Avant-propos
Le présent ouvrage propose une réflexion sur le complotisme en littérature. Non tant comme sujet d’ouvrages littéraires – même si le premier chapitre en évoquera quelques exemples afin de poser le problème – que comme cas-limite de la mystification littéraire. Il s’agira donc d’abord des complots ourdis par les écrivains ou les critiques pour servir une cause ou pour brouiller leurs propres pistes, mais aussi de ceux que, dans le but rarement innocent de refaire l’histoire littéraire, l’on a prêtés à certains auteurs. Les deux aspects ne sont pas toujours faciles à distinguer, puisque tel complot avéré pour un critique n’en sera pas forcément un pour un autre exégète. On insistera ainsi sur la variété des types de complots possibles, mais aussi sur les constantes qui permettent, si faire se peut, de les différencier sans trop d’abus de langage.
Bien sûr, toutes les mystifications ne sont pas des complots ; certaines sont suffisamment ludiques pour échapper aux dérives néfastes du complotisme ordinaire. Toutefois – et c’est là l’un des enjeux de ce livre – j’aimerais soutenir ici l’idée que les mystifications complètement innocentes sont en fin de compte assez rares : elles peuvent provoquer, parfois même à l’insu de ceux qui les ont initiées, des effets secondaires non voulus tendant à infléchir le rapport du public aux catégories censément rassurantes du vrai et du faux. Une telle optique se ressent bien sûr des ravages exponentiels provoqués dans la société actuelle par le complotisme et les « vérités alternatives » depuis la présidence américaine de Donald Trump et la pandémie de Covid-19. On me reprochera peut-être de prendre excessivement au sérieux des polémiques qui, naguère encore, faisaient sourire ; mais le fait est que le monde d’aujourd’hui est moins que celui d’hier enclin à trouver inoffensives des entreprises que l’on hésite de moins en moins à classer sous l’étiquette de la désinformation. Si Nathalie Sarraute affirmait que la pratique littéraire était entrée depuis le milieu du xxe siècle dans « l’ère du soupçon », ce sont maintenant les savoirs scientifiques qui s’avèrent concernés par cette mise en question générale de nos certitudes.
La notion de mystification littéraire a suscité de nombreuses études (voir en particulier Jeandillou 1989 et 1994, Finné 2010 et Di Folco 2022) que le présent livre n’a pas vocation à supplanter. En revanche, l’idée de « complot littéraire » ne possède pas encore la même évidence. À partir de quand une entreprise de brouillage des références auctoriales ou de falsification prend-elle des allures de complot ? Le complot serait-il un cas-limite de la mystification ? Ou, au contraire, son prolongement naturel, pour ne pas dire fatal ? À moins que le terme ne soit simplement mal choisi ? Traditionnellement, les mystifications littéraires sont envisagées sur le mode du canular : les assimiler à des complots serait donc déplacé en raison du caractère d’innocuité qui leur est prêté. Mais, comme je viens de le rappeler, cette vision des choses apparaît aujourd’hui par trop angélique. Ainsi, même l’idée de l’unicité du mystificateur n’est jamais aussi évidente qu’on aimerait le penser. On ne mystifie pas si on n’espère pas entraîner dans son entreprise des naïfs toujours susceptibles de devenir complices de la perpétuation du mensonge. Le glissement peut donc être insensible de l’idée de mystification à celle de complot et il faudra ici être attentif aux nuances et aux ambiguïtés qui font parfois s’échanger les caractéristiques de ces deux notions.
Il est frappant que l’Esthétique de la mystification (1994) de Jean-François Jeandillou soit sous-titré Tactique et stratégie littéraire. Cela dit bien dans quel esprit l’ouvrage a été pensé. Son propos reste d’ordre essentiellement poétologique : il s’agit d’abord de décrire, du point de vue de la linguistique textuelle, les moyens utilisés par les écrivains pour complexifier le rapport qu’ils entretiennent avec ce qui émane de leur plume ; on ne sort donc guère de la littérature, et le travail de Jeandillou s’inscrit essentiellement dans le cadre relativement restreint de l’étude des pratiques d’écriture. Certes, il aborde dans sa conclusion des cas où « le monde factuel se transforme en monde contrefactuel, sous la pression des mondes possibles » (215) ; mais, somme toute, il ne prend pas plus au sérieux la tentative du père Hardouin, soutenant que les œuvres de Virgile et d’Horace avaient été écrites par des scribes du Moyen Âge que celle de Pierre Louÿs cherchant à attribuer à Corneille les œuvres de Molière, jugeant même « plaisant que plusieurs érudits se soient malencontreusement fondés sur de savantes analyses rhétoriques pour rechercher – et découvrir ! – des supercheries où il n’y en avait pas » (214). Un quart de siècle après ce livre fondateur, il est devenu difficile de prendre à la légère ce genre de théories, dont les tenants cherchent de plus en plus fréquemment à déstabiliser, voire à discréditer, la science établie. C’est précisément le mécanisme de ces constructions, parfois à la limite du révisionnisme, que l’on aimerait analyser ici en le subsumant sous l’étiquette de complotisme littéraire.
On ne refera donc pas l’inventaire de toutes les pratiques mystificatrices parfaitement répertoriées par Jeandillou, mais on tentera de dépasser la part de jeu inhérente à l’art littéraire, en mettant l’accent sur les cas où une intention maligne, réelle ou supposée, a pu mener à une confusion durable des catégories du vrai et du faux. Pour qu’il y ait complot, il ne s’agit en effet pas qu’un écrivain use d’un pseudonyme, ni même qu’il suppose un auteur derrière lequel il puisse se protéger (comme dans le cas Boris Vian-Vernon Sullivan), se faire valoir avantageusement (comme dans le cas Valéry Larbaud-Barnabooth), ou obtenir deux fois le prix Goncourt (comme dans le cas Gary-Ajar) ; il faut en outre que la réception de l’œuvre puisse être sérieusement altérée, au point que même après de nombreuses années, voire après plusieurs siècles, la vérité ne puisse plus apparaître de manière certaine.
On commence d’entrevoir en quoi l’objet que l’on s’est fixé ici ressemble et ne ressemble pas aux cas de complotisme dénoncés tous les jours dans les médias de notre société désorientée. Face aux fake news et aux délires interprétatifs suscités par la paranoïa ambiante, beaucoup d’« anticomplotistes » réagissent par une dénégation unilatérale de tout ce qu’il leur paraît s’apparenter à une désinformation galopante. Or, l’histoire, même la plus récente, nous montre que certains complots ont bel et bien existé : la stratégie de la Russie stalinienne pour cacher que le massacre de Katyn était de son fait en vue de l’attribuer aux nazis, le scandale du Watergate ou l’imputation à l’Irak de prétendues armes de destruction massive, prétexte à l’intervention américaine dans le Golfe, en offrent des exemples manifestes. Malgré tout, ceux-ci sont infiniment moins nombreux que ceux que l’on veut quotidiennement nous faire avaler et, surtout, ils sont assez rapidement éventés : la vitesse de divulgation d’un secret est fonction du nombre des personnes qui le partagent, ce qui rend à peu près nulle la vraisemblance qu’il puisse exister des complots efficaces à l’échelle mondiale.
Les mécanismes de propagation des informations délirantes qui favorisent le complotisme social ou politique ont été bien étudiés : ils reposent sur l’infinie crédulité humaine (voir Bronner 2013 et Wagner-Egger 2021), sur la frustration et le désir de puissance de ceux qui s’estiment trop éloignés des cercles dirigeants (voir Imhoff 2021) et sur la fascination millénaire pour les « légendes urbaines » (voir Kapferer 1990 et Renard 2002). Le premier, et presque le dernier, axiome des tenants de ces théories est qu’« on nous ment », et cette affirmation, qui englobe souvent sans discrimination les gouvernants, les scientifiques et même la presse (alors que la vocation de celle-ci a précisément – presque – toujours été de dénoncer les complots), devrait suffire à discriminer les inventeurs de complots des simples sceptiques. Curieusement, pourtant, au lieu de se faire un étendard de cette étiquette, les complotistes rivalisent généralement de mauvaise foi pour affirmer qu’ils ne le sont pas, à la manière de ces francs-maçons qui, selon la boutade d’Umberto Eco, se reconnaîtraient infailliblement au fait qu’ils nient leur appartenance à la franc-maçonnerie. La dénonciation des complots et de leur logique paranoïde est aujourd’hui devenue l’activité principale de nombreux chercheurs et journalistes, avec qui je ne chercherai pas à rivaliser ici. Mon objet étant le domaine de l’écrit, et plus spécialement de la littérature (mais j’aborderai également l’écriture historique), j’aurai à évoquer des logiques qui, à la fois, se rapprochent et se distancient de celles présidant à la formation des complots de société, où elles prolifèrent allègrement. Il conviendrait donc sans doute de réserver le terme de complot, dans le domaine de l’art, à des entreprises réellement comparables à celles qui menacent notre appréhension de la réalité dans le cas des complots de société.
Mais, encore une fois, la distinction est-elle toujours possible ? Au risque de prendre excessivement au sérieux des stratégies de brouillage assurément bien innocentes face à l’idée, par exemple, que Bill Gates chercherait à alléger la planète de 20 % de ses habitants, on fera place ici à des « complots » dont la caractérisation comme tels pourra être discutée. Mais je préfère ratisser large que de m’en tenir à des catégorisations trop strictes qui m’empêcheraient d’évoquer des exemples particulièrement intéressants par leur ambiguïté même, l’ambiguïté étant de toute façon une notion-clé commune aux pratiques mystificatrices et complotistes.
Concrètement, cependant, il peut être utile d’énumérer ici quelques-unes des caractéristiques que devrait avoir un « complot littéraire » :
– il vise à faire passer l’attribution d’un texte ou d’un corpus pour autre qu’elle n’apparaît ostensiblement ;
– il est destiné à tromper volontairement son monde ;
– il peut être le fait d’un auteur isolé ou d’un groupe, mais, dans le premier cas, table sur la complicité au moins passive de certaines personnes, voire de toute une communauté ;
– ses traces ont été soigneusement effacées afin que le dévoilement ne puisse, du moins dans un premier temps, pas être imputé à ses auteurs ;
– ses tenants et aboutissants ont dépassé le simple plaisir de s’amuser pour procurer un avantage au moins symbolique aux auteurs ou à un groupe plus large.
Évidemment, ces critères ne disent rien sur la réalité des constructions auxquelles ils s’appliquent, car celles-ci n’ont été avérées que dans une minorité de cas. Jusqu’à preuve du contraire, le complot littéraire, comme le complot politique, est une construction éminemment problématique et l’on attend de ceux qui le dénoncent des preuves solides de ce qu’ils avancent.
Par ailleurs, si leur négation par les « gens raison–nables » est généralement interprétée par les complotistes comme un élément intrinsèque de la machination qu’ils dénoncent, on remarquera que les deux attitudes peuvent se trouver dissociées dans le cas du complot littéraire : le prétendu arrangement tendant à remplacer un auteur par un autre (Virgile par un moine copiste médiéval, Molière par Corneille, Shakespeare par n’importe qui) est un complot, mais la dénégation des spécialistes soucieux de sauvegarder les prérogatives de l’auteur contesté en est un autre aux yeux des tenants du premier, et d’un type tout à fait opposé.
Cela étant, qu’il s’agisse de complots politiques ou littéraires, c’est toujours la science qui, en dernière analyse, se trouve remise en question : que l’on conteste l’efficacité des vaccins ou la compétence des littéraires à identifier correctement l’auteur d’une œuvre, la critique porte très généralement sur la responsabilité des spécialistes, accusés au mieux de ne pas savoir leur métier et au pire de faire sciemment le jeu de groupes de pression qui nous veulent du mal. Et ce qui complique le jeu, c’est que les accusations complotistes n’émanent pas toujours de milieux complètement extérieurs à la science : parmi ceux qui promeuvent des thérapies (ou des non-thérapies) aberrantes, il y a d’authentiques médecins, de même que parmi ceux qui contestent les acquis de l’histoire littéraire se trouvent de véritables universitaires. Si la frustration et le ressentiment restent sans doute les moteurs majeurs du complotisme, ils ne sont donc pas toujours le fait de ceux qui n’ont aucun accès au savoir ou au pouvoir. C’est que, comme le disait le philologue Joseph Bédier à son collègue Mario Roques, les meilleurs savants peuvent être, par désir de gloire ou plus simplement de singularisation, « “piqués” par la tarentule d’une hypothèse loufoque » (lettre inédite du 28 août 1928, conservée à la Bibliothèque de l’Institut). Malgré tout, le cas le plus fréquent reste que le complotisme « de l’intérieur » se développe sur les marges plutôt qu’au centre d’un domaine : un universitaire aura plus volontiers une « hypothèse loufoque » lorsqu’il sortira de sa zone de confort, de même que les vaccino-sceptiques sont plus nombreux parmi les aides-soignants que parmi les médecins diplômés.
On cite souvent l’adage de Louis Pasteur : « La science n’a pas de patrie, mais le savant en a une. » On pourrait lui ajouter ce corollaire : la science est humble, mais le savant ne l’est pas toujours. Et un certain relativisme scientifique, issu en particulier de la pensée sceptique de Paul Feyerabend (1979), tendrait même à nous souffler qu’il ne l’est jamais. Ainsi, Stephen Jay Gould n’hésitait pas à s’élever « contre le mythe selon lequel la science est en soi une entreprise objective qui n’est menée à bien que lorsque les savants peuvent se débarrasser des contraintes de leur culture et regarder le monde tel qu’il est réellement » (Gould 1997 : 53). Conscient que « la science, parce que ce sont des individus qui la font, est une activité qui plonge ses racines dans la société » (ibid. : 54), il en tirait cependant la conclusion que la connaissance de ces limitations était précisément la condition sine qua non de l’honnêteté scientifique, car ces individus qui en sont les garants ont des garde-fous. La science n’est en effet pas un corpus d’affirmations péremptoires, mais une méthode de recherche et une école de vérité : si ses résultats sont toujours révocables, sa démarche et ses procédures peuvent être appliquées avec confiance ; elles constituent le seul moyen de savoir raison garder dans le labyrinthe des hypothèses proposées à notre sagacité.
On ne saurait donc minimiser les cas qui seront ici analysés sous prétexte qu’ils ne seraient « que de la littérature ». L’esprit humain ne fonctionne pas foncièrement différemment, que le sort de la planète soit en jeu ou que les conséquences soulevées par certaines affirmations aberrantes soient plus circonscrites. En analysant les mystifications littéraires et leurs dérives révisionnistes, j’ai l’espoir d’apporter une modeste pierre au grand effort de compréhension du phénomène complotiste en général, effort qui est sans aucun doute l’une des tâches urgentes de notre temps. Si nombre de cas que j’évoquerai pourront prêter à sourire, ce sera tout bénéfice pour le lecteur ; mais il ne faudra jamais perdre de vue que le rire est aussi facteur de division : ceux qui imaginent que Shakespeare ne peut en aucun cas avoir été Shakespeare n’ont guère conscience de leur ridicule, et Vrain-Lucas, même s’il a mis les rieurs de son côté en compromettant le Collège de France (voir chapitre 4), n’en a pas moins été condamné (et à raison !) par la justice.
Mon enquête s’organisera en huit grandes étapes. Dans le premier chapitre (« Quand les écrivains cherchent le Graal »), je planterai le décor en évoquant quelques romans modernes construits autour de complots supposés, et l’on verra que la façon dont les écrivains traitent cette question en dit déjà long sur l’idéologie qu’ils défendent, parfois inconsciemment. Dans un deuxième chapitre (« L’anonymat médiéval »), j’explorerai les pratiques d’une époque qui a tout spécialement fait fantasmer les amateurs de mystères littéraires, à savoir le Moyen Âge, que la carence de notre information transforme volontiers en terrain de jeu complotiste. On ne manquera sans doute pas de voir dans cette focalisation sur l’époque médiévale un reflet de la spécialisation de l’auteur de cet ouvrage, mais on peut renverser ce reproche de partialité en soutenant qu’un médiéviste est peut-être particulièrement bien placé pour traiter des faux littéraires. Le troisième chapitre (« Vertiges de la pseudonymie ») traitera de l’évolution moderne de la pratique des noms de plume, en particulier à partir du moment où les pseudonymes cessent d’être simplement rhétoriques ou sécuritaires, pour développer des stratégies plus complexes qui peuvent durablement troubler le monde littéraire. Le quatrième chapitre, ensuite (« Faux et usages de faux »), repartira d’exemples liés au Moyen Âge afin de suivre la piste des faux documentaires qui ont fleuri jusqu’à notre époque, en s’autorisant souvent d’une Antiquité vénérable qui donnera du poids à des revendications politiques de tout acabit. La question politique s’invitera avec plus d’insistance encore dans le cinquième chapitre (« Le roman de la science ») qui, en partant du syntagme consacré de « fous littéraires », proposera une excursion dans le domaine des controverses scientifiques, occasion de souligner la solidarité des sciences humaines et des sciences exactes lorsqu’il s’agit d’évaluer la rigueur de certaines méthodes. Avec le sixième chapitre (« Cherchez la femme »), je reviendrai à des questions plus strictement littéraires en enquêtant sur toutes les théories qui ont tendu à mettre en avant de prétendues signatures féminines dans de grandes et de plus modestes œuvres, ou au contraire à minimiser la présence des femmes dans le canon des écrivains, ce qui permettra de dessiner en creux une très brève histoire du féminisme (et de l’anti-féminisme) en littérature. Le septième chapitre (« En haine du théâtre ») sera consacré à deux grands dossiers profondément solidaires, puisque tous deux remettent en question ce que l’on croit savoir de la pratique théâtrale du xviie siècle, en se focalisant respectivement sur la paternité des œuvres de Shakespeare et de Molière. Enfin, le huitième et dernier chapitre (« De quelques poètes maudits ») évoquera quelques auteurs de la fin du xixe siècle et en particulier Rimbaud, qui présente l’intérêt d’avoir suscité des interrogations extrêmement variées, dont l’une – ce sera notre surprise finale – n’a peut-être, contrairement aux apparences, rien d’un complot.
Un large éventail de cas d’espèces sera ainsi développé, car un complot est aussi – et peut-être même surtout – un récit, et ce, comme on l’a dit, à un double titre puisqu’aux romans des auteurs supposés s’ajoute l’histoire des enquêtes et contre-enquêtes que chacun a nécessitées, tel détour ou tel rebondissement apparemment contingent pouvant souvent se révéler riche d’enseignements. On peut invoquer ici la réflexion de Luc Boltanski qui, dans Énigmes et complots (2012), a justement souligné la concomitance du succès des romans policiers et d’espionnage et de la tendance moderne à voir des complots partout. La forme narrative que prendra fréquemment mon exposé n’est donc au fond qu’une conséquence de la prégnance de son objet, et de la contrainte imposée par la nécessité de dévoiler sinon toujours des vérités, du moins des probabilités de solution acceptables. À travers tous les cas de figure qui seront ici détaillés, je tâcherai ainsi de ne pas me laisser égarer par des jugements de valeur intempestifs, la mise au jour des stratégies argumentatives à l’œuvre d’un côté comme de l’autre de la construction discutée étant souvent plus intéressante que la résolution définitive de ces polémiques. Tout au plus puis-je espérer apporter un peu de lumière à certaines vieilles questions et éviter autant que faire se peut d’en augmenter encore la confusion.
Une dernière précision avant d’entrer dans le vif du sujet : l’essentiel du présent livre était écrit lorsqu’a paru l’ouvrage de Florian Cafiero et Jean-Baptiste Camps Affaires de style (2022) qui traite, d’un point de vue stylométrique, d’un très grand nombre de cas d’attributions litigieuses empruntés à la littérature à l’histoire, mais aussi à la politique et à quelques grandes affaires criminelles. Sur les exemples littéraires, certaines de nos considérations se recoupent et, Cafiero et Camps étant comme moi des médiévistes, on ne s’étonnera pas que nous ayons pu évoquer ici ou là les mêmes exemples. Mais nos méthodologies divergent : ma démarche n’étant pas essentiellement stylométrique, et mon but n’étant pas forcément de dégager la vérité ultime des cas que je traite, nos analyses ne s’identifient pas, et je n’évoquerai les analyses de Cafiero et Camps que lorsqu’elles s’avéreront directement utiles à mon propos.