Vincent Goosaert
La gestion des temples chinois au XIXème siècle : droit coutumier ou laisser-faire
Les temples chinois à la fin de l’époque impériale jouent un rôle social et économique très important, et pourtant les lois ne comportent que très peu de disposition à leur sujet. Seraient-ils alors gérés selon d’autres règles, à savoir un droit coutumier ? Les sources épigraphiques à notre disposition permettent d’aborder cette question au travers des règlements que se donnent certaines communautés de temples, ainsi qu’au travers de conflits et litiges ayant donné lieu à un arrêté par un magistrat, gravé sur pierre. Ces divers documents éclairent notamment les rapports entre les chefs de la communauté et les religieux employés par le temple, et les problèmes liés à la propriété et à l’usage de l’espace du temple et de ses biens fonciers. En conclusion, il apparaît que l’on ne peut parler de droit coutumier dans la mesure où, même si certains principes fondamentaux de la gestion des temples sont reconnus partout, y compris par la loi, pour le reste, chaque temple veille jalousement à son indépendance. Les chefs de communautés ne sont pas prêts à se laisser contraindre par des rèles extérieures, qu’elles soient administratives ou coutumières, et les décisions de gestion se font en réalité sur un mode négocié, en fonction de rapports de force propre à chaque situation.
Jean-Michel BUTEL
Réguler la coutume par la coutume. Règles matrimoniales et divinité marieuse du Grand sanctuaire d’Izumo (Japon)
Au carrefour entre règles fondatrices de l’organisation sociale et stratégies familiales, les coutumes matrimoniales semblent laisser peu de place à l’expression d’un désir individuel. Il existe pourtant au Japon certains lieux qui pemettent de réguler le conflit entre la norme sociale qu’exprime la coutume et le désir individuel, plus particulièrement amoureux. A tavers l‘analyse du culte rendu à la divinité marieuse du Grand sanctuaire d’Izumo, des plaquettes votives (ema) qui lui sont adressés et des textes anciens qui s’y rapportent, l’auteur décrit les moyens coutumiers dont s’est doté le Japon en train de se constituer comme unité culturelle pour justifier des comportements qui outrepasseraient les coutumes matrimoniales locales.
Elisabeth ALLES
Quelles normes pour les chinoix musulmans (Hui) ?
Lois étatiques, usages locaux ou règles musulmanes, trois références auxquelles se voient confrontés les Chinois musulmans (Hui). A la lumière de deux exemples pris dans le domaine de la parenté et de la cérémonie de mariage, l’article examine le jeu possible des adaptations. Globalement la manière dont les Hui intègrent dans la vie sociale cet ensemble de règles n’est pas différente de celle des Han, hormis l’aspect strictement religieux. Elle correspond bien à leur dispersion et leurs ancrages sur tout le territoire chinois, où loi de l’Etat et usages locaux ont souvent la prééminence vis-à-vis des règles islamiques.
Béatrice DAVID
L’action de l’Etat chinois contre les “mauvaises coutumes” matrimoniales. La natolocalité chez ls Zheyuanren du Guangxi
Certaines pratiques matrimoniales observées dans le sud de la Chine ont été sigmatisées comme des “moeurs immorales” par l’administration impériale parce qu’elles contrevenaient à la règle confucéenne proscrivant les relations sexuelles hors mariage. Recourant à la catégorie nouvelle des “mauvaises coutumes” (lousu), l’Etat moderne, dans ses versions nationaliste et communiste, a perpétué sous une forme nouvelle le discours et l’action de l’Etat impérial contre ces usages locaux. Cette étude met en relief, à travers l’examen des pratiques natolocales des Zheyuanren, une population han du Guangxi, la dimension normative de ces “mauvaises coutumes” auxquelles l’Etat chinois a constamment dénié toute légitimité rituelle, sociale et symbolique. On montre ensuite l’action “réformatrice” de l’Etat impérial contre ces “mauvaises coutumes” et son intensification au cours des campagnes de répression menées au nom de la modernité sous la République, dans la première moitié du XXème siècle, puis au nom de la morale communiste sous le régime maoïste.
Sucheta MAZUMDAR
Droits sur les gens, droits sur la terre : de la propriété coutumière en Chine à la fin de l’empire
Cet article examine comment le terme juridique de “propriété” usité pour les contrats et autres actes doit être compris dans la Chine du XVIIIème siècle. Comme la “propriété” est plutôt un ensemble de relations ou de “droits” entre personnes qu’un objet matériel, l’existence de contrat sur les terres ne saurait être prise au pied de la lettre. Plutôt que les instruments d’une société de marché, ces contrats étaient des mailles des réseaux de réciprocité et de redistribution propres à une société rurale. L’auteur établit une comparaison entre ces droits sur les terres, et un autre enre de propriété : les droits sur les hommes de statut servile. Ces questions sont étudiées dans deux contextes bien différents : le delta du Guangdong sur la côté méridionale, où dominaient les petits propriéaires pratiquant une agriculture commercialisée très intensive, et l’Anhui, province intérieure de la Chine centrale, où la commercialisation concernait des grandes exploitations cultivées pr des esclaves.
Eric SEIZELET
Contra legam ou Para lgem ? La coutume de l’union matrimoniale de fait en droit civil japonais avant 1945
Le persistance de l’union matrimoniale de fait (naïen), en dépit des dispositions impératives du code civil de 1898 stipulant les conditions d’ordre public à la validité du mariage, ne conduit pas seulement à s’interroger sur l’adéquation du droit à des pratiques matrimoniales populaires héritées de l’époque d’Edo. Elle doit être également replacée dans le cadre du débat administratif; doctrinal et judiciaire autour de la définition même du mariage et du rôle assigné à la coutume comme source de droit positif initié dans les premières années de l’ère Meiji, à une époque où la redéfinition des statuts sociaux amène à repenser l’institution du mariage. La reconnaisance finalement partielle de l’union matrimoniale de fait par les tribunaux en tant que promesse de mariage témoigne du rôle créateur de la jurisprudence nippone. Cette jurisprudence s’est montrée soucieuse à la fois de réguler des situations de fait créées en partie par les rigidités du nouveau code civil, et de préserver l’espace juridique en consolidant l’entité familiale comme celui de la base de L’Etat impérial.
Jerome BOURGON
Le droit coutumier comme phénomène d’acculturation bureaucratique au Japon et en Chine.
Les notions de “coutume” et de “droit coutumier” ne sont apparues au Japon et en Chine que lors de l’introduction du droit occidental. des juristes japonais formés en Europe ont acclimaté les théories qui faisaient de la coutume la source première du droiten même temps qu’ils créaient les termes modernes désignant ces catégories. Les ci-devant fonctionnaires des fiefs, aidés par les élites locales, rassemblèrent des recueils de coutumes japonaises, qui furent bien vite oubliés lors de la redaction du code civil à l’ère Meiji. L’idée fut toutefois reprise par l’administration coloniale dans les territoires chinois conquis par le Japon, à Taiwan notamment. Elle se transmit aux modernisateurs chinois, qui collectèrent les coutumes locales et les publièrent en complément du code civil républicain de 1930. Certains historiens japonais, leurs disciples chinois et occidentaux déduisirent de tels recueils qu’un droit civil coutumier s’était développé antérieurement et indépendamment de l’introduction des codes occidentaux.
Robert JACOB
La coutume, les moeurs et le rite. Regards croisés sur les catégories occidentales de la norme non écrite.
Dans l’approche des sociétés de l’extrême Orient, le chercheur occidental est déterminé par l’emploi de concepts façonnés par sa propre culture. Loin d’avoir été créées par les sciences humaines et à leur usage, des notions comme “coutume”, “moeurs”, “rite” ont pris structure au fil d’une longue histoire, qui fut avant tout celle d’une pensée juridique. L’auteur tente ici de baliser cette histoire et d’inscrire, sur la trame qu’elle dessine, la regard croisé entre Orient et Occident que suscite la démarche anthropologique.