Paola CALANCA, François WILDT : “Les frontières : quelques termes-clés”
La lecture des différentes sources, des ouvrages les plus anciens aux plus récents, démontre que si la notion de frontière peut se traduire par différents caractères (simples ou composés) et expressions, un certain nombre d’entre eux renvoient immédiatement à la frontière ou à ses attributs. Ce lexique détaille ces quelques termes de base, renvoyant qui au concept de frontière qui à leur usage dans l’administration des marches de l’empire.
Paola CALANCA : “L’aménagement du territoire et la notion de frontière à l’époque ancienne”
Les textes anciens établissent un lien étroit entre les fondements archaïques de l’ordre social et l’établissement de bornes, de bordures et de limites destinées à marquer et à dessiner les contours de l’espace social organisé et soumis à une même autorité. Cet article s’attache à rappeler l’importance de la notion de frontière dans la tradition politique chinoise à l’époque ancienne, dont la terminologie se retrouve déjà dans les inscriptions oraculaires des Shang et sur les bronzes des Zhou de l’Ouest. Les unités territoriales anciennes sont organisées autour de deux dispositifs : l’autel du sol au centre et les frontières à l’extrémité du territoire. L’autel du sol d’une localité est l’emblème d’une relation horizontale qui relie la communauté au grand carré des neuf provinces et d’un rapport vertical qui la place sous l’autorité de l’État, illustré par le talisman de Taiyi trouvé à Mawangdui. Quant au territoire de l’empire unifié, ses limites étaient vraisemblablement marquées par des signes visibles, même sur sa frontière méridionale qui ne nécessitait pas un dispositif aussi important que celui édifié au Nord.
Christian LAMOUROUX : “Militaires et bureaucrates aux confins du Gansu-Qinghai à la fin du XIe siècle”
Basé sur les études menées sur le mouvement d’assimilation des populations frontalières du Nord-Ouest qu’avait impulsé Wang Anshi (1021-1086), l’article analyse l’impact que cette politique a eu sur l’organisation bureaucratique au-delà de l’épisode des réformes. Le front pionnier ainsi ouvert devint l’enjeu de rivalités à la cour entre des groupes qui y voyaient un espace hors norme, dont la gestion pouvait favoriser les recompositions politiques au niveau même du pouvoir central. La gestion de la frontière pesa ainsi sur les alliances au sein du personnel dirigeant, en façonnant les orientations générales de la dynastie.
Élisabeth ALLÈS : “Usages de la frontière : le cas du Xinjiang (XIXe-XXe siècles)”
D’une terre d’aventure, de commerce, de transhumance, l’espace entre le Turkestan oriental et le reste de l’Asie centrale a été transformé en frontière politique à compter du milieu du XVIIIe siècle. Zone tampon entre les empires russe et chinois, cette frontière a toujours constitué un espace poreux. Les populations locales ont su faire usage à leur profit de cette frontière qui leur a servi de refuge face aux États centraux respectifs.
Dans l’esprit des populations de langues turque et chinoise, de la région aujourd’hui nommée Région Autonome Ouighour du Xinjiang, la « frontière historique » avec la Chine reste symbolisée par les anciennes passes de la Grande Muraille. Le Xinjiang demeure un espace où il est toujours malaisé de dégager des principes d’identité commune ou une véri¬table forme d’unité. Toutefois, sous l’effet du temps, de la répression, des discriminations, des distorsions économiques et des migrations hors du Xinjiang, un sentiment d’appartenance à cette entité spécifique fait son chemin en ce tournant du XXIe siècle.
Fabienne JAGOU : “Vers une nouvelle définition de la frontière sino-tibétaine : la conférence de Simla et le projet de création de la province chinoise du Xikang”
Cet article analyse le processus du passage d’une tentative de démarcation du tracé de la frontière à la reconnaissance d’une « région frontière » qui marque la frontière entre la Chine et le Tibet dans son ensemble au début du XXe siècle. Les volontés britanniques et russes de préserver leurs sphères d’influence respectives en Asie firent du Tibet un espace convoité et il devint urgent de définir les limites de son territoire. L’échec des négociations de la Convention de Simla en 1913-1914 et l’établissement progressif de la province chinoise du Xikang sur une province tibétaine permettent d’exposer les différentes étapes qui menèrent la Chine à administrer une zone périphérique dans le but de se protéger de ses deux puissants voisins.
Sébastien COLIN : “Chine-Corée : une frontière en suspens ?”
Établie sur les fleuves Yalu et Tumen à la fin du XIVe siècle, la frontière entre la Chine et la Corée fut l’objet de litiges entre les débuts du XVIIIe et du XXe siècle. Malgré de nombreuses négociations, les deux parties n’aboutirent jamais à une délimitation complète de la frontière. Cette dernière ne fut réalisée que dans une seconde phase, une dizaine d’année après la fin de la Guerre de Corée, par la signature entre la Chine et la Corée du Nord d’un traité frontalier qui fut largement favorable à la partie nord-coréenne et qui resta secret pendant plusieurs décennies. Néanmoins, parce que ce traité n’a pas pris en compte la Corée du Sud, la frontière entre la Chine et la péninsule coréenne reste à bien des égards en suspens. Il ne fait en effet aucun doute qu’une éventuelle réunification coréenne à l’avantage de la Corée du Sud remettra à l’ordre du jour la question de la délimitation frontalière entre les deux pays, au moins dans l’objectif de mettre un point final à sa longue histoire. Des différends apparus ces derniers temps entre la Chine et la Corée du Sud tendent à raviver cette question frontalière et donnent un aperçu des éventuelles tensions qui pourraient en résulter.
Daniel NORDMAN : “Éclats de frontière”
Le nombre de pays limitrophes d’un vaste pays comme la Chine est considérable. Les façons d’aborder ces frontières, par la géographie, l’histoire, l’anthropologie, la linguistique, l’économie, le droit, peuvent susciter des travaux démesurés. Chacune d’entre elles serait à saisir sous des échelles différentes. La seule étude des noms propres mériterait une longue étude systématique. Les possibilités – de l’étude des objets à celle des processus – sont alors infinies. Pourtant les comparaisons permettent d’échapper à l’esprit de système et de synthèse, de choisir le désordre plutôt que l’ordre, de recueillir des fragments, de préférer des éclats. Laisser la part aux similitudes fortuites, aux occurrences de rencontre, tel est le pari des pages qui suivent, à partir d’un détail, d’une notion, d’un mot proposés par des contributions traitant des frontières de la Chine.
Sont successivement parcourus, à partir d’exemples variés – la France et l’Italie d’Ancien Régime, l’Algérie et le Maroc à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, les États-Unis du XIXe siècle – des espaces permettant d’évoquer la question du lexique de la frontière et de la limite, celle de la structure et de la consistance du territoire, les processus de l’aventure frontalière (frontière et administration, occupation et conquête, modèles de héros), la langue des noms propres, s’agissant des pays ou des cours d’eau. L’article s’achève par une présentation des relations entre frontière et capitale – en Chine et en France –, d’après des textes de Jules Verne et de Montesquieu.