Jean-Patrice BOUDET : « Charles V, Gervais Chrétien et les manuscrits scientifiques du collège de Maître Gervais »
Considéré par Simon de Phares et par certains historiens qui ont cru bon de lui faire confiance comme une institution axée principalement sur l’astrologie et la médecine, le collège fondé par le premier « physicien » de Charles V, Gervais Chrétien, en 1371, était en fait destiné en priorité, au départ, à des étudiants en théologie. Ce n’est qu’en 1377 qu’y furent instituées deux bourses de scholares regis, spécialisées dans « les sciences mathématiques licites », et deux bourses en médecine. Mais le rayonnement de l’activité de ces boursiers semble avoir été assez modeste et, autant qu’on puisse le savoir en consultant les sources subsistantes, notamment les manuscrits qui ont appartenu au collège de Maître Gervais et à certains de ses membres, cet établissement était voué bien davantage à l’étude de la théologie qu’à la médecine et au quadrivium.
Charles V – collège de Gervais Chrétien – astrologie – médecine – manuscrits scientifiques
Antoine CALVET : « La tradition alchimique latine (XIIIe siècle-XVe siècle)
et le corpus alchimique du pseudo-Arnaud de Villeneuve »
Un corpus alchimique médiéval, comme celui du pseudo-Arnaud de Villeneuve, est le plus souvent un ensemble de textes apocryphes. À la différence de l’œuvre authentique d’un auteur, sa formation n’obéit pas aux règles classiques de formation de textes livrant la pensée de ce dernier et mettant en évidence la logique d’un projet intellectuel. Ici, le corpus réunit des textes placés sous le patronage d’Arnaud de Villeneuve autour de doctrines et d’intentions divergentes, de textes composés à des époques différentes par des anonymes, rarement datés, des textes enfin dont le contenu peut considérablement varier d’une copie à l’autre. Notre propos est donc de fournir dans cet article une vision panoramique de ce corpus alchimique attribué au célèbre médecin en repérant les points communs (ou divergents) de tous ces textes et marquant leur évolution dans un contexte historique marqué par un christianisme prophétique de plus en plus accentué.
Alchimie – Arnaud de Villeneuve – Raymond Lulle – textes apocryphes
Mireille AUSÉCACHE : « Manuscrits d’antidotaires médiévaux : quelques exemples du fonds latin de la Bibliothèque nationale de France »
Les antidotaires, recueils de médicaments composés, sont de précieux témoins de l’évolution de la médecine médiévale, évolution marquée par le tournant des XIe-XIIe siècles, sous l’influence de Salerne. Généralement inédits, leur étude passe par l’examen des témoins manuscrits qui les conservent, tâche souvent rendue difficile par l’imprécision de la plupart des catalogues de bibliothèques et le faible nombre de répertoires spécialisés. Le fonds de la Bibliothèque nationale de France est riche en manuscrits médicaux contenant des antidotaires. Le type de recueil dans lequel ils figurent, les éventuelles traces d’utilisateurs ou de possesseurs sont autant d’indications sur la place occupée par ces textes dans la pratique médicale au Moyen Âge. L’étude porte principalement sur quatre antidotaires, trois ouvrages portant la marque de Salerne : l’Antidotarius magnus, le Liber iste attribué à Platearius, l’Antidotarius Nicolai et un recueil très différent des précédents, le Pomum ambre.
Antidotaires médiévaux – Salerne – Manuscrits médicaux – Antidotarius magnus – Liber iste – Antidotarium Nicolai – Pomum ambre
Sebastià GIRALT : « La tradition médicale d’Arnaud de Villeneuve du manuscrit à l’imprimé »
Les éditions générales d’Arnaud de Villeneuve publiées au XVIe siècle donnent l’occasion d’une réflexion autour de ses relations avec la tradition manuscrite. Apparemment, le travail de son éditeur scientifique, Tommaso Murchi, visa à compiler, essentiellement à partir de quelques manuscrits, toute l’œuvre ayant trait à la médecine qu’il pensait être écrite par Arnaud, mais avec un biais vers les arts occultes qui le conduisit à inclure quelques rares écrits alchimiques. De toute façon, les textes rassemblés ne proviennent pas tous de manuscrits, et au moins trois parmi les plus longs proviennent d’incunables. D’autre part, l’intervention éditoriale dans les textes se révèle inégale et peu systématique, ce qui rend nécessaire une évaluation particulière de leur utilité lorsque l’on entreprend l’édition critique de chacune des œuvres arnaldiennes. En définitive, les éditions arnaldiennes permettent de voir que le passage du manuscrit à l’imprimé n’a pas signifié une rupture immédiate, mais plutôt une évolution qui a affecté le travail autour du texte et les intérêts intellectuels qui lui étaient liés.
Manuscrit – débuts de l’imprimerie – Arnaud de Villeneuve – critique textuelle – écrits médicaux
Lluís CIFUENTES : « Textes scientifiques en catalan (XIIIe-XVIe siècles) dans les bibliothèques de France »
Le passage en langue vernaculaire ou vernacularisation de la science et de la technique est un champ d’étude pratiquement délaissé jusqu’à une date récente et peu pris en compte par la philologie. Des recherches récentes, essentiellement dans le monde anglo-saxon, germanique et ibérique permettent d’affirmer que son étude est susceptible de fournir de grandes sources d’information pour l’histoire sociale de la science, la transmission du savoir, l’histoire des métiers, l’histoire du langage scientifique ou la divulgation des connaissances scientifiques et techniques. Seule une étude d’ensemble, qui embrasse tous les champs de la connaissance diffusés dans chacune des langues vernaculaires, peut apporter cette richesse de données. Depuis 1993, mon champ d’investigation prioritaire est la vernacularisation de la science en langue catalane pendant le bas Moyen Âge et les débuts de la Renaissance. Ma recherche repose sur un travail étendu, l’élaboration d’un catalogue de manuscrits et imprimés, qui a commencé précisément en France et dans les bibliothèques de Paris. Ce travail-ci résume cette expérience, sa gestation, son développement présent et futur, et les origines des fonds scientifiques et techniques en catalan conservés en France, ainsi que leurs caractéristiques générales, avec un inventaire de leurs sources.
science – technique – vernacularisation – Catalan – Moyen Âge – Renaissance – manuscrits – imprimés – catalogue – base de données
Jon ARRIZABALAGA : « De la copie à l’édition : Francesc Argilagues et les manuscrits médicaux aux premiers temps de l’imprimerie (fin XVe-début XVIe siècle) »
La biographie de Francesc Argilagues (fl. Sienne, ca 1470-Venise, 1508), médecin espagnol établi en Italie après des études universitaires à Sienne et Pise, illustre dans le domaine de la médecine universitaire la période de transition entre la copie de manuscrits et les premières éditions imprimées ; et elle reflète les débuts de la fonction d’éditeur scientifique, avec une attention particulière aux questions de nature technique ou idéologique auxquelles furent confrontés ceux qui s’adonnèrent à cette nouvelle occupation surgie de l’invention de Gutenberg.
Bruno DUMÉZIL : « L’affaire Agrestius de Luxeuil : hérésie et régionalisme dans la Burgondie du VIIe siècle »
Dans sa Vie de saint Colomban, Jonas de Bobbio rapporte comment un moine de Luxeuil, Agrestius, se révolta contre son abbé, puis contre la Règle et comment il déclencha l’ouverture d’un concile contre les usages colombaniens. Cette destinée individuelle peut servir de miroir aux tensions sociopolitiques décelables en Burgondie. Peu après l’unification du regnum par Clotaire II en 613, les membres des élites locales, laïques comme ecclésiastiques, s’opposèrent en effet au monachisme irlandais, dans lequel elles voyaient un instrument du centralisme voulu par la dynastie neustrienne. La révolte d’Agrestius met également en lumière le travail accompli à Luxeuil pour transformer le personnage historique de Colomban, dont l’orthodoxie restait incertaine, en une figure apaisée et acceptable pour tous. Le récit de la Vie de saint Colomban montre ainsi les ressources et les limites de l’écriture hagiographique : pour accomplir sa fonction de justification, elle doit parfois consciemment évoquer des sujets dérangeants.
Haut Moyen Âge – Monachisme – Hérésie – Identité régionale – Burgondie
Olivier LINDER : Aspects du discours normatif dans le Roman de Tristan en prose (coutumes, codes sociaux, conversation)
Le lecteur moderne du Tristan en prose est frappé par la fréquence des prescriptions relatives au code de conduite chevaleresque et courtois : le chevalier existe en tant que tel à la seule condition de “faire ce qu’il doit faire” et de ne pas déchoir. Le phénomène concerne essentiellement la sociabilité aristocratique, c’est-à-dire les normes qui régissent les rapports entre personnes de distinction. Ces normes, le plus souvent fictives, sont l’équivalent littéraire de normes sociales avérées (l’éthique chevaleresque, la politesse, les usages distingués…). Leur omniprésence les mue en principes narratifs, le récit se concentrant sur l’analyse des interactions entre les diverses normes mises en jeu par une situation donnée. On peut mesurer ainsi à quel point la vision aristocratique du monde, fondée sur l’idée de contrainte valorisante (“Noblesse oblige”), conditionne profondément l’écriture même du roman de chevalerie.
Aristocratie – Normes sociales – Distinction – Coutumes – Conversation