Sylvie JOYE et Emmanuelle SANTINELLI-FOLTZ
LE COUPLE : UNE DÉFINITION DIFFICILE,
DES RÉALITÉS MULTIPLES
Si on a beaucoup parlé de la crise de la famille1, et si les polémiques sur le genre ont agité non seulement le monde universitaire mais aussi les médias en France il y a un ou deux ans2, c’est sur la définition du couple que se concentrent les débats depuis quelque temps, en particulier à l’occasion de la discussion autour du mariage des homosexuels en France et alors que la législation à ce sujet est aussi en pleine mutation dans une partie de l’Europe et de l’Amérique3. Si les enjeux de ces débats sont propres à nos sociétés contemporaines, certaines périodes passées ont déjà vu la réflexion sur le mariage, le couple et la famille prendre une grande importance et susciter difficultés et résistances. C’est en particulier le cas de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge, où le couple est devenu un enjeu essentiel de la réflexion sociale et morale. Après avoir replacé la question du couple dans les débats anthropologiques, l’analyse d’un extrait des Histoires de Richer permettra ici de préciser les problématiques pour le haut Moyen Âge, où la notion de couple et l’affirmation de sa place comme « structure portante » de la société connaissent des évolutions considérables.
Questionnements anthropologiques
Quelle définition du couple ?
Les grandes figures des sciences humaines et de l’histoire, réagissant aux débats contemporains, se sont intéressées ces dernières années à la question du couple. Ainsi, Maurice Godelier, figure tutélaire de l’anthropologie de la parenté, a donné à l’occasion du récent débat sur le mariage un entretien au journal Le Monde le 17 novembre 2012 où il revient sur les liens entre mariage, famille et couple, s’interrogeant sur la place du couple dans la formation de l’individu. Paul Veyne avait déjà été l’un des premiers signataires d’un texte, paru dans le même journal en 1996 sous sa plume et celle de P. Bourdieu, J. Derrida, D. Eribon, M. Perrot et P. Vidal-Naquet, qui s’interrogeait sur la définition du couple : les premières discussions étaient alors engagées au sujet de la possibilité d’un contrat formant un couple pour les homosexuels aussi bien que pour les hétérosexuels. À l’époque, la jurisprudence disait clairement qu’un couple devait être composé d’un homme et d’une femme4.
Le couple est défini actuellement, et cette définition peut également valoir pour notre étude sur le haut Moyen Âge, par le partage entre deux personnes d’une sexualité reconnue socialement et accompagnée, mais ce n’est pas toujours le cas, de la cohabitation5. Le couple se trouve aussi à la conjonction de deux notions fondamentales, la famille et la parenté. Objet de toutes les attentions de la part des sociologues6, la notion de couple ne semble en revanche pas avoir tenu un rôle central dans les écrits anthropologiques français7 jusqu’à ces dernières années8, peut-être parce que l’idée de l’échange des femmes par l’alliance et celle de filiation se trouvent finalement en deçà et au-delà du couple. On vit, il est vrai, en couple, mais cette notion n’est que très partiellement institutionnelle et la répartition des rôles, les relations et la constitution du couple ne se réduisent pas aux lois du mariage, pour ne citer que cet aspect. Les études de terrain, l’ethnologie et les réflexions de type plus culturaliste ont, de ce fait, centré davantage leur approche sur le couple. Le discours sur les liens entre public et privé, deux notions qu’on répugne à distinguer pour le haut Moyen Âge, et entre l’intime et le social, constitue un élément essentiel lorsque est abordée la notion de couple : celle-ci met l’accent sur la relation entre deux individus et pas seulement sur leur unité. Elle pointe en particulier la répartition des rôles et celle des attributs masculins et féminins entre homme et femme au sein du couple. Nous n’envisagerons en effet ici que des couples formés par un homme et une femme : les couples de même sexe apparaissent peu dans les sources et leur union ne semble pas bénéficier d’une réelle reconnaissance sociale9. La question d’une éventuelle existence de la polygynie, de son statut et des répercussions qu’elle peut avoir sur les relations entre les individus impliqués, est abordée par Régine Le Jan dans l’article qu’elle donne dans ce numéro de Médiévales. Si le mariage est l’objet d’un soin de plus en plus important au fil de la période, les couples qui existent en dehors du mariage ne peuvent être négligés10.
Évolution du couple et transformations sociales et politiques
Le discours et le personnel religieux jouent à la fin de l’Antiquité et durant le haut Moyen Âge un grand rôle, mais le christianisme n’est pas l’élément fondateur de l’idéologie du couple. Paul Veyne, dans son fameux article de 1978, a bien réfuté le lien classiquement établi entre moralisation de la famille et influence chrétienne. Il présente le nouveau statut du mariage, du couple et de l’idée d’amour conjugal comme le résultat d’une mutation intervenue durant les deux premiers siècles de notre ère et généralisée à l’époque des Sévère. La stabilité du couple et l’idée d’amour conjugal paraissent alors devenir la norme, et ce avant qu’ait pu s’exercer toute influence chrétienne, et sans que l’on puisse par ailleurs imputer ce changement à une prétendue morale stoïcienne, parfois conçue comme le terreau de cette mutation11. Mais le couple n’est qu’un épiphénomène de « l’histoire sexuelle romaine » (en fait l’histoire du discours sur la sexualité), qui constitue d’ailleurs, d’après Paul Veyne lui-même, l’objet réel de son article12. Pour lui, l’émergence du mariage, de la famille et de l’amour conjugal était avant tout une conséquence du changement d’attitude face à la sexualité, changement engagé durant les deux premiers siècles de notre ère qu’il liait à une mutation politique : soit le passage d’une « aristocratie concurrentielle », qui allait de pair avec un couple écrasé par la domination masculine et qui n’avait pas à se justifier par les sentiments, à une « aristocratie de service », qui « s’invente une morale conjugale et sexuelle, afin que la discipline lui vienne de nouveau de l’extérieur ». Cette fois encore, cependant, il faut prendre en compte les effets qu’entraîne le recours aux sources et les propositions de Paul Veyne ont pu être contestées par des auteurs qui y sont retournés13. Il n’en demeure pas moins qu’il faut sans doute lier l’attention nouvelle portée au couple à des transformations sociales et politiques, et qu’il faut surtout se garder de la rattacher uniquement à la christianisation de l’Occident.
Un lien aussi direct entre évolution du couple et évolution sociale et politique n’a pas été mis en lumière par les médiévistes, même s’il faut noter les recherches récentes que Tiziana Lazzari a consacrées à des modèles de couples dont la condamnation, par les lois et les conciles, semble impliquer le refus de certains modes de fonctionnement économiques et communautaires dans l’Espagne wisigothique et l’Italie lombarde14. La valorisation du couple à la période carolingienne a cependant été bien soulignée par Pierre Toubert15 et Régine Le Jan16. Le couple est un sujet qui revêt alors une grande importance pour les autorités (diverses), en ce qu’il est conçu à la fois comme l’atome essentiel de la société et le modèle des bonnes relations entre individus dans tous les domaines : image alors bien mise en avant, mais qui n’est sans doute pas caractéristique uniquement de l’époque carolingienne, où les sources théoriques sur le sujet se multiplient. En ce domaine, il faut surtout faire la part des constructions idéologiques et des réalités, et s’interroger sur les relations existant entre les unes et les autres.
Si le modèle du couple peut être transféré du haut de la société vers le bas (ou inversement des strates les plus modestes aux plus élevées), il faut se garder de trop généraliser nos observations à tous les niveaux de la société ou à tous les types d’organisation ou d’habitat. Même dans un milieu précis, les données et les évolutions sont complexes : ainsi Kate Cooper a bien montré le paradoxe, du point de vue des femmes, de ce que signifia la promotion du couple et de l’idéal conjugal au ive siècle, notamment parce qu’il fut contemporain d’une très grande valorisation de l’ascétisme chez les dames de l’aristocratie romaine. L’influence morale de la femme dans le couple et la famille devient du même coup, cependant, un thème majeur à partir de cette époque17.
Même si les études réunies dans ce volume traitent surtout des dames de l’aristocratie et de la théorie du couple idéal, les auteurs ont cherché à y faire apparaître, autant que possible, les traces des relations, bonnes ou mauvaises, qu’entretenaient les individus vivant en couple, et pas seulement leurs rôles tout constitués. Une grande place est faite au partage (des biens certes, mais aussi des sentiments ou du travail) pour discerner un couple qui vit au rythme de cycles et de reconfigurations.
Le mariage raté de Louis V et Adélaïde, d’après Richer
Si certains questionnements sont universels (ce qui ne signifie pas qu’ils se posent de la même manière à toutes les époques), d’autres sont propres au haut Moyen Âge, à sa société et aux sources qui l’éclairent. L’analyse du récit que fait Richer, à la fin du xe siècle, du mariage raté du jeune roi Louis V au début des années 980, permettra de soulever les problèmes de la documentation, de faire le point sur les données fournies par les travaux récents sur les premiers siècles médiévaux, les femmes ou le genre, et de proposer des questionnements sur la thématique du couple entre les vie et xiie siècles. Selon le moine de Saint-Remi de Reims :
Comme le roi [Lothaire] voulait que son fils Louis lui succédât sur le trône […] Louis fut proclamé roi (c. 91).
[…] De rusés personnages […] allèrent trouver la reine Emma […]. Ils lui dirent que ce serait une excellente chose que de faire épouser, au roi Louis, Adélaïde, épouse (uxor) de Raimond, duc des Goths, mort récemment. Du fait de ce mariage, […] sa capacité d’exercer le pouvoir en serait accrue […] il lui serait possible de soumettre à sa domination tout à la fois l’ensemble de l’Aquitaine et la Gothie, après avoir transféré les places les plus fortifiées du droit de sa nouvelle épouse (ex jure ductae uxoris) au sien ; de plus […] le père et le fils, installés, l’un en deçà et l’autre au-delà, pourraient sans relâche menacer le duc [Hugues Capet] et le reste de leurs ennemis ainsi encerclés au milieu (c. 92).
[…] Le projet qui avait été suggéré au roi, fut adopté en présence du comte Geoffroi [d’Anjou]. […] Les deux rois partirent pour l’Aquitaine […] (c. 93).
Adélaïde les reçut avec grand apparat. […] Le roi Louis l’épousa (eam sibi uxorem copulavit) et l’éleva à la royauté en la faisant couronner par les évêques. […] L’amour conjugal (amor conjugalis) était chez eux presque nul. Comme lui était tout juste pubère (adhuc pubesceret) et elle déjà une vieille femme (anus foret), ils ne s’entendaient pas du fait de leurs caractères contraires (contrariis moribus dissentiebant). Ils refusaient de faire lit commun (cubiculum commune) et pour se reposer, ils rejoignaient des toits différents (divertiis hospitiis potiebant). Lorsqu’ils avaient à s’entretenir, ils le faisaient dans un lieu en plein air. Leur conversation se bornait à quelques paroles très brèves. Ceci dura entre eux près de deux ans ; puis leur désaccord devint tel qu’un divorce (divortium) ne tarda pas à s’en suivre (c. 94).
[…] La reine […] se rendit auprès de Guillaume d’Arles et l’épousa. Son divorce devint ainsi un adultère public (adulterium publicum) (c. 95)18.
Repérer les couples dans les sources
Le récit évoque deux couples : d’une part, celui formé par le roi Lothaire (954-986) et la reine Emma ; d’autre part, celui constitué par leur fils Louis V et Adélaïde19. Il s’agit de couples, au sens de l’union d’un homme et d’une femme qui présente une certaine stabilité, notamment du fait de la conclusion d’un mariage, mais que l’auteur ne présente pas agissant conjointement ou se comportant véritablement comme maris et femmes. En ce qui concerne le premier, Richer ne parle que du roi et de la reine, sans préciser qu’ils sont mariés – ni avoir évoqué dans les chapitres précédents leur mariage ou les avoir montrés ensemble : il évoque tantôt l’un, tantôt l’autre, même si l’on suppose que « les rusés personnages » s’adressent à la reine avant de se tourner vers le roi, dans l’espoir qu’elle intervienne pour convaincre ce dernier, ce qui implique des discussions entre époux. Si l’auteur ne mentionne pas la reine aux côtés du roi lorsque le projet de mariage est adopté, puis lorsque Lothaire conduit son fils pour le marier en Aquitaine, cela ne signifie pas qu’elle n’était pas présente, compte tenu de son rôle par ailleurs attesté20, mais Richer se focalise sur les hommes. Quant au second couple, celui formé par Louis V et Adélaïde, on sait qu’il en est un, puisque Richer évoque le mariage, mais celui-ci montre ensuite que les deux époux ne se comportent pas comme tel.
Les extraits posent donc la question du repérage des couples dans les sources. Ceux-ci sont identifiés par déduction : comme ici, parce que l’auteur évoque un mariage ou parce qu’il mentionne deux individus de sexes différents de même statut (royal), dont l’union est confirmée par un autre passage ou une autre source ; plus souvent, parce que la documentation – narrative, mais aussi diplomatique, nécrologique, voire administrative avec les polyptyques – met en scène des hommes et/avec leur femme (uxor, conjux), voire plus rarement des femmes et/avec leur mari (maritus, coniux), ou encore parce qu’elle évoque le père et la mère d’un individu. Le pluriel (conjuges) n’est que rarement utilisé pour désigner les époux. Quant au terme parentes, s’il désigne parfois le père et la mère envisagés ensemble, il renvoie plus souvent aux membres de la parenté et, même dans le premier sens, il désigne le couple, non dans le rapport qui existe entre conjoints, mais dans sa relation aux enfants. Quelques moralistes carolingiens considèrent certes que les époux forment un consortium21, ce qui montre qu’ils envisagent l’homme et la femme mariés comme une entité propre. Mais, en dehors de cet usage, il faut attendre le milieu du xiie siècle pour que soit utilisé le terme spécifique de « couple » (copula ; cuple) pour désigner l’union d’un homme et d’une femme22. Si le terme de couple n’existe pas au haut Moyen Âge, en revanche, les sources mentionnent parfois l’adjectif « conjugal » (conjugalis), à l’image de « l’amour conjugal » évoqué par Richer.
L’usage de l’adjectif, ainsi que la mention de certaines pratiques, montrent que l’absence d’un substantif spécifique n’exclut pas la réalité du couple ni une certaine conscience de son existence. Le manque de vocabulaire distinctif entraîne néanmoins des difficultés de repérage (outre les périphrases qui excluent le recours aux index, il faut parfois croiser plusieurs extraits, voire plusieurs sources, pour identifier les couples). Il invite, en outre, à s’interroger sur la perception du couple : si certains moralistes le considèrent comme une communauté de vie et d’affection, qu’en est-il du reste de la population, tant des autres élites pensantes que des hommes et femmes mariés ? Ce consortium proposé en modèle aux époux est-il un idéal pour tous ? Et trouve-t-il des échos dans la société ? Ces questions méritent d’autant plus d’être posées que, si certaines sources évoquent côte à côte des époux ou des parents qui forment, à nos yeux du moins, des couples, elles mentionnent beaucoup plus souvent des hommes – et plus rarement des femmes – agissant seuls, du moins sans conjoint, ce qui ne signifie pas qu’il n’y en ait pas, ni même que celui-ci soit absent.
Couples et groupes familiaux
Dans les extraits sélectionnés, il est d’abord question du mariage de Louis V et d’Adélaïde, acte créateur du couple. Richer met alors en lumière deux idées : d’une part, le mariage de Louis est lié à l’association de celui-ci à la royauté (879), consécutive à son passage à l’âge adulte ; d’autre part, il s’inscrit dans les stratégies familiales. Élevé à la royauté par son père alors qu’il est « tout juste pubère »23, Louis V est établi : il reçoit donc à ce titre un royaume (l’Aquitaine) et une épouse (Adélaïde). Le choix de celle-ci ne revient pas à Louis V, mais à ses parents, et n’est pas guidé par les qualités particulières d’Adélaïde, même si certaines ont pu entrer en ligne de compte, mais par les stratégies familiales. Le projet est négocié, non par les intéressés, mais, conformément aux pratiques d’alors, par le roi Lothaire, père du futur marié, et par le comte Geoffroi Grisegonelle d’Anjou, frère d’Adélaïde, qui exerce l’autorité sur le groupe familial de la promise – et notamment les enfants, les filles non mariées et les femmes devenues veuves – depuis que son père Foulques II le Bon (960) est mort. Richer semble en faire une initiative des Angevins, si l’on considère que les rusés personnages qui vont trouver la reine Emma sont des fidèles du comte d’Anjou : le mariage de sa sœur avec le roi doit lui permettre de renforcer son alliance avec les Carolingiens et de s’élever dans la hiérarchie princière, ce qui le favorise sur l’échiquier des forces aux dépens de ses voisins et rivaux, Hugues Capet et Guillaume IV d’Aquitaine. Richer insiste cependant sur les avantages en termes de pouvoir que la royauté peut retirer de ce mariage.
La formation du couple – par le biais du mariage –, avec son rôle dans les stratégies familiales, mais aussi ses étapes et les transferts de biens, voire de pouvoir, auxquels elle donne lieu, est aujourd’hui mieux connue24, même si l’on mesure mal la conscience qu’en avaient les individus : estimait-on que l’union légitime d’un homme et d’une femme aboutissait à la construction d’une entité se pensant et agissant solidairement ? Il n’en demeure pas moins que Louis V est conduit à sa femme et reste en Aquitaine : même si le couple se trouve inséré dans des groupements plus larges dont il sert les intérêts, il vit au quotidien de manière autonome. Régine Le Jan a montré en outre que les interdits de parenté, durcis à partir de l’époque carolingienne par les autorités religieuses, avaient contribué, en luttant « contre les pratiques qui sous-tendaient les solidarités familiales », à promouvoir le couple conjugal25. Pour autant, il reste à préciser comment s’est traduite concrètement la promotion du couple.
Quel couple ?
Richer précise qu’Adélaïde, donnée en mariage à Louis, est veuve de Raimond de Toulouse – épousé après la mort d’un premier mari, Étienne de Brioude. En outre, après avoir divorcé de Louis V, Adélaïde se remarie avec Guillaume de Provence (qui était veuf)26. La forte mortalité – masculine (activités guerrières, écart d’âge au mariage), mais aussi féminine (procréation), même si celle-ci est un peu moindre27 – et, plus rarement, les séparations conduisent à multiplier les unions successives et, par conséquent, à faire partie de plusieurs couples : quatre pour Adélaïde, ce qui n’est pas exceptionnel, même si les remariages d’un individu – pratique des plus courantes, pour les hommes comme pour les femmes28 – sont généralement moins nombreux. Cela pose la question de savoir comment sont appréhendés ces différents couples auxquels un même individu peut avoir appartenu et comment le souvenir de ces couples successifs est entretenu. Il n’est pas inintéressant de noter que Richer présente Adélaïde comme « épouse » (uxor) d’un mari récemment décédé, et non comme veuve (vidua ou relicta) de celui-ci : peut-être du fait des droits auxquels celle-ci peut prétendre comme (ex-)épouse du défunt29. En revanche, Richer occulte le premier mariage d’Adélaïde, et donc son premier couple – connu par d’autres sources –, parce que cela n’entre pas dans son propos.
Plus généralement, les sources montrent que les contemporains sont attentifs au souvenir des différents couples auquel un même individu a pu participer, du moins en certaines occasions : c’est notamment le cas lorsqu’il est question des enfants et de la memoria. Les enfants sont, en effet, régulièrement présentés comme fils ou filles d’un tel et d’une telle, donc comme enfants d’un duo de parents, même si l’objectif n’est pas tant de conserver le souvenir du couple que des droits, matériels et immatériels, auxquels l’individu peut prétendre du fait de sa mère et de son père. Lorsqu’un homme ou une femme a eu des enfants de plusieurs partenaires successifs, il arrive aussi régulièrement que soit précisé de quelle union ceux-ci sont nés. Le souvenir du couple, voire des différents couples, dont un individu a pu faire partie est aussi entretenu par le biais de la memoria (mémoire liturgique, par le biais de prières dites en faveur de l’âme des défunts), dont la pratique se développe à l’époque carolingienne. Les chartes enregistrent ainsi des donations réalisées, à charge pour les religieux bénéficiaires de prier pour les père et mère du donateur, voire pour un conjoint décédé. Malgré le caractère temporaire des couples, lié aux aléas de la vie, ces derniers peuvent garder par ce moyen une certaine pérennité au-delà de leur dissolution : il convient néanmoins de préciser la fréquence de cette pratique, ses formes et les évolutions observables.
La dernière précision donnée par Richer dans les extraits cités, concernant le remariage d’Adélaïde, pose en outre la question de la définition du couple et des différentes façons de l’envisager : à une époque où l’Église cherche à imposer plus fermement l’indissolubilité du mariage30, l’union d’Adélaïde qui suit son divorce avec Louis V est qualifiée « d’adultère public » par l’auteur, qui considère comme plusieurs de ses contemporains ecclésiastiques qu’Adélaïde ne peut se remarier tant que Louis V est vivant. Cette nouvelle union n’en est pas moins considérée comme légitime par la majorité des élite