David Trotter
Peut-on parler de judéo-anglo-normand ? Textes anglo-normands en écriture hébraïque
L’article passe en revue les témoignages (limités) d’écrits liés à la communauté juive d’Angleterre entre la Conquête normande et l’expulsion de 1290. Les textes sont de trois types : 1. Des starrs, documents juridiques rédigés en anglo-normand et qui ne présentent que très peu de différences avec les textes comparables de caractère administratif et juridique rédigés en anglo-normand en dehors de la communauté juive ; 2. des gloses, en alphabet latin, sur des textes hébreux et 3. des textes anglo-normands (qui sont aussi des gloses) en caractères hébraïques : seuls ces derniers correspondent à ce que l’on entend aujourd’hui par « judéo-français ». La documentation anglo-normande est très limitée mais elle fournit néanmoins des renseignements sur les contacts entre juifs et chrétiens. Les documents anglo-normands sont ainsi à la fois une pièce à ajouter au puzzle des textes romans en écriture hébraïque, et un élément du paysage plurilingue de l’Angleterre médiévale.
Christopher Lucken
Le beau français d’Angleterre. Altérité de l’anglo-normand et invention du bon usage
Il existe un topos dans les textes français et anglais du Moyen Âge : le français parlé en Angleterre serait un « faux français », une langue de mauvaise qualité par rapport au français de France. La critique moderne a suivi ce stéréotype : l’anglo-normand a longtemps été vu comme un dialecte déficient et artificiel. C’est pourtant en Angleterre qu’apparaissent les premiers textes grammaticaux décrivant une norme de la langue française, sur le modèle des grammaires latines. Les protestations topiques des auteurs anglo-normands concernant la rudesse de leur langue coexistent du même coup avec l’enseignement normé du français dans les écoles anglaises : alors que l’anglais semble réservé aux laboratores et se « popularise », un français réputé « de France » y devient un équivalent du latin, langue normée et policée. C’est à la constitution de ce « beau français » au sein du contexte trilingue de l’Angleterre qu’est consacrée cette étude.
Aude Mairey
John Gower ou le multilinguisme en action
John Gower (v. 1330-1408) est le seul poète anglais de la fin du Moyen Âge dont on peut être certain qu’il ait composé son œuvre dans les trois langues principales alors en usage en Angleterre – le français, l’anglais et le latin – de manière tout à fait consciente, comme en témoignent ses trois principaux poèmes, la Vox Clamantis (latin), le Mirour de l’Omme (français) et la Confessio Amantis (anglais). Ainsi est-il le représentant exceptionnel d’une période où une réflexion à visée réformatrice s’exprime dans le cadre d’un système de communication encore caractérisé par son multilinguisme.
Catherine Nall et Daniel Wakelin
Le déclin du multilinguisme dans The Boke of Noblesse et son Codicille de William Worcester
Le traité politique en prose de William Worcester, The Boke of Noblesse, achevé en 1475, est accompagné d’un « codicille » réunissant des informations et des documents historiques. Dans le Codicille, le code-switching entre le latin, le français et l’anglais reflète certes les langues documentaires et la pratique ordinaire, mais il suggère aussi un certain nombre de difficultés face à cette forme commune de multilinguisme au milieu du xve siècle. Quant au traité en prose, il met en évidence ses sources latines mais refuse de citer ses sources françaises dans la langue originale, révélant une certaine malaise à l’égard du français comme langue productrice d’écriture dans l’Angleterre de la fin du xve siècle. Alors que le français et le latin étaient d’un usage courant dans l’administration des territoires anglais de France au cours la Guerre de Cent Ans, et bien que des livres dans les deux langues aient continué à être lus par des anglophones tout au long du xve siècle (et même plus tard), l’œuvre de Worcester révèle des tensions sous-jacentes au cœur du multilinguisme, laissant présager la préférence croissante pour l’anglais comme langue d’écriture dans les années suivantes.
Essais et recherches
Donatella Nebbiai
Les livres de Jean Durand († 1416), « physicien » et astronome
Jean Durand, chanoine de Notre-Dame, fut médecin et astronome. Titulaire de la première bourse pour l’enseignement de l’astrologie à Paris sous Charles V, il fut le « physicien » de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. Un inventaire après décès de ses biens, découvert aux Archives nationales (S 851 B, n° 4), permet de reconstituer sa biographie et son cadre de vie. La liste des livres ouvre la perspective d’un milieu raffiné, qui au-delà des intérêts professionnels, cultive la littérature en langue vernaculaire et apprécie la culture historique.
Lucie Laumonier
En prévision des vieux jours : les personnes âgées à Montpellier à la fin du Moyen Âge
L’histoire de la vieillesse et des personnes âgées à la fin du Moyen Âge s’appuie surtout sur l’analyse des textes et constitue encore principalement une histoire de leurs représentations, plus qu’une étude de leur place dans la société. À travers les nombreuses sources de la ville de Montpellier, cette recherche vise à définir la vieillesse au regard des archives de la pratique, d’y saisir et d’y évaluer la présence des personnes âgées, de comprendre quelles alternatives leur sont offertes pour prévoir leurs vieux jours et d’identifier les obstacles qu’elles rencontrent éventuellement au cours de ce processus. Deux variables principales semblent peser sur l’organisation de la fin de vie : la présence ou l’absence d’une parenté sur laquelle se reposer et le niveau de richesse de l’individu. De la personne âgée aisée et entourée à l’individu pauvre et isolé se déclinent de multiples situations, témoignage des différentes de manières de vieillir dans un centre urbain méridional à la fin du Moyen Âge.
Points de vue
François Foronda
Procès politiques : une manie française ?
Clément Lenoble
Les discours sur la monnaie et la valeur d’Olivi et Eiximenis : « moralisation de l’économie » ou « économie politique » médiévale ?