Patrick J. Geary, Richard Landes, Amy G. Remensnyder, Timothy Reuter, Barbara H. Rosenwein : « Qui a peur de l’an mil ? Un débat électronique aux approches de l’an 2000 »
Un débat par courrier électronique entre quatre médiévistes anglophones. La discussion est principalement centrée sur l’interprétation de quatre textes-clés : une charte du cartulaire de Saint-Victor, un passage de l’Apologétique d’Abbon de Fleury, des fragments du Chronicon de Thietmar de Mersebourg et du De ortu et tempore Antichristi d’Adson de Montier-en-Der. Les discussions font apparaître des stratégies radicalement différentes dans la lecture et les interprétations de ces sources. Dans la partie finale du débat est posé le difficile problème de la généralisation : jusqu’à quel point est-il possible de généraliser, géographiquement, d’une région à l’autre et socialement, d’une classe à une autre ?
Dominique Barthélemy : « Antichrist et blasphémateur »
D’un seigneur revendiquant une propriété contre Sainte-Foy de Conques, Bernard d’Angers (I. 12) fait par l’invective un “antichrist”. D’un vassal ardent à la défendre, il fait un “blasphémateur” pour que la vengeance divine soit plus expressive et plus méritée. De chroniques et d’hagiographies partiales et codées certains historiens font un “an mil” trop dramatique. Leurs illusions, encouragées par Michelet et par Duby, doivent céder la place à une histoire plus authentique.
Guy LOBRICHON : « Jugement sur la terre comme au ciel. L’étrange cas de l’Apocalypse millénaire de Bamberg »
L’illustration fameuse du Jugement dernier dans l’Apocalypse de Bamberg (Staatliche Bibliothek, Bibl. 140 (A. II.42) f° 53 r°), fréquemment évoquée par les historiens de l’art, n’a cependant pas fait couler beaucoup d’encre. On sait que le problème essentiel est celui de la datation du manuscrit, vers 1010-1020, ou vers 1000. Les propositions énumérées dans cet article mettent en cause directement le jeune empereur Otton III et son entourage.
Pierre Bonnassie : « Les inconstances de l’An Mil »
L’An Mil est une époque incertaine, un temps d’entre-deux âges où le vieux et le neuf se mêlent inextricablement. D’où des contradictions dans les sources qui offrent souvent des témoignages antithétiques. Loin de les accepter comme tels, c’est-à-dire comme la marque des contrastes de l’époque, trop d’historiens ont tendance aujourd’hui à les mettre en doute pour nous offrir de l’An Mil une image lisse, voire passéiste. Sans tomber dans les excès d’une histoire apocalyptique, il convient de conserver à l’An Mil sa passionnante originalité.
Dominique IOGNA-PRAT : « Consistances et inconsistances de l’an Mil »
En réponse au débat e-mail résumé dans ce numéro et sous un titre un tantinet provocateur, ce rapide article tente de prendre la mesure de nos inconséquences collectives face à un problème qui restera brumeux tant que nous ne nous donnerons pas sérieusement les moyens de le saisir par les deux bouts : comme une concrétion historique qu’il convient de saisir en contexte, mais aussi comme imaginaire d’un passé lentement sédimenté dont nous devons faire un objet d’étude propre pour pouvoir acquérir un peu d’autonomie de pensée.
Stephen D. White : « Repenser la violence : de 2000 à 1000 »
Cet article propose une nouvelle réflexion sur la violence vers l’an mil, à la lumière des débats théoriques actuels sur la violence à l’approche de 2000 et en prenant en considération non seulement la violence physique et publique des seigneurs laïcs et des chevaliers, mais aussi les différentes formes de violence monastique, dont celle verbale et rituelle, ainsi que la violence physique qu’étaient censés pratiquer les êtres surnaturels au profit des moines. En situant ces différentes formes de violence laïque et monastique dans le jeu de la faide culturellement structuré, où la violence, mais aussi la représentation de la violence supposée de l’ennemi, faisaient partie des manoeuvres acceptées, la question se pose : ce type de jeu politique et la culture de la faide qui le constituait ont-ils été créés juste au tournant du millénaire par les seigneurs laïcs et les chevaliers, soudain libérés du contrôle de l’État, ou ont-ils été élaborés plus lentement par les moines et par les laïcs, qui ont adapté progressivement des pratiques politiques plus anciennes et des catégories culturelles déjà existantes ?
Sophia Boesch-Gajano : « Angoisses religieuses, angoisses existentielles au passage des millénaires »
L’accent mis sur les années 1000 et 2000 conduit à s’interroger sur la conception du temps, sur l’importance de son contrôle et de sa mesure dans la civilisation chrétienne. Alors que le passage du premier au second millénaire avait été une construction post eventum de l’historiographie ecclésiastique, le passage du second au troisième est construit au présent, favorisé par les actuelles possibilités technologiques de mesure du temps, la dilatation planétaire de l’information. À l’intérieur de l’Église, Jean-Paul II organise le passage par le Jubilé, dans la continuité de la scansion séculaire inventée en 1300 (ensuite accélérée). Les deux passages sont des constructions culturelles à forte valeur symbolique : le premier construit par l’idéologie et l’historiographie, le second par l’idéologie et la technologie.
Robert Delort : « Environnement et millénaires »
L’environnement a changé en dix siècles, surtout selon nos critères scientifiques actuels, bien que notre sentiment de la nature porte maintes attitudes modelées au Moyen ge. L’environnement change sous ses facteurs géophysicochimiques (influence des galaxies, du soleil, du magnétisme, de la tectonique, du volcanisme, des séismes ; du climat, des glaciations, du niveau marin, des ondes de tempête) ou dans ses facteurs bioécologiques (végétation, faune, microfaune, démographie?). Mais les variations naturelles sont interprétées par les hommes et souvent modifiées dans leurs formes ou leurs conséquences par l’agriculture, les grands travaux, l’aménagement du territoire &emdash; et aussi par des pollutions, des maladies émergentes, de nouvelles attitudes.
Jean-Christophe Cassard : « Clovis? Connais pas ! Un absent de marque dans l’historiographie bretonne médiévale »
Le personnage de Clovis n’apparaît qu’à la fin du Moyen ge, et encore fort timidement, dans l’historiographie bretonne. À cette discrétion il y a des raisons historiques objectives &emdash; son manque d’intérêt pour la péninsule &emdash;, mais surtout des causes politiques : dans leur effort commun pour sauvegarder les libertés du duché, ses historiens choisissent d’exalter la figure du roi Arthur des légendes, souverain breton et chrétien, conquérant prestigieux, au détriment d’un Clovis rejeté dans l’ombre avec ses Francs tard-venus en Gaule, comme pour assurer aux Bretons une sorte de prééminence fondée sur leur antériorité dans la foi et la gloire des armes.
Étienne Anheim : « L’histoire intellectuelle du Moyen ge, entre pratiques sociales et débats doctrinaux »
La collection Vestigia rassemble des études sur la pensée médiévale. Certains ouvrages sont des rééditions, ou des traductions de livres étrangers et de sources médiévales, mais on rencontre surtout beaucoup de textes originaux, tant des synthèses que des études thématiques. Le plus grand intérêt de l’ensemble réside dans le projet général de la collection, qui vise à rénover l’histoire intellectuelle dans le sens d’un plus grand dialogue entre histoire et philosophie, proposant finalement une méthode originale pour confronter enjeux sociaux ou politiques, et analyse doctrinale.