs. Les biographes de Saint Louis ont manifestement surtout retenu l’image de saint François dessinée et réinventée par saint Bonaventure, qui a fortement souligné l’identification de François au Christ humain et souffrant sur la croix dans les écrits de François, en revanche, on perçoit clairement comment l’identification du saint se fait avec l’image bienveillante de Dieu le Père.
Odile REDON : « Le père du bienheureux : Bonatacca Tacche, conseiller siennois et podestat impérial »
Bonatacca Tacche (ca 1200-I 267) était le père du bienheureux Ambroise Sansedoni, de l’Ordre des Prêcheurs leur famille s’adonnait à la banque. Sa carrière illustre une manière de vie politique, dans le contexte d’une commune souveraine, en Italie au XIIIe siècle. Miles/chevalier, il participa peut-être à la 5e croisade vers 1220 ; souvent ensuite il conduisit les armées siennoises et il contribua au gouvernement de la commune en siégeant au Conseil. Plusieurs fois l’empereur Frédéric Il le désigna comme podestat (gibelin) dans d’autres villes d’Italie. De sa vie privée on ne saisit que des bribes grâce à la Vita de son fils ; son individualité reste inconnue.
Jean-Philippe GENET : « Simon de Montfort : baron ou homme politique ? »
L’article présente la biographie que John Maddicott a consacrée à Simon de Montfort en 1994. La carrière de ce cadet d’une grande famille française se déroule sur de multiples théâtres (Terre Sainte, Gascogne), mais il s’est enraciné en Angleterre, où il dispose d’un complexe de terres et de rentes. Les bases de cette fortune sont cependant fragiles, et Simon n’aura de cesse d’essayer de les consolider et d’accroître ses biens. L’opiniâtreté dont il fait preuve dans ce domaine contraste avec son engagement de croisé et sa piété, imprégnée de l’idéal franciscain, qui le rapproche de Saint Louis. Sa stature militaire et religieuse explique sans doute qu’il soit l’un des chefs du mouvement réformateur dès 1258. Avec la guerre civile, il apparaît comme le leader incontestable d’un mouvement qui repose sur la défense de véritables principes politiques, soutenu par une partie de l’élite. Cependant il poursuit toujours une course effrénée à l’acquisition de terres et de richesses. Sa défaite militaire est logique, et c’est le Lord Edward qui saura tirer les profits de cette première expérience « politique » (au sens moderne) dans un monde encore féodal.
Patrick BOUCHERON : « Saint Louis, comédien et martyr : l’écriture d’une vie »
On propose ici une analyse de la structure narrative du Saint Louis de Jacques Le Goff, de ses « trois drames » dont la succession (le troisième recomposant ce que le deuxième avait démonté du premier) crée l’effet de lecture. Celui-ci est, en particulier, animé par le retour des mêmes histoires, parfois des mêmes textes, sur lesquels l’historien exerce sa critique, patiemment et modestement, nous délivrant au passage une leçon de méthode. Peut-on lire un livre d’histoire comme un roman ? C’est la question que cet essai tente de poser, en même temps qu’il revient sur l’ambiguïté de son « personnage », Saint Louis qui fut peut-être, comme le Genet de Sartre, comédien et martyr.
William Chester JORDAN : « “Amen !” Cinq fois “Amen !”. Les chansons de la croisade égyptienne de Saint Louis, une source négligée d’opinion royaliste »
Trois chansons anonymes, dont la composition est contemporaine de la première croisade de Louis IX, apportent de précieux renseignements sur les sentiments royalistes à la veille de l’expédition égyptienne et après son échec en 1250. La connaissance de ces sentiments permet à l’historien de mieux comprendre l’idéologie royale au XIIIe siècle, et l’étude du cadre musical d’une des chansons aide de façon significative à apprécier l’impact qu’a eu l’échec de la croisade sur la personnalité et sur le gouvernement de Louis IX.
Vincent CHALLET : « La Révolte des Tuchins : banditisme social ou sociabilité villageoise ? »
Prenant le contre-pied de l’historiographie traditionnelle qui ne voit dans la révolte des Tuchins qu’un mouvement d’asociaux et de marginaux, cet article tente de montrer la parfaite intégration des Tuchins à la société languedocienne. A partir de l’exemple de Bagnols-Sur-Cèze, on s’aperçoit que le Tuchinat, très actif en Languedoc de 1380 à 1384, s’organise autour de réseaux de sociabilité tant urbains que ruraux puisque le recrutement se fait à la fois dans des communautés villageoises et les faubourgs des villes. Réaction de défense de la part d’individus et de communautés en lutte pour leur survie à la fois contre les ravages des routiers et les prélèvements fiscaux, la révolte des Tuchins n’est sans doute qu’une forme extrême de sociabilité.
Didier LETT : « Les lieux périlleux de l’enfance d’après quelques récits de miracles des XIIe-XIIIe siècles »
À partir de récits de miracles datant des XIIe et XIIIe siècles, on peut observer les espaces où vivent les enfants, particulièrement leurs lieux d’accident. Ces derniers se modifient nettement en fonction de l’âge de l’enfant. En effet, Si les nourrissons connaissent des accidents essentiellement à domicile (noyade ou suffocation), ceux qui sont âgés de trois à sept ans subissent des périls (très souvent liés aux jeux pour les garçons et à l’imitation des gestes maternels pour les petites filles) qui prennent place dans un espace péridomestique. Enfin, les enfants ayant dépassé l’âge de sept ans sont accidentés loin du domicile, de plus en plus loin à mesure que l’enfant et les garçons bien plus que les filles qui demeurent plus sédentaires. À travers l’étude des lieux et des types d’accident, on peut arriver à cerner les espaces de vie des premiers âges au cours du Moyen Âge classique.
Philippe MAURICE : « Le milieu social et familial des forgerons du Gévaudan à la fin du Moyen Âge »
Les forgerons, souvent constitués en dynasties, se situent à l’intersection de deux couches de la société : celle des artisans, à laquelle ils appartiennent, et celle des négociants aisés. Par leurs alliances matrimoniales, ils tissent des liens avec les marchands et les officiers, sans rompre toutefois avec les autres catégories d’artisans moins favorisés. Malgré la modestie de leur condition, par rapport aux riches bourgeois des oligarchies régionales, l’honorabilité dont ils jouissent leur permet de s’associer aux pouvoirs locaux, grâce à la présence de fils placés au sein de l’Église et grâce à leur participation à l’administration des baiIliages et des communautés d’habitants.