Introduction
To remember. Se souvenir. Ne pas oublier. Recordar. Akodrarse1. Comment pourtant rappeler à la mémoire la présence d’êtres dont on ignore presque tout ? Cette question m’imprègne depuis que j’ai pu mettre un prénom sur mes arrière-grands-parents paternels.Lire entre les interstices, faire résonner les langues, encorder les bribes de souvenirs. Autant de tentatives pour essayer de saisir l’impalpable. Mais comment alors aller à leur rencontre ? En passant par le cœur semble indiquer le castillan. En passant par la peau me démangeait mon corps depuis si longtemps.
C’est pourtant à la faveur d’une déconstruction ou devrais-je dire plutôt d’un remembrement2, d’une relecture de mon propre travail que j’ai compris que cette rencontre avait peut-être déjà eu lieu. Au plus profond de mon inconscient.
La mémoire, ce n’est parfois rien d’autre que des sensations, des couleurs, des rythmes, des sons qui affleurent à la conscience, sans crier gare, sans mot dire de leur filiation.
Entre images et verbes, ce livre est la tentative un peu vaine de donner corps à ces réminiscences. D’écrire les pages d’une histoire familiale qui n’a pas su se dire mais qui s’est imprimée en filigrane à travers les siècles dans la mémoire cellulaire.
C’est une porte ouverte sur la « maison des vivants » : ceux qui ont voyagé jusqu’à moi, à travers moi, si ce n’est depuis la chute du temple de Jérusalem, depuis l’Espagne du XVe siècle, et qui contribuent à faire de mon identité une histoire aux multiples facettes.
1 Se souvenir respectivement en castillan et en judéo-espagnol.
2 J’aime comme ce mot tisse entre les langues un lien entre l’anglais remembrance et le français rassemblement.