Introduction
Il fut un temps où les haines nationales, fruit des guerres continuelles, étaient parvenues à un tel degré d’animosité entre la France et l’Angleterre que les archers anglais, en enseignant à leurs enfants à tirer à l’arc, leur disaient : Disce, puer, ferire Gallum : « Apprends, mon fils, à percer un Français ». Nous voudrions leur apprendre au contraire, et apprendre à toutes les nations, à s’aimer et à se servir mutuellement ; à substituer les communications vivifiantes du commerce aux défiances jalouses de la politique, aux fureurs destructives de la guerre ; à s’occuper un peu plus du bonheur, et un peu moins de ce qu’elles ont jusqu’à présent appelé la gloire et l’intérêt. La gloire est d’être juste et sage, l’intérêt est d’être heureux ; la paix seule peut remplir ce double objet (Gaillard 1818 : 5).
Le 24 juin 2016, le Royaume-Uni – ou plus exactement l’Angleterre et le pays de Galles – a voté la sortie de l’Union européenne dans la droite ligne de la doctrine de la « splendide insularité ». Le Brexit rappelle douloureusement l’existence d’une méfiance continue des Anglais envers l’Europe continentale. Pourtant, les liens de l’Angleterre et du continent ont toujours été étroits, malgré de nombreuses guerres, et ont profondément façonné leur histoire. Au Moyen Âge, les dynasties régnantes (Normands, Angevins, Plantagenêt) ont, entre 1154 et 1558, toujours possédé des territoires sur le continent par héritage, mariage ou conquête. Nombre d’entre eux se trouvant dans le royaume de France, cela a nourri des rivalités séculaires entre « Anglais » et « Français ». Encore aujourd’hui, des sentiments anglophobes et francophobes réapparaissent régulièrement, surtout quand il s’agit de rugby…
La « Guerre de Cent ans » est un des épisodes les plus spectaculaires de cette rivalité, d’autant qu’elle s’inscrit dans le développement des États monarchiques et de la naissance d’une forme de sentiment « national » sur fond de transformations socio-économiques et culturelles. Ce petit livre ne prétend en rien à l’exhaustivité – la littérature critique sur la « Guerre de Cent ans » est un puits sans fond. Il a pour objet d’établir une comparaison sur quelques thématiques cruciales, dans la mesure où il n’existe finalement que peu d’études véritablement comparatives – et dans ce cas, elles sont pour l’essentiel anglaises (par exemple Allmand 1989 [1988] ; Vale 2007 ; Green 2015 ; mais voir aussi pour une tentative d’histoire comparée beaucoup plus large, Fletcher, Genet et Watts 2015). La synthèse de référence de Philippe Contamine sur La Guerre au Moyen Âge concerne pour sa part l’ensemble du Moyen Âge (Contamine 2003).
Avant d’en venir à ces comparaisons, une première partie s’attachera, après un chapitre historiographique, à dérouler le fil des principaux événements, nécessaire à la compréhension des transformations liées à la guerre à la fin du Moyen Âge. Dans une deuxième partie sera posée la question de la « modernité » de la guerre de Cent ans, sur le plan des acteurs, des techniques et des stratégies militaires. La troisième partie sera consacrée à l’impact de la guerre sur les sociétés françaises et anglaises, aux niveaux sociaux et économiques mais aussi (et surtout, dans la mesure où je suis spécialiste de ces domaines) politiques et culturels.
J’ai par ailleurs constitué sur le site Ménestrel (www.menestrel.fr), dans la rubrique « Histoire de la guerre » (module « Thèmes et disciplines »), un dossier complémentaire. Il comprend une bibliographie (forcément sélective) assortie de quelques commentaires avec les liens vers les articles en libre accès, y compris sur des thématiques non traitées dans cet ouvrage, telles la logistique, la marine, les guerres privées ou la diplomatie. Elle sera régulièrement mise à jour. On y trouvera également une chronologie illustrée et d’autres éléments (cartographie, généalogies…) qui permettront, je l’espère, de contribuer à une meilleure compréhension de cette période tumultueuse mais cruciale.