Patrick BELLIER : « Variations dans la structure de la phrase »
Parler de syntaxe diachronique est un paradoxe dans un cadre où la syntaxe est inerte. On ne peut qu’étudier ses interactions avec son environnement lexical et morphologique. L’ancien français est caractérisé entre autres par son caractère V2 et par l’effacement du sujet pronominal dans les contextes d’inversion. Pour comprendre le passage au français moderne, on ne peut sans doute pas faire l’économie d’un détour par la phonologie (l’accent de mot), la morphologie (les valeurs des formes verbales) et la pragmatique discursive (topique et focus).
Paul HIRSCHBÜHLER et Marie LABELLE : « La position des clitiques par rapport au verbe à l’impératif dans l’évolution du français »
Après avoir passé en revue l’évolution de la position des clitiques objets par rapport au verbe conjugué dans l’histoire du français, en particulier dans les impératives, nous étudions les développements les plus récents du français pour les impératives négatives sans ne, ce qui nous permet de mettre en évidence des contrastes qui n’avaient jamais été notés jusqu’ici. L’article propose une analyse de la linéarisation des clitiques par rapport au verbe qui repose en partie sur des propriétés lexicales de ceux-ci. Les changements dans la position des clitiques sont attribués pour une part à des changements dans leurs propriétés lexicales, pour une autre à des changements syntaxiques indépendants.
Pierre JALENQUES : « Quand la diachronie renvoie à la synchronie : étude des emplois idiomatiques du préfixe RE en français (renier, remarquer, regarder, etc.) »
Cet article s’intéresse aux verbes du français dont la forme préfixale est morphologiquement identifiable au préfixe RE, mais dont le sens n’est pas intuitivement perçu comme compositionnel par rapport au sens de RE et à celui de la base (tels que renier, remarquer, regarder). Cette “non-compositionnalité” apparente, en français contemporain, est généralement expliquée comme le résultat d’une évolution diachronique.
Dans un premier temps, nous montrons que l’explication diachronique traditionnelle postulant une “usure” du sens de RE à partir d’un sens originel d’itération ne tient pas. Dans un deuxième temps, nous montrons que le principe même d’une explication diachronique de l’opacité sémantique de ces verbes ne tient pas. Dans un troisième temps, nous esquissons une explication synchronique de cette opacité sémantique.
Yves Charles MORIN : « La troncation des radicaux verbaux en français depuis le Moyen Âge »
Les verbes du français moderne dont les infinitifs se terminent par -ir, -oir ou -re font typiquement intervenir deux radicaux, un radical court et un radical long; p. ex. pour battre, les radicaux °ba (il bat) et °bat (qu’il batte). Cet article montre que le radical court à la 1sg du présent de l’indicatif s’observe très tôt dans certains dialectes de l’ancien français, bien avant qu’il n’est normalement admis. Deux mécanismes sont impliqués: une analogie traditionnelle sur le modèle de devoir pour les verbes du type recevoir, fondée sur l’identité phonique des terminaisons, et une généralisation à la pause de la forme de sandhi devant consonne, qui affecte d’abord les verbes dont les radicaux se terminent par plusieurs consonnes, comme pendre ou garder. Enfin, une autre analogie rend compte de ce qui constitue probablement la première forme de liaison du français: l’apparition d’un [z] après les formes du 1sg du présent de l’indicatif devant un mot à initiale vocalique, comme dans je ri z-et pleure. Dans de nombreux usages, ce [z] de liaison n’avait pas de contrepartie sourde à la pause; ainsi (je) ri se prononçait [ri], contrairement à (tu) ris qui se disait [ris].
Tobias SCHEER et Philippe SÉGÉRAL : « Les séquences Consonne + yod en gallo-roman »
Dans un cadre syllabique “CVCV”, une séquence Cj issue de la consonification de i / e brefs latins en hiatus est une séquence hétérosyllabique, de type “Coda-Attaque”. Ceci implique que j est en position forte (“appuyée”) et C en position faible (Coda syllabique). L’évolution en gallo-roman des séquences [labiale + j] confirme l’analyse: yod se renforce en position forte (> dJ) et la labiale s’affaiblit en position faible (> ø). Partant de ce cas, nous montrons qu’il en va de même pour tous les groupes Cj. Le renforcement de yod revêt deux formes différentes: la fortition (affrication en dJ), et la gémination de yod. (Les séquences t + i / e en hiatus appartiennent à une phénoménologie différente.) La substance phonétique apparaît ainsi comme secondaire (non causale) dans les “palatalisations”. Ces “palatalisations” impliquant yod sont, fondamentalement, la manifestation d’un processus positionnel.
Ilan HAZOUT : « Le contrôle d’argument et la notion sémantique de But »
Le DP ha-mexonit “la voiture” dans (i) est interprété comme l’objet du nom dérivé tikun “réparation” enchassé dans le PP qui suit.
(1) Dan hiS’ir et ha-mexonit [le- tikun
Dan laissa Acc la voiture pour réparation
Dan laissa la voiture pour réparation.
Nous faisons l’hypothèse que cette relation de dépendance référentielle est un phénomène d’interprétation sémantique n’ayant aucune relation correspondante de dépendance syntaxique. Notre proposition principale concerne le contenu sémantique de la préposition le “pour”, la tête du PP, qui est associé avec la notion sémantique de but. Ce PP, ayant comme complément de le “pour” un NP qui dénote un événement, est un prédicat sémantique. Une relation de dépendance référentielle entre un argument du nom dérivé et le sujet de ce prédicat est dérivée par l’intermédiaire du contenu sémantique de le “pour”.