Danielle Jacquart : « Le difficile pronostic de mort (XIVe-XVe siècles) »
Le conseil de ne pas traiter les cas incurables, présent dans certains textes de la Collection hippocratique, fut repris par les auteurs médiévaux d’ouvrages de chirurgie. Mais qu’en était-il des médecins ? À travers les propos de deux prolixes auteurs, l’un et l’autre fortement engagés dans une pratique, Bernard de Gordon (fin XIIIe-début XIVe s.) et Jacques Despars (m. 1458), il apparaît que leur réticence ne tenait pas tant à soigner des cas incurables qu’à poser un pronostic fatal. Les signes annonciateurs de mort – sauf si celle-ci était proche – se laissaient difficilement reconnaître. Pour un médecin il semblait plus déshonorant de pronostiquer à tort la mort que l’inverse. La récurrence des épidémies de peste, à la fin du Moyen Âge, força toutefois la réticence des médecins et les mena à poser plus souvent ce pronostic qui leur répugnait.
Maladies – mort – pronostic – médecine – fin du Moyen Âge
Chiara Crisciani : « Éthique des consilia et de la consultation : à propos de la cohésion morale de la profession médicale (XIIIe-XIVe siècles) »
Dare consilia est une des activités du médecin savant, formé à l’Université. Mise à part la tradition, typique des praticiens italiens, des consilia (écrits et formulés pour des patients), il est un acte médical important, la consultation, dans laquelle plusieurs médecins sont amenés à conférer sur l’état d’un malade, et à conseiller, pour finir, une procédure. Cette consultation est un des aspects du comportement du médecin qui n’est régulé ni par des normes corporatives ni par des décrets ecclésiastiques ; en d’autres termes, elle fait partie des règles d’éthique ou “étiquette” que tout bon professionnel doit posséder. Sont analysées ici les règles que Henri de Mondeville, dans sa Chirurgia, établit pour cette réunion de médecins définie comme une collatio. Ses instructions sont confrontées tant avec celles que fournit Henri sur le comportement du médecin-chirurgien dans d’autres situations, qu’avec d’autres textes traitant de déontologie ou divers comptes rendus de consultation par des professionnels. Il en ressort que ces directives ou “conseils” d’Henri de Mondeville n’ont pas seulement pour finalité une plus grande efficacité de la pratique professionnelle, mais peuvent aussi être vus comme l’expression de l’éthique spécifique d’une communauté scientifique, celle des médecins du bas Moyen Âge.
Consultation – Chirurgie – Henri de Mondeville – éthique professionnelle – XIVe siècle
Michael Mc Vaugh : « Le coût de la pratique et l’accès aux soins au XIVe siècle : l’exemple de la ville catalane de Manresa »
L’étude de l’accès aux soins et de leur coût dans la petite ville catalane de Manresa au début du XIVe siècle révèle que la ville versait un salaire à un médecin et à un chirurgien pour qu’ils soignent gratuitement les habitants, mais aussi que l’on pouvait recourir à d’autres praticiens. En outre, en raison du faible montant du salaire versé par la ville, les praticiens étaient obligés de chercher des patients dans les environs. Les habitants de Manresa semblent avoir également eu recours aux apothicaires pour se soigner ; les remèdes énumérés dans le ” Receptari ” de l’un de ces apothicaires, Bernat des Pujol, suggèrent que toutes les couches de la société venaient le trouver pour des soins de routine, en particulier des purgatifs, qui semblent avoir été peu coûteux. Les soins médicaux semblent donc avoir été d’un accès facile pour les habitants de la ville, mais à cause de leur faible coût, il était difficile pour les praticiens de Manresa de bien gagner leur vie.
Manresa – prix – honoraires – soins médicaux – médecin – apothicaire
Laurence Moulinier-Brogi : « Esthétique et soins du corps dans les traités médicaux latins »
Aux derniers siècles du Moyen Âge, les soins de beauté semblent occuper une place croissante dans la pratique médicale, et les auteurs de traités de médecine ou de chirurgie accordent de plus en plus d’importance, sous le nom d’ornatus ou de decoratio, à ce que nous appelons aujourd’hui cosmétique ou cosmétologie. L’Antiquité avait certes légué un certain savoir en matière d’embellissement, mais le haut Moyen Âge s’avère pauvre en traces d’un tel souci, et la cosmétique n’apparaît pas dans la littérature médicale d’Occident avant la fin du XIIe siècle, ou sa deuxième moitié. De cette entrée en scène des soins de beauté, les premiers témoins se trouvent à Salerne, et, à l’origine de ces productions latines d’un genre nouveau, il y a de nouvelles sources, principalement Rhazès et Avicenne, traduits à Tolède par Gérard de Crémone (Ý 1187). L’influence de la médecine arabe en la matière reste certes à évaluer avec précision, mais incontestablement, à partir de cette date, des textes divers, religieux ou profanes, attestent la recherche massive de l’ornatus, que corrobore l’importance du sujet dans la littérature médicale. Or si des médecins s’y intéressent, c’est principalement dans les traités de chirurgiens, spécialistes des opérations manuelles dont relève a priori plus directement ” l’ornement “, que la cosmétique paraît avoir acquis droit de cité ; parmi ces Chirurgies, celles de Henri de Mondeville et de Guy de Chauliac (XIVe siècle) lui font une large part et retiennent donc ici plus longuement l’attention.
Cosmétique – Médecine Arabe – Guy de Chauliac – Henri de Mondeville – Ornatus – Salerne – Chirurgiens
Nicolas Weill-Parot : « La rationalité médicale à l’épreuve de la peste : médecine, astrologie et magie (1348-1500) »
Confrontée à la nouveauté que constitua l’arrivée de la peste en Occident, la médecine savante fut apparemment mise à rude épreuve. Son inadéquation n’était-elle pas visible face à ce défi pratique ? Pourtant, l’étiologie astrologique du fléau resta assez strictement naturaliste (la grande conjonction de 1345 fut considérée comme la cause de la putréfaction de l’air tenue elle-même pour responsable de la Peste Noire de 1348). Quant au recours aux empirica merveilleux ou magiques, il fut relativement limité et toujours encadré par une logique d’application respectueuse de la théorie médicale : qu’il s’agisse des gemmes ingérées comme des médicaments ou bien portées en amulettes, ou même des sceaux astrologiques talismaniques.
Médecine savante – peste – rationalité – magie – astrologie
Joseph Ziegler : « Médecine et physiognomonie du XIVe au début du XVIe siècle »
La médecine et la physiognomonie étaient entrelacées depuis l’Antiquité. Cet entrelacement s’intensifia énormément à partir de 1300 environ. La physiognomonie savante adopta entièrement le concept de complexion et la théorie humorale comme fondement explicatif de tous les signes physiognomoniques. Le discours physiognomonique ressembla au discours médical et reposa fortement sur des autorités médicales. La pratique physiognomonique en vint à ressembler à un bilan médical. Les physiognomonistes se mirent à vanter l’observation physiognomonique pour les médecins désireux d’améliorer leur savoir-faire dans l’identification d’une complexion.
Physiognomonie – Coclès – Louis XII – Charles VIII – Roland l’Escripvain – complexion
Lydwine Scordia : « “Le roi refuse l’or de ses sujets”. Analyse d’une miniature du Livre de bonnes meurs de Jacques Legrand (ca 1410) »
Le Livre de bonnes meurs a été offert en 1410 au duc de Berry par le religieux augustin Jacques Legrand. Vers 1490, un artiste de la vallée de la Loire a orné une copie de ce traité moral de 53 miniatures. L’une d’entre elles est énigmatique : représente-t-elle ” le roi levant l’impôt-or sur ses sujets ” ? Peut-on montrer à la fin du XVe siècle un roi percepteur ? La miniature soulève également la question alors posée par des théologiens, Mendiants pour la plupart, sur la nature du prélèvement fiscal : l’impôt est-il ” le salaire du roi ” ? Certains esprits subtils vont distinguer – comme cela avait été fait pour justifier la rémunération des maîtres ou des prédicateurs – ce qui relevait de la fonction ministérielle du prince, gratuite, de la pratique pénible du gouvernement, à laquelle il n’était pas tenu gratuitement.
Jacques Legrand (Ý 1415) – miniature – impôt – salaire – exégèse