Nathalie BOULOUX : « Ressources naturelles et géographie : le cas de Barthélemy l’Anglais »
Les ressources naturelles (métaux, pierres précieuses, produits du sol…) sont le plus souvent signalées ponctuellement dans les textes géographiques comme des singularités d’une région. À cet égard, le livre 15 du De proprietatibus rerum de Barthélemy l’Anglais (vers 1240) qui décrit précisémement l’usage du plâtre à Paris ou de la tourbe en Flandres paraît original. Le De proprietatibus rerum, encyclopédie à visée pédagogique et utilitaire, repose sur un savoir fondamentalement livresque, sans souci d’actualisation des données. Le livre 15, consacré à la géographie, tranche par l’intérêt pour le détail concret dans la description des régions, sans pour autant transformer les méthodes de la géographie du XIIIe siècle. Parmi les éléments qui permettent de décrire un lieu, les ressources naturelles, mentionnées à partir de la lecture de textes ou décrites avec précision constituent un recours plus fréquent.
Géographie – Ressources naturelles – Barthélemy l’Anglais – Encyclopédie
Valérie THEIS : « Histoires d’eau. Les conflits sur l’approvisionnement en eau de Carpentras (XIVe-XVe siècles) »
L’acquisition par le pape Clément V, en 1303, d’une source à Caromb dont l’eau, canalisée par des conduites, doit servir à l’approvisionnement de la ville de Carpentras, est le point de départ d’une série de conflits entre ces deux communautés. L’examen des conditions de la vente de cette source à la papauté et à la ville de Carpentras par les seigneurs de Caromb et l’étude de l’évolution des formes que prennent les conflits qui en découlent permettent de mettre en évidence les difficultés juridiques que pose la question de la propriété d’une source, et la manière dont les modes de négociation entre la papauté et les communautés du Comtat Venaissin se transforment du début du XIVe siècle au début du XVe siècle. Trois phases se succèdent au cours de ces conflits : débutant par la révolte des habitants de Caromb et la destruction partielle des canalisations, ils aboutissent à la rédaction de statuts définissant des conditions d’usage et d’entretien des conduites, statuts dont la rédaction est d’abord étroitement contrôlée par la papauté, avant d’être finalement prise en main par les communautés elles-mêmes avec l’aide de juristes travaillant à leur service.
Eau – papauté d’Avignon – Carpentras – Comtat Venaissin – règlement des conflits
Daniel ISTRIA : « L’utilisation de l’amiante en Corse du XIVe au XIXe siècle »
À partir du XIVe siècle les potiers corses ont intégré dans leur production de céramique à usage culinaire des fibres d’amiante. L’utilisation de cette ressource naturelle originale peu ou pas exploitée par ailleurs avant le XIXe siècle, suscite de nombreuses interrogations. Au-delà des questions purement techniques, relatives à l’extraction de la roche et à sa transformation, ou encore sanitaires compte tenu de sa haute toxicité, on doit se demander quel a été l’impact sur la société ainsi que le « poids » économique de cette exploitation de la matière première. Mais, c’est surtout le choix, la sélection, de ce matériau qui doit retenir notre attention, car il s’agit bien ici d’une ressource naturelle « inventée » pour répondre à un besoin très particulier ; mais lequel ? Pourquoi les potiers ont-ils choisi d’utiliser des fibres d’amiante et comment ont-ils organisé l’exploitation ?
Les travaux des ethnologues du siècle dernier ainsi que la recherche archéologique récente nous amènent à penser que l’association des fibres d’amiante et de la terre argileuse donnaient la possibilité de confectionner simplement des marmites de grande dimension aux parois très fines à la fois légères, résistantes et étanches. Il s’agit donc d’une solution permettant à l’artisan de répondre facilement à une demande tout en s’affranchissant des contraintes économiques et techniques inhérentes à une production plus conventionnelle.
Amiante – céramique – Corse
Dominique CARDON : « Le redoul, herbe des tanneurs et des teinturiers. Collecte, commercialisation et utilisations d’une plante sauvage dans l’espace méridional (XIIIe-XVe siècles) »
Le redoul ou corroyère, Coriaria myrtifolia L., arbuste indigène des forêts du nord-ouest méditerranéen, très riche en tannins mais toxique, est pris comme exemple de gestion des ressources de l’environnement naturel au Moyen Âge. Ses particularités botaniques et chimiques, indiquées en première partie, expliquent ses applications, durant des siècles, en tannage et en teinture. Les zones et méthodes de récolte mentionnées dans les documents médiévaux – principalement catalans – sont mentionnées, ainsi que les circuits commerciaux à l’échelle régionale et internationale qui organisaient l’exploitation de cette matière première végétale. Enfin, les données techniques sur son emploi en tannage et teinture sont discutées.
Gestion de l’environnement – histoire des techniques – ethnobotanique – tannins – teintures naturelles
Charlotte BRITTON, Lucie CHABAL, Gaspard PAGES, Laurent SCHNEIDER : « Approche interdisciplinaire d’un bois méditerranéen entre la fin de l’antiquité et la fin du Moyen Âge, Saugras et Aniane, Valène et Montpellier »
Le développement économique que connaît la ville de Montpellier au XIIIe siècle a souvent été associé à celui de l’espace littoral. Pourtant l’influence de la nouvelle métropole s’étend aussi dans son proche arrière-pays. Au seuil du XIIIe siècle les consuls ont exploité les ressources forestières d’un espace de garrigue identifié sous le nom de « Bois de Valène ». Une récente enquête collective permet désormais de mieux saisir l’histoire de cet espace dans le temps long. La garrigue montpelliéraine n’était pas seulement vouée au pastoralisme. Entre le Ve siècle de notre ère et le XVIe siècle, les secteurs du Bois de Valène et de Saugras ont été en effet exploités de manière multiforme. Métallurgie du fer, charbonnage, verreries rurales et officines de céramiques notamment montrent que ces zones dites de marge n’étaient pas des espaces immobiles. Découvertes archéologiques, textes et analyses de laboratoire offrent aujourd’hui des lectures croisées à même d’éclairer une partie de ces realia dont les traces demeurent le plus souvent bien fugaces.
Ressources forestières – métallurgie – ateliers de céramique – Bois de Valène – temps long – garrigue montpelliéraine – arrière-pays
Nicolas LEROY : « Réglementation et ressources naturelles : l’exemple de la forêt
en Comtat Venaissin »
À travers l’exemple de la forêt dans le Comtat Venaissin et la Principauté d’Orange voisine, sont approchées les réglementations visant à assurer une gestion raisonnée de la ressource bois. À la fin du Moyen Âge, la prise de conscience de la raréfaction des forêts est incontestable dans la région. Plusieurs seigneurs et communautés élaborent alors des mesures visant à concilier conservation et exploitation indispensable aux villageois. Celles-ci vont de l’interdiction assez stricte d’accès et d’exploitation des bois (grâce à la mise en défens) aux droits d’usage, plus ou moins encadrés, pesant sur la forêt d’autrui. En partant de ces réglementations il a été possible de rechercher leurs causes. La forêt apparaît ainsi en premier lieu comme une terre de conflits entre de multiples acteurs. Les différentes réglementations sont les fruits de ces rivalités, elles en portent largement les marques. Elle est ensuite une richesse fragile qui doit être protégée. C’est à ce niveau que se retrouvent les conséquences des rivalités ayant la forêt pour objet. En fonction des résultats de celles-ci, les finalités des réglementations varient, de l’égoïsme seigneurial ou communautaire à une prise en compte de l’intérêt général associant parfois seigneurs et communautés. Elles font également apparaître les premières manifestations de la lutte entre l’individualisme et les contraintes communautaires qui caractérise la gestion des ressources rurales tout au long de l’Ancien régime.
Forêt – réglementations – droits d’usage – communautés rurales – Comtat Venaissin
Corinne BECK, Patrice BECK : « L’exploitation et la gestion des ressources naturelles
dans le domaine ducal bourguignon à la fin du XIVe siècle »
Les importantes séries comptables de l’administration ducale constituent d’excellents observatoires de la vie économique et sociale des domaines ducaux, notamment des usages et des modes de gestion de leurs ressources naturelles : de l’eau et du bois, de la pierre, de la terre et des minéraux qui s’y trouvent et y sont exploités. À partir de quelques exemples, il s’agit d’analyser le fonctionnement de ces domaines : à la fois avec leurs moyens propres et comme pôles d’une entreprise diversifiée organisée au niveau de l’État bourguignon.
Bourgogne – domaine ducal – fin XIVe siècle – matériaux de construction – ressources forestières
Andrea GIORGI, Stefano MOSCADELLI : “ cathédrale comme “ produit du terroir “. Ressources naturelles et matières premières dans la construction de la cathédrale de Sienne : choix et approvisionnements (XIIIe-XIVe siècles)”
Cette contribution entend révéler les liens étroits entre le chantier de la cathédrale de Sienne et les ressources naturelles ou les matières premières des espaces qui entourent la cité. À l’état brut ou semi-travaillé, la pierre, la chaux, le plâtre, l’argile, les marbres et le travertin, le sable, l’eau, le bois et différents métaux furent utilisés pour la réalisation d’un édifice monumental qui, sur le plan de la culture matérielle, peut apparaître comme « un produit du terroir ».
Sienne – cathédrale – matériaux de construction – ressources naturelles
Bernd CARQUE : « “ Paris 1377-78 ”. Un lieu de pouvoir et sa visibilité entre Moyen Âge et temps présent »
Les politiques de représentation visuelle du pouvoir à travers les monuments de Paris à la fin du Moyen Âge ont attiré l’attention des chercheurs dans les dernières décennies. La plupart des études se sont portées sur la simple apparence de constructions comme le Palais de la Cité ou encore le Château du Louvre. Leurs structures architecturales et leurs éléments formels ont été interprétés comme des expressions authentiques du pouvoir royal et comme des signes architectoniques permettant de rendre visible la royauté. Dans la mesure où les bâtiments pris en considération ont été détruits, ces interprétations iconographiques reposent sur des sources qui sont elles-mêmes problématiques. Comme le montre cet article, les représentations contemporaines des résidences royales comme celles qu’on trouve dans les miniatures des fameuses « Très Riches Heures du duc de Berry » sont une base douteuse pour reconstituer des monuments disparus et leur signification formelle, en raison de la variabilité et des discordances qu’elles présentent. À cet égard, elles sont aussi incertaines que les reconstructions modernes. Une solution qu’on imagine rarement pour résoudre ce problème de la disparition physique des bâtiments consiste à se demander de quelle manière les édifices royaux ont été utilisés, montrés et expliqués. C’est sous cet aspect que l’article réexamine la célèbre visite de l’empereur Charles IV à Paris en 1377-78. Un ouvrage récent s’est intéressé à la fois à l’aspect cérémoniel de la visite et à l’usage de signes éphémères comme les armoiries, les livrées ou les devises. En revanche, on ne sait presque rien du rôle que jouèrent les monuments durables dans le cadre de ces cérémonies. Le but de cet article est de montrer que la signification des bâtiments royaux a été établie et s’est concrétisée dans le cadre de situations de perception bien organisées.
Paris tardo-médiéval – lieux de pouvoir – Charles V – architecture – cérémonial – perception – édifices royaux
Olivier MARIN : Miracle et apologétique : sur quelques exempla anti-hussites dans le Formicarius de Jean Nider
Le dominicain Jean Nider (1380-1438) participa activement au règlement de la question hussite à Bâle. Mais la réponse qu’il y apporta ne fut pas seulement diplomatique. Son traité de discernement des esprits, le Formicarius, vise entre autres à réduire le scandale que constituait aux yeux de beaucoup le succès, au moins partiel, de l’hérésie bohémienne. C’est ainsi que dans le dernier chapitre du troisième livre, Nider raconte quatre exempla censés prouver que Dieu n’a pas abandonné le peuple catholique en lutte contre les Hussites. L’étude cherche d’abord à en identifier les circonstances : les deux premiers récits se déroulent lors du siège de Kulmbach par les Orebites fin janvier 1430, le troisième a lieu à l’occasion de l’ambassade du concile à Prague à l’automne 1433, et le quatrième pendant le pillage du couvent dominicain de Frankenstein (Silésie) en 1428. On montre ensuite comment s’y déploient les ressources apologétiques du miraculeux et quelles en sont les incertitudes ; pris entre le souci de légitimer les autorités religieuses et la nécessité de faire une place à l’intervention sauvage du surnaturel, Nider se débat dans des contradictions non résolues. Le Formicarius illustre ainsi indirectement les difficultés auxquelles étaient confrontés les théologiens du XVe siècle pour redonner au présent de l’Église sa valeur d’histoire sainte.
Hussitisme – Miracles – Jean Nider – Exempla – Bohême