Paris 8 - Université des créations

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Collection Manuscrits Modernes
Nombre de pages : 232
Langue : français
Paru le : 10/02/2015
EAN : 9782842924218
Première édition
CLIL : 3440 XIXe siècle
Illustration(s) : Non
Dimensions (Lxl) : 220×137 mm
Version papier
EAN : 9782842924218

Version numérique
EAN : 9782842928735

Balzac, l’éternelle genèse

L’ensemble de La Comédie Humaine est le résultat d’un immense travail de révisions et de transformations s’étalant de 1829 à 1855. De façon nouvelle et diversifiée, cet ouvrage aborde ce travail.

Les études qui y sont réunies abordent des questions jusqu’alors peu étudiées : le rôle de la correspondance de Balzac pour une compréhension plus complète du projet et du travail de l’auteur, l’importance de l’archive manuscrite pour la compréhension de l’entreprise balzacienne, le jeu infiniment complexe et riche du travail sur les manuscrits de théâtre, les déplacements d’œuvres d’édition à édition.
Enfin, l’étude précise de la genèse d’œuvres singulières, particulièrement significatives, permet de suivre l’invention d’une forme moderne de représentation du monde social, ainsi que d’un style narratif particulièrement fécond pour l’avenir du roman.

Introduction

Jacques Neefs,
« Éternelle Genèse »     
                        
 

I « Les chantiers de l’œuvre »                     

Roger Pierrot,
« La genèse de l’œuvre d’après la Correspondance »         

Isabelle Tournier,
« Balzac, sous bénéfice d’inventaire »          

Jacques Neefs,
« L’œuvre comme mobile »                   

 II « Architectures »                               


Claire Barel-Moisan,
« Une architecture instable ? Les déplacements d’œuvres dans La Comédie humaine »                          

Michel Lichtlé,
« La gestion balzacienne des épreuves »          

Andrea Del Lungo,
« La répétition du commencement. Interruptions, faux départs, réouvertures »     

                             
III « Genèses singulières »     
                      

 Eric Bordas,
« Les avant-scènes du théâtre »                 

Susi Pietri,
« La genèse et son double dans Le Chef-d’œuvre inconnu »   

Anne Herschberg Pierrot,
« Genèse de La fille aux yeux d’or »       

 

Les auteurs                               
Table des matières                          

Hugo célébra, lors des funérailles de Balzac, l’unité de l’œuvre de celui-ci, comme l’effet d’une « spendide et souveraine intelligence » : « Tous ses livres ne forment qu’un livre, livre vivant, lumineux, profond, où l’on voit aller et venir et marcher et se mouvoir, avec je ne sais quoi d’effaré et de terrible mêlé au réel, toute notre civilisation contemporaine ».
Cette œuvre faite d’œuvres nombreuses, a conquis son unité dans le temps de sa composition progressive et de sa publication.

Les études réunies ici s’attachent à quelques aspects spécifiques de cette « éternelle genèse » et analysent le travail incessant, toujours repris, dans la construction de l’ensemble : l’importance de la correspondance et des manuscrits eux-mêmes ; le sens des changements de structures, et d’ouvertures, le jeu si singulier des « épreuves » ; la théorie de l’œuvre qui se conçoit en figure, dans l’invention d’un style, comme une dramaturgie de l’écriture.

 

Claire Barel-Moisan, Éric Bordas, 
Andrea Del Lungo, Anne Herschberg Pierrot, 
Michel Lichtlé, Jacques Neefs, 
Roger Pierrot, Susi Pietri, Isabelle Tournier

Jacques Neefs

Éternelle genèse

« Je vois que je ne peux compter que sur une seule ressource : la création perpétuelle qui sort de mon encrier ! »

Balzac, à Madame Hanska1.

Hugo célébra, lors des funérailles de Balzac, l’unité de l’œuvre de celui-ci comme l’effet d’une « splendide et souveraine intelligence » : « Tous ses livres ne forment qu’un livre, livre vivant, lumineux, profond, où l’on voit aller et venir et marcher et se mouvoir, avec je ne sais quoi d’effaré et de terrible mêlé au réel, toute notre civilisation contemporaine2. » Il faudrait en effet pouvoir, de manière sans doute effarante, percevoir ensemble la totalité de l’œuvre, de ses lieux, de ses drames, car la démultiplication des entrées, des univers, des niveaux vaut toujours, en chaque point, en chaque « histoire », par une même force intense de recherche, d’expression, de lucidité : force infiniment « exposante ».

Pourtant, cette œuvre faite d’œuvres nombreuses, qui a littéralement conquis sa propre durée dans le temps de sa publication, et de sa composition progressive, a de ce fait un étrange rapport à sa propre virtualité. Proust faisait de La Comédie humaine l’une de ces œuvres qui « participent à ce caractère d’être – bien que merveilleusement – toujours incomplètes, qui est le caractère de toutes les grandes œuvres du xixe siècle3 ». Ce rapport interminable, épuisant, à la complétude est l’envers même de la nature du projet et de sa construction, par l’idée d’une réécriture des œuvres déjà écrites pour leur réunion dans l’architecture d’un édifice à dessiner encore. Proust imagine « l’ivresse » de Balzac (qu’il prête également à Wagner) « quand celui-ci, jetant sur ses ouvrages le regard à la fois d’un étranger et d’un père, trouvant à celui-ci la pureté de Raphaël, à cet autre la simplicité de l’Évangile, s’avisa brusquement en projetant sur eux une illumination rétrospective qu’ils seraient plus beaux réunis en un cycle où les mêmes personnages reviendraient et ajouta à son œuvre, en ce raccord, un coup de pinceau, le dernier et le plus sublime. Unité ultérieure, non factice4 ».

On sait que le « coup de pinceau » en question fut en fait le travail colossal des projets successifs de « réunion » des textes, celui des Études sociales à partir de 1837, et celui de La Comédie humaine, à partir de 1840. Il s’agissait toujours, à la fois, de réécrire les textes déjà publiés et de produire les textes encore manquants pour compléter la figure, pour atteindre à l’architecture d’ensemble : « Je consacre le jour à mes nouveaux travaux, et la nuit à perfectionner les anciens5. » Stéphane Vachon a montré dans son « beau livre », Les Travaux et les jours d’Honoré de Balzac6, le détail de ces stratégies, à la fois scripturales et éditoriales – et vitales, dans le temps complexe de l’élaboration et de la construction progressive du « monument » : « À l’aube des années 1840, Balzac plonge dans une gigantesque entreprise de réécriture et d’écriture complémentaire, qu’il n’achèvera, au bout de 16 volumes (“8 687 pages” et “543 feuilles d’impression compactes” [selon l’évaluation de Roger Pierrot]) qu’en novembre 18467. » Les publications successives sont alors accompagnées des « catalogues » de ce qui est « à venir ». C’est en effet en 1846 que Balzac semble concevoir qu’il est délivré de la révision « rétrospective » de La Comédie humaine, pour se lancer dans des créations nouvelles : « Depuis six ans, j’étais absorbé par les corrections de La Comédie humaine qui me prenait la moitié de mon temps. Maintenant que je puis consacrer tout mon temps à la production littéraire, ce sera tout à fait extraordinaire. Je ferai vingt volumes par an, et deux ou trois pièces8. » Le geste génial de la réunion rétrospective ouvre enfin l’œuvre vers l’idée de sa complétude : « Je me suis mis à considérer ce que j’avais encore à écrire pour donner à La Comédie humaine un sens raisonnable et ne pas laisser ce monument dans un état inexplicable9. » L’œuvre est ainsi suspendue aux catalogues successifs qui marquent son éternelle genèse, pendant sa création, comme, pour nous, depuis sa dernière publication du vivant de Balzac.

Les études réunies ici s’attachent à quelques aspects spécifiques du mouvement de cette éternelle genèse, sans cependant prétendre « expliquer » le monument. Le propos a été de s’engager à nouveau, par approches singulières, dans cet espace génétique polymorphe que représente La Comédie humaine10. Claude Duchet avait tôt indiqué comment la genèse balzacienne représente « un exemple massif de l’inachèvement créateur, qui relance l’écriture et redistribue l’économie des textes, comme s’il s’agissait d’en concrétiser successivement tous les possibles dans un mouvement de totalisation sans totalité11 ».

Dans « Les chantiers de l’œuvre », Roger Pierrot revient, avec toute la précision de sa connaissance parfaite des écrits balzaciens – tous les écrits, correspondance, textes divers, manuscrits des œuvres, éditions successives –, sur l’importance de la correspondance pour mieux comprendre la genèse des œuvres, tandis qu’Isabelle Tournier propose un regard nouveau sur l’histoire complexe de l’inventaire des manuscrits balzaciens, en rapport avec « ce qu’il faut appeler l’écrireBalzac, producteur à jet continu d’une matière génétique proprement inclassable. » Jacques Neefs s’attache aux conséquences formelles, dans la conception et le travail de l’œuvre, du passage à un projet « politique » et esthétique global, pour créer un ensemble qui soit « comme un monde », et apporter des modalités nouvelles d’intelligibilité du monde moderne conçu comme « mobilité » nouvelle.

Dans « Architectures », Claire Barel-Moisan étudie en détail comment « les déplacements d’œuvres dans La Comédie humaine », déplacements au sein d’une série, ou déplacements entre étages de La Comédie humaine, montrent la relative fragilité de l’architecture balzacienne et conduit à l’idée d’une « architecture plurielle », mobilisable pour de multiples possibles. La gestion minutieuse des « épreuves » – si remarquablement complexe – telle que Michel Lichtlé l’analyse, est à la fois une modalité fabuleusement féconde d’invention, en même temps qu’un danger pour les fins de l’œuvre : l’écrivain et l’éditeur ne jouant pas le même jeu. Enfin, Andrea Del Lungo montre comment les stratégies complexes, et réversibles, d’ouvertures relèvent moins d’un monde à décrire que d’une écriture qui cherche son énergie propre, son cours particulier, sa compétence singulière.

Nous avons choisi de présenter en fin trois « Genèses singulières » pour relever les détails de l’invention qui caractérisent le travail de l’écriture, dans son mot à mot, pour demeurer au plus près du travail de l’invention. Éric Bordas présente la « dramaturgie de l’écriture » balzacienne, telle qu’elle s’exerce dans « les avant-scènes du théâtre », et décèle ainsi une singulièrement féconde tension entre écriture du roman et écriture pour le théâtre. Susi Pietri montre comment le très remarquable et énigmatique texte du Chef-d’œuvre inconnu problématise dans sa fiction même les dédoublements et redoublements de la genèse d’une œuvre, comment le conte porte, en sa conception et en sa réalisation, « le combat des écritures qui se combattent l’une l’autre ». Enfin, Anne Herschberg Pierrot, étudiant le dossier de genèse de l’étonnant texte de La Fille aux yeux d’or, montre, dans le détail, l’art balzacien de l’amplification, de la mise en relations des choses observées, des aspects de la vie commune, dans le cadre d’une référence majeure à la Divine Comédie, selon des modalités rhétoriques qui font la force d’une conception imaginaire particulièrement lucide, saisissante, et éclairante, des mondes sociaux, le « travail du style se confondant avec le travail de l’œuvre ».

L’idée du « monument » réside en effet dans chaque instant de sa conception.

Page suivante : Modeste Mignon, épreuves et placards avec additions et corrections auto­graphes (Lov. A 151, f. 35 ro) © Fonds Lovenjoul, Bibliothèque de l’Institut, Paris. Photo © RMN/Grand Palais (Institut de France), Mathieu Rabeau. Voir ci-après l’article de Michel Lichtlé, « La gestion balzacienne des épreuves », p. 126

Intro.tif

1.Lettre à Madame Hanska, 25 décembre 1843, Lettres à Madame Hanska, éd. Roger Pierrot, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1990, t. I, p. 759.

2.Allocution prononcée aux obsèques d’Honoré de Balzac ; L’Événement, jeudi 22 août 1850, recueilli dans Actes et Paroles. I. Avant l’exil (Michel Lévy, 1875), et repris dans Balzac, préface et notices de Stéphane Vachon, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, « Mémoire de la Critique », 1999, p. 149.

3.Marcel Proust, La Prisonnière, À la recherche du temps perdu, éd. Jean-Yves Tadié, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, t. III, p. 666.

4.Ibid., p. 666-667.

5.Lettre à Madame Hanska [fin janvier 1833], dans Lettres à Madame Hanska, éd. Roger Pierrot, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1990, t. I, p. 23.

6.Stéphane Vachon, Les Travaux et les Jours d’Honoré de Balzac. Chronologie de la création balzacienne, Paris/Saint-Denis/Montréal, Presses du CNRS/Presses Universitaires de Vincennes/Les Presses de l’Université de Montréal, 1992. « Le beau livre » de Stéphane Vachon : l’expression est de Roger Pierrot dans la « Préface » qu’il donne à ce livre.

7.Ibid., p. 35. Stéphane Vachon cite en note ce « calibrage » de Champfleury, donné dans le feuilleton du Pays, le 14 avril 1852, dans son compte rendu de Les Physionomies littéraires de ce temps, d’Armand Baschet, publié en 1852 chez Giraud et Dagneau, qui montre que les contemporains étaient tout à fait conscients de l’immensité de la tâche de réécriture et d’ajouts de l’œuvre de Balzac : « 25 volumes immenses et compactes qui ont 40 feuilles, 16 pages à la feuille, 39 lignes à la page, 50 lettres à la ligne, ont été écrits à peu près quatre fois par l’auteur avant d’arriver à l’impression définitive, ce qui forme un total de travail matériel de 100 volumes. »

8.À Madame Hanska, 16 novembre 1846.

9.À Madame Hanska, 17 juillet 1846.

10.Voir, à propos d’une récente approche « génétique » du travail balzacien, Balzac et alii, génétiques croisées, histoires d’éditions, études réunies par Takayuki Kamada et Jacques Neefs. [En ligne]

11.Claude Duchet, « Notes inachevées sur l’inachèvement », dans Almuth Grésillon et Michaël Werner (dir.), Leçons d’écriture. Ce que disent les manuscrits, Paris, Minard, « Lettres Modernes », 1985, p. 245-246.

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Collection Manuscrits Modernes
Nombre de pages : 232
Langue : français
Paru le : 10/02/2015
EAN : 9782842924218
Première édition
CLIL : 3440 XIXe siècle
Illustration(s) : Non
Dimensions (Lxl) : 220×137 mm
Version papier
EAN : 9782842924218

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