Paris 8 - Université des créations

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Collection Théâtres du monde
Nombre de pages : 376
Langue : français
Paru le : 03/10/2010
EAN : 9782842922566
Première édition
CLIL : 3690 Théâtre
Illustration(s) : Non
Dimensions (Lxl) : 240×170 mm
Version papier
EAN : 9782842922566

Version numérique
EAN : 9782842927943

L’argent dans les concours du monde grec

Aspects institutionnels, économiques et financiers des manifestations qui, dans les mondes grec et hellénisé de jadis, donnaient lieu à des compétitions à l’issue desquelles des récompenses de toute nature étaient distribuées.

« Argent, le plus utile qu’il puisse faire, c’est d’instituer des concours gymniques et musicaux. » Telle est la tâche qu’Hermès assigne au dieu Ploutos, dans la pièce homonyme d’Aristophane. Le sujet n’a rien perdu de son acuité ni de son actualité. Il faut pourtant le reconnaître : parler d’argent étant connoté de manière négative, les Anciens s’en sont souvent abstenus et les Modernes leur ont généralement emboîté le pas. Aussi ont-ils disserté abondamment sur les dimensions politiques, religieuses et culturelles des diverses manifestations artistiques et sportives qui donnaient lieu à des compétitions. Ils ne les ont guère envisagées sous l’angle économique et financier. C’est à combler ce manque que visent les auteurs des contributions ici rassemblées, en convoquant toutes les sources disponibles (littéraires, épigraphiques et archéologiques). Ainsi s’esquisse ce que l’on pourrait appeler une « économie des concours » en Grèce ancienne.

Sous la direction de : Le Guen Brigitte
Introduction Brigitte LE GUEN Peut-on parler de l’argent des concours grecs ou « à la grecque » ?  

I. L’organisation des concours : aspects financiers et institutionnels

Peter WILSON How did the Athenian demes fund their theatre ?

Eric CSAPO et Peter WILSON Le passage  de la chorégie à l’agonothésie à Athènes à la fin du au IVe siècle      .

Daniela SUMMA  Ricerche sulla vita teatrale e il suo finanziamento in Locride

Leopold MIGEOTTE Le financement des concours dans les cités hellénistiques : essai de typologie

Denis KNOEPFLER Les agnonothètes de la confédération d’Athéna Ilias : une interprétation nouvelle des données épigraphiques et ses conséquences pour la chronologie des émissions monétaires du Koinon

 

II. Le coût des Édifices de concours

Jean-Charles MORETTI Le coût et le financement et prix des théâtres grecs

Virginie MATHÉ Coût et financement des stades et des hippodromes

 

III. L’argent des prix 

Wolfgang DECKER Les prix des vainqueurs aux épreuves sportives à l’époque prémonétaire

William SLATER Paying the Pipers

Sylvain PERROT Récompenses et rémunérations des musiciens à Delphes

Katherine DUNBABIN The prize table : crowns, wreaths, and  moneybags in Roman art

  Conclusions Olivier PICARD
comment parler de l’argent des concours grecs ou « à la grecque » ? Brigitte Le Guen « Argent, le plus utile qu’il puisse faire c’est d’instituer des concours gymniques et musicaux. » (Aristophane, Ploutos, 1162-1163.) Nombre d’auteurs du xviiie siècle expliquent, en exergue de leur œuvre, avoir découvert par hasard, dans la vieille malle d’un grenier poussiéreux, le manuscrit qu’ils livrent au public. Pour ma part, il ne s’agit pas d’une ruse d’auteur : j’ai bel et bien retrouvé incidemment dans mes archives le double d’une lettre, datée d’il y a dix ans et adressée à Henk William Pleket, dont on connaît l’expertise en matière d’économie et de société, et plus particulièrement sur toutes les questions liées au sport et à son idéologie dans les mondes grec et romain 1.. Ma missive n’avait d’autre objet que de l’inviter à participer à un colloque que je comptais, disais-je, organiser prochainement sous le titre « L’argent dans les concours du monde grec ». Seul le « prochainement » était quelque peu optimiste et prématuré, je l’avoue ! Il faut dire que très tôt les deux directions totalement complémentaires et indissociables prises par mes recherches, à la fois mon intérêt pour la vie religieuse 2. – et les questions économiques y afférant – et mon intérêt pour les artistes réunis en associations à vocation religieuse et professionnelle 3., à compter du début du iiie siècle avant notre ère, m’avaient conduite à un constat : fort peu d’études s’intéressaient de très près aux aspects strictement économiques de la vie religieuse. Je mets à part bien évidemment la thèse de Pierre Debord qui a placé ces questions au centre de ses préoccupations 4. ou encore le colloque d’Uppsala publié en 1992 par Tullia Linders et Brita Alroth 5.. Mais même dans l’ouvrage de Beate Dignas, paru en anglais dix ans après et spécifiquement intitulé L’Économie du sacré dans l’Asie Mineure hellénistique et romaine, l’index final ne comprend pas d’entrée « agôn » ; tout juste est-il fait mention des agônothétai ou magistrats chargés de l’organisation des concours et ce, qui plus est, à une seule reprise, en note de bas de page 6.. Curieusement donc, alors que les agônes étaient intimement et exclusivement liés dans l’Antiquité à la célébration de fêtes dont ils rehaussaient l’éclat, leur analyse a été, au fil des années, sinon totalement dissociée de celles-ci, du moins considérablement minorée 7.. Dans le meilleur des cas, quelques rapides paragraphes d’ouvrages de synthèse portant sur la religion grecque précisent qu’à telle ou telle fête étaient joints des concours et livrent un aperçu de leurs nature, programme et périodicité. Il est rare touefois qu’ils s’interrogent sur les moyens financiers indispensables à leur existence autrement qu’en évoquant d’un mot le système des liturgies, pour s’en tenir à l’exemple athénien. Par ailleurs force est de constater que les concours ont été progressivement intégrés, au cours du xxe siècle, dans des cadres d’analyse « mo­dernes », individualisant le sport, la musique et plus rarement le théâtre, où de nouveau les problèmes d’argent sont restés… les parents pauvres. Ajoutons que certains types de concours, à certaines périodes, ont été largement privilégiés au point de monopoliser l’attention des spécialistes : j’en veux pour preuve l’inflation des publications relatives aux seuls Jeux Olympiques, selon la terminologie moderne 8., inflation encore accrue à l’approche d’une année olympique 9.. En témoigne également le nombre considérable d’études consacrées aux concours hippiques, gymniques et musicaux dits de la « période » (périodos) dont l’enchaînement compris entre deux olympiades formait un cycle particulier : Olympia d’Olympie, Isthmia de Corinthe, Néméa (ou Némeia) de Némée et Pythia de Delphes. La remarque vaut aussi pour les concours dramatiques organisés à Athènes. Les ve et ive siècles seulement (ou peu s’en faut 10.) ont intéressé pendant longtemps philologues et historiens 11. qui, de surcroît, ont abordé les fêtes et concours quasi exclusivement sous un angle civique, social et religieux 12.. On le sait, la somme qu’à plusieurs reprises Louis Robert avait promis de rédiger sur les concours des périodes hellénistique et impériale n’a malheureusement jamais été menée à son terme 13.. Ainsi, dans l’ensemble, les époques archaïque et classique, qui ont vu naître puis se développer les compétitions les plus prestigieuses, ont eu plus de succès que celles qui les ont suivies. Et les diverses catégories d’agônes n’ont pas été pareillement envisagées, quand bien même l’on assiste ces dernières décennies à un regain d’enthousiasme pour les concours athlétiques d’époque impériale 14. et pour les concours musicaux, à entendre au sens large de « thyméliques 15. » et scéniques 16., toutes périodes confondues. À dire vrai, la plupart des travaux aujourd’hui disponibles se sont principalement souciés non seulement des modalités de déroulement des fêtes auxquelles les agônes s’intégraient, de l’idéologie véhiculée par ces dernières et du sens qu’elles revêtaient pour les communautés organisatrices, mais aussi des évolutions techniques de telle ou telle discipline agonale et de l’origine des pratiques modernes susceptibles d’y être décelées 17.. Les aspects économiques et financiers ont été totalement, ou plus exactement majoritairement laissés de côté. Les Modernes se sont en quelque sorte comportés comme les auteurs anciens qui tenaient généralement le fait de parler d’argent pour moralement condamnable. Il y a bien sûr des exceptions, hier comme aujourd’hui. On se souvient par exemple de la pièce du célèbre poète dramatique Aristophane qui mettait en scène, au début du ive siècle avant notre ère, le dieu de la richesse, Ploutos. Profitant de la liberté offerte par le théâtre comique, il y soulignait les effets désastreux de la guerre sur les patrimoines des familles athé­niennes : l’enrichissement amoral des spéculateurs et des divers bénéficiaires des campagnes militaires allait de pair avec l’accroissement de la misère des honnêtes gens, si bien que les disparités grandissantes entre les fortunes menaçaient de rupture le lien social et pesaient dangereusement sur l’avenir du politique. Mais les faits présentés dans l’orchestra n’avaient pas pour but la reproduction pure et simple de la vie réelle, et Aristophane ne cherchait nullement à apparaître comme un nouveau Thucydide. Aussi la comédie reprenait-elle tous ses droits et, au terme du spectacle, Ploutos, guéri de la cécité qui l’empêchait de répartir équitablement les richesses, était désormais en mesure de récompenser les justes et de faire œuvre utile en « instituant des concours gymniques et musicaux » (Ploutos, vers 1162-1163). Avec la reprise des agônes et conjointement des sacrifices auxquels les dieux devaient leur bonne santé, c’en était définitivement terminé des souffrances abominables qu’ils avaient endurées ! On pourrait rappeler aussi les critiques d’un Démosthène accusant les Athéniens de dépenser plus pour les Grandes Dionysies que pour la guerre 18. ou encore les reproches mis fort habilement par Plutarque dans la bouche d’un ressortissant de Laconie (État réputé pour l’austérité de ses mœurs et la prohibition du luxe), afin de pourfendre l’activité théâtrale des Athéniens de l’époque classique au motif qu’elle rimait avec futilités et coûtait bien plus cher que les affaires militaires 19.. Si l’on se tourne maintenant vers le présent, il vient d’abord à l’esprit les très nombreuses publications tant de Denis Knoepfler sur les fêtes et concours de son terrain de prédilection, la Béotie 20., que de Léopold Migeotte à propos des finances des cités. À maintes reprises, ce dernier a abordé la question de l’origine des fonds qui permettaient la tenue de leurs manifestations culturelles et religieuses, notamment après la mort d’Alexandre le Grand 21.. Il n’est que de consulter son analyse lumineuse des chorégies de la cité carienne d’Iasos, saluée par la communauté scientifique, dès sa ­parution 22.. Incontestablement Léopold Migeotte était le savant le plus à même de proposer un classement des différents types de financement attestés pour les concours d’époque hellénistique. C’est pourquoi sa participation aux débats du colloque s’imposait, comme s’imposait également la présence d’Eric Csapo et de Peter Wilson 23., qui travaillent actuellement de concert à la rédaction d’une histoire économique et sociale du théâtre grec d’époque classique. D’ores et déjà l’on dispose, grâce à Eric Csapo, d’une étude novatrice, extrêmement stimulante et totalement convaincante, des concours drama­tiques institués dans les dèmes de l’Attique vers la fin du ve siècle avant notre ère. Associant étroitement leur diffusion à la naissance du métier d’acteur, elle montre en effet qu’il existait, dès cette date, un véritable marché pour des artistes en passe de devenir des professionnels 24.. Quant à Peter Wilson, on lui doit, avec son livre, The Athenian Institution of the Khoregia : the Chorus, the City and the Stage, paru à Cambridge en l’an 2000, l’analyse la plus riche à ce jour du système chorégique par lequel étaient financés, à Athènes, les concours des Dionysia, des Lènaia et des Thargèlia. Il est aussi le premier à avoir véritablement estimé au plus près le coût des Grandes Dionysies athéniennes, après les tentatives de quelques rares prédécesseurs 25.. Prenant 415 avant notre ère pour année de référence de ses calculs et veillant à chiffrer minutieusement chacun des nombreux postes budgétaires de la fête, tout en précisant systématiquement l’origine des fonds alloués, il est arrivé à la conclusion que, contrairement à l’opinon admise jusque-là, les montants acquittés à titre public (13 talents 1 300 ­drachmes environ pour le paiement des poètes et des musiciens, les dépenses d’équipement et l’achat des victimes sacrificielles) équivalaient presque à ceux payés sur fonds privés (15 talents et 3 900 drachmes) par les chorèges et épimélètes de la procession. Aussi le montant global de la fête avoisinait-il les 30 talents 26., soit le coût d’entretien de 12 trières pendant une année 27.. Depuis, Peter Wilson a fait des émules : pour un ouvrage collectif, à paraître prochainement 28., David M. Pritchard vient en effet de terminer un chapitre intitulé « Costing Festivals and War : Spending Priorities of the Democracy ». Il y évalue, à son tour, les dépenses effectuées lors des Grandes Panathénées, autre fête particulièrement illustre et coûteuse de la cité d’Athènes, du fait de l’ampleur et de la variété uniques de son pro­gramme 29.. Révoquant en doute le jugement de Boeckh pour qui les ­sources littéraires, et notamment les passages de la Première Philippique de Démosthène et de la Gloire des Athéniens de Plutarque, mentionnés ci-dessus 30., étaient relativement dignes de foi et assez élevées en conséquence les sommes déboursées par l’État athénien lors de ses festivités, il dé­montre que, dans les années 380, la contribution des citoyens les plus riches, au titre des 45 liturgies requises, s’élevait à 7 talents 2 000 drachmes ; celle des paysans attiques qui fournissaient l’huile d’olive pour les prix à 5 talents 2 725 drachmes. Le coût global des Grandes Panathénées étant de 25 talents 725 drachmes, les fonds privés équivalaient à la moitié du total. Il n’est pas sans intérêt de noter qu’une telle proportion se retrouve dans les calculs de Peter Wilson concernant les Grandes Dionysies. Pour la période comprise entre 430-350, la seule à autoriser une comparaison, David M. Pritchard a par ailleurs estimé que le montant annuel de l’ensemble des festivités supervisées par l’État athénien atteignait 100 talents 2 717 drachmes, signe de son extraordinaire santé financière, tandis que les activités militaires de la cité représentaient, en temps de ­guerre, de 433 à 423, jusqu’à 1 500 talents chaque année et encore, en temps de paix, une moyenne de 500 talents, vers le milieu du ive siècle. Jamais donc au cours de la période classique la vie religieuse et dramatique d’Athènes ne grèva les finances civiques autant que ne le firent la guerre et la préservation de la paix. Mais parler des aspects économiques et financiers des concours, ce n’est ni se contenter d’évoquer la nature et le montant des fonds réunis, puis utilisés pour leur célébration, et par là distinguer les fonds publics, privés, royaux, impériaux, ou encore ceux résultant de fondations ; ni se satis­faire d’une analyse des évolutions perceptibles à court, moyen et long terme, assortie de remarques sur leur signification ; ni même procéder à un examen des spécificités locales et/ou régionales, dans la lignée des communications présentées ici par Peter Wilson sur l’argent des Dionysies rurales de l’Attique et par Daniela Summa sur le financement de la vie théâtrale en Locride. Ce n’est pas non plus s’en tenir à l’étude des cadres dans lesquels l’argent disponible pour les concours était géré (était-ce au titre d’une magistrature ? d’une liturgie ?) ni à celles des hommes responsables du maniement de cet argent 31. (agonothètes, agonarques, athlothètes, panégyriaques, sur lesquels on ne dispose à l’heure actuelle d’aucune monographie 32.), et ainsi offrir une nouvelle interprétation du passage de la chorégie à l’agonothésie, comme l’ont fait Eric Csapo et Peter Wilson pour l’Athènes de Démétrios de Phalère. C’est tenter parallèlement d’apprécier l’ensemble des dépenses générées par la création, puis l’existence d’un agôn, c’est-à-dire tant les coûts des structures matérielles indispensables à la tenue des manifestations (stades, théâtres, odéons, gymnases, hippodromes) que l’hébergement des concurrents et spectateurs, sans omettre les sommes à débourser pour l’entretien des bâtiments et leur financement spécifique. Le sujet n’est pas totalement ­vierge, mais les travaux qui l’abordent demeurent trop peu nombreux. Parmi eux figurent en première place sur les théâtres d’Athènes, d’Argos, ou en­core de Délos 33., les précieux articles et ouvrages de Jean-Charles Moretti, ­sollicité en conséquence à dresser pour nous un bilan du coût et du financement de ces édifices, depuis les premiers états de leur construction jusqu’à leur réfection et remainements ultérieurs, en passant par leur entretien régulier. Pour parfaire notre connaissance du sujet et combler un manque, nous avons également fait appel à l’une de ses doctorantes, Virginie Mathé, qui a traité des stades et des hippodromes. À quoi s’ajoutait encore la question de la rétribution des participants aux différents agônes 34., mais aussi des prix octroyés tant sur place qu’en dehors du lieu même des concours. Or, qui dit « prix » a aussitôt à l’esprit le problème de leur nature et partant la distinction couramment opérée, dans le sillage de Louis Robert, entre, d’un côté, les concours non rétribués, appelés « sacrés » ou « sacrés » et « stéphanites » – ceux-là même que la littérature moderne qualifie de « panhelléniques 35. » –, car les vainqueurs y recevaient une couronne pour toute récompense 36. et, de l’autre, les concours rémunérés, désignés sous les termes de « thématiques », « thématites », « chréma­tiques » et « chrématites » 37.. Un débat s’est ouvert cependant sur le sujet ces der­nières années 38., suite aux analyses pionnières et extrêmement stimulantes de Robert Parker, William Slater et Daniela Summa. Il mérite d’être poursuivi et approfondi, la situation étant de toute évidence bien moins tranchée, pour ne pas dire infiniment plus complexe, qu’on ne l’a cru pendant longtemps. C’est avec le talent qu’on lui sait que William Slater en ap­porte ici la preuve formelle, en plaçant les aulètes hellénistiques au ­centre de sa réflexion. Par ailleurs si, grâce aux études de Henk William Pleket notamment 39., les relations des athlètes à l’argent ont été éclairées, il n’en a pas été de même jusqu’à une date récente pour les artistes qui prenaient part aux concours musicaux. On ne trouve que quelques pages sur ce thème dans l’ouvrage qu’Annie Bélis a consacré aux musiciens dans l’Antiquité 40. ou dans le livre de Paulette Ghiron-Bistagne relatif aux acteurs en Grèce ancienne 41.. Il est vrai que les sources disponibles, pour des raisons idéologiques évidentes, liées aux connotations négatives des activités rétribuées, ne parlent qu’occasionnellement des sommes qui récompensaient ici le protagoniste d’une comédie nouvelle, là l’aulète d’un chœur tragique ou dithyrambique. Dans mon ouvrage de 2001 traitant des Associations de Technites dionysiaques, j’ai moi-même abondamment déploré le manque de données chiffrées et la manière biaisée dont les textes épigraphiques évoquaient les artistes qui en étaient membres. À quelques exceptions près, ils passent en effet sous silence leur engagement réel et indiscutable dans les activités économiques de leur temps, qui était l’une des conséquences directes de leur participation aux concours, au profit de longs développements sur leur incommensurable piété. Seuls pourtant les intérêts financiers en jeu lors de différentes fêtes locales et panhelléniques permettent de comprendre les tensions qui affectèrent les relations entre les Technites installés à Téos et la cité ionienne, sous Eumène II, mais aussi entre la confrérie de l’Isthme et de Némée et celle d’Athènes dans la deuxième moitié du iie siècle avant J.-C 42.. Quant aux prix distribués sous forme d’objets (trépieds, amphores, boucliers, couronnes métalliques…), nous en avons connaissance par le biais de la documentation littéraire, épigraphique, papyrologique, archéologique, mais aussi iconographique, grâce à leurs représentations figurées sur dif­férents supports (céramiques, reliefs, monnaies, mosaïques). En dépit des travaux de Jutta Rumscheid consacrés aux couronnes octroyées aux vainqueurs à l’époque impériale 43. ou de Pierre Amandry sur les trépieds ­d’Athènes et de Béotie ainsi que sur les boucliers d’Argos 44., ils appellent encore ardemment la rédaction de monographies. Il convient toutefois de mettre à part le cas des amphores remplies d’huile des oliviers sacrés d’Athéna, qui étaient remises aux vainqueurs des Panathénées et auxquelles de nombreuses études ont déjà été dédiéés 45.. Signalons seulement que l’une d’elles, très récemment publiée et d’un type relativement rare, car à fond blanc, constituerait le premier témoignage d’un prix remporté aux épreuves théâtrales instaurées lors de ces fêtes, dans la seconde moitié du iie siècle av. J.-C., et peut-être même plus tôt 46.. Relevant à part entière de la thématique de notre colloque, ces prix se devaient d’y occuper une large place. Aussi les trouve-t-on évoqués dans plusieurs communications, tant sous les plumes de William Slater et Sylvain Perrot que de Wolfgang Decker et Katherine Dunbabin. Toute comparaison avec d’autres temps et lieux pouvant se révéler par ailleurs des plus fructueuses, il était indispensable de disposer d’une synthèse sur la nature des prix décernés aux époques prémonétaires. Nul mieux que Wolfgang Decker, parfait connaisseur de l’Égypte et co-auteur d’un ouvrage récent sur Le Sport dans l’Antiquité 47. n’était en mesure de s’en charger. De la même manière, il était impératif de requérir la participation de Katherine Dunbabin, afin de disposer de l’éclairage procuré par l’art romain impérial 48.. Sous l’égide de cette éminente spécialiste des mosaïques et de l’imagerie agonistique, nous avons donc quitté les mondes grec et hellénisé pour les provinces occidentales de l’Empire. Un tel voyage était d’autant plus justifié que les objets que portent diverses tables de prix représentées, par exemple, sur plusieurs mosaïques tunisiennes, sont désormais nommés explicitement dans un document épigraphique provenant de la partie orientale du monde romain. Lors de la campagne de fouilles entreprise en 2003 à Alexandrie de Troade, les archéologues ont exhumé en effet une plaque de marbre brisée en seize morceaux, d’un intérêt exceptionnel. Trois lettres impériales y étaient gravées que George Petzl et Emar Schwertheim ont fait connaître dans des délais très brefs 49.. Elles attestent du souci aigu de l’empereur Hadrien pour l’organisation de la vie agonistique de son temps. Et, sur l’une d’entre elles, ordre est donné à l’agonothète de placer le sac de cuir, rempli de l’argent du prix, à côté de la couronne ; le vainqueur, quant à lui, doit aussitôt après sa victoire « sous les yeux de tous s’emparer à la fois du sac et de la couronne ». Textes et images ne sauraient mieux se compléter. Il est donc possible de parler d’argent en relation avec les concours organisés jadis dans le monde grec passé, avec les siècles, sous domination romaine, car la documentation existe. Nonobstant les précieuses informations que livrent sur ce thème quelques auteurs anciens, tels Thucydide, Xénophon, Aristote et Plutarque, ou encore les poètes comiques et les orateurs attiques, ce sont les sources épigraphiques, archéologiques et numismatiques qui fournissent aux spécialistes la matière principale de leurs investigations. Ce sont elles aussi qui renouvellent le plus nos connais­sances, parfois même de manière spectaculaire. Ainsi de la correspondance de l’empereur Hadrien avec les Technites dionysiaques dont il vient d’être question ou des inscriptions portées sur une stèle en calcaire découverte, en 1992, dans une ville de Béotie orientale nommée Dilesi : constituant les premiers comptes du sanctuaire d’Apollon à Délion, elles éclairent le concours artistique et athlétique pan-béotien qui y était organisé dans les dernières décennies du iie siècle avant notre ère 50.. Toutefois ces documents sont souvent disparates, inégalement répartis dans le temps comme dans l’espace, mais encore disséminés dans toutes sortes de publications. Difficiles de surcroît à exploiter, ils requièrent décryptage méthodique et perspicacité 51.. Le tétradrachme d’argent choisi pour la couverture du présent ouvrage en fournit un témoignage incontestable. Trouvé, à la fin du xixe siècle, dans un trésor à Cos 52. et conservé aujourd’hui au British Museum 53., il est attribué à Péparéthos, et daté des années 500-480. Si l’identification du personnage ailé, qui occupe le centre de la monnaie et tient des couronnes à la main, a fait l’objet de nombreux débats (on y a vu d’abord un dieu du vent, puis, sur une suggestion de George Hill, la personnification du dieu des concours, Agôn, dont ce serait la plus ancienne représentation), on ignore toujours en réalité le contexte précis auquel rattacher ce monnayage. La documentation littéraire ne fournit pas le ­moindre in­­dice ; et, dans la documentation épigraphique, seul un décret de la cité nous apprend que, peu après 197, elle célébrait des Dionysia, dotées d’épreuves de tragédie à l’occasion desquelles avait lieu la proclamation des honneurs concédés aux bienfait
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Collection Théâtres du monde
Nombre de pages : 376
Langue : français
Paru le : 03/10/2010
EAN : 9782842922566
Première édition
CLIL : 3690 Théâtre
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