François MARTIN : « La disponibilité du sens dans les citations du Shijing »
Vers les VIIe et VIe s. av. J.-C., les poèmes du futur Shijing, ou Canon des Poèmes, étaient utilisés par les officiers de cour pour exprimer allégoriquement leurs intentions. C’était un procédé très libre, l’interprétation ne dépendant que de la situation. Confucius ouvrit une ère nouvelle, en se servant des poèmes pour susciter des idées morales au besoin au prix de jeux de mots. Plus tard, la canonisation des poèmes entraîna la fixation de leur interprétation. Toutefois les poètes de l’âge classique, tout en souscrivant en tant qu’hommes, à l’idéologie confucéenne, savaient revenir au sens premier des poèmes. Une telle souplesse ne restait sans doute possible que parce que la pratique de la citation en Chine avait été fondée sur un principe de totale disponibilité du sens
Jean LEVI : « Quelques exemples de détournement subversif de la citation dans la littérature classique chinoise »
Ayant opposé la citation d’autorité qui vise à conférer à un développement le prestige de la source évoquée à la citation subversive, qui détourne le sens de l’extrait cité par le travail que lui impose son nouveau contexte, l’auteur se concentre sur trois exemples de ce dernier cas de figure, en décrivant pour chacun les techniques textuelles mises en oeuvre ainsi que l’enjeu de ce détournement. Le premier cas montre comment le Huainanzi libère les significations – alors gelées – de citations enchâssées dans les citations qu’il fait et ce, aux fins de masquer la nature véritable du système politique auquel il souscrit. Avec le second cas, l’on voit Zhuang zi procéder à une subversion satirique du discours confucéen en organisant son texte autour d’une citation absente. Le troisième cas montre la manière dont un roman du XIXe siècle se construit par reprise et transformation de matériaux classiques antérieurs.
Michael LACKNER : « Citation et éveil. Quelques remarques à propos de l’emploi de la citation chez Zhang Zai »
L’enchevêtrement de citations par lequel Zhang Zai dépeint le cours de la vie de Confucius s’avère faire sens par le dispositif qu’il construit. Dans un premier moment, les thèmes des phrases successives mettent en place un plan diachronique qui fait voir la progression organisée des étapes de la vie du Sage, par opposition aux prédicats qui élaborent la pérennité de sa perfection. Le second moment inverse thèmes et prédicats tout en les agençant dans un texte de même structure. L’auteur pose la question de savoir comment le texte, et partant la citation, travaille le lecteur, mais aussi, inversement, comment la citation est travaillée de manière irréversible par le texte.
Michel VIEILLARD-BARON : « Les métamorphosés du mot : la citation de vers chinois comme sujet de composition de poèmes Japonais, Waka » À la fin du IXe siècle, le poète japonais Ôé no Chisato composa des “poèmes japonais” waka en prenant pour sujets des vers extraits d’oeuvres chinoises en particulier celles du célèbre poète des Tang, Bai Juyi. Il inaugurait ainsi un nouveau mode de composition. Plus de deux siècles plus tard, le poète japonais Jien choisit cent vers sujets extraits de poèmes de Bai Juyi et demanda à Fujiwara no Teika de composer, tout comme lui, sur ces sujets. On trouve sept sujets communs parmi ceux qu’ont choisis Ôe no Chisato et Jien. L’analyse des poèmes composés par ces deux poètes et Teika sur les sept sujets nous permet de retracer l’évolution de ce mode de composition original et d’en définir la motivation.
Karen W BRAZELL : « Citations sur la scène Noh »
L’article analyse les diverses manières dont plusieurs pièces Noh de l’époque de Zeami (1363-1443) recourent à des citations. Celles-ci avaient depuis longtemps constitué un élément clef de la poésie médiévale japonaise. En important cette technique dans le Noh, Zeami l’élève d’art populaire, qu’il était jusqu’alors, au statut de forme d’art supérieur, changeant ainsi la composition de l’auditoire auquel il est adressé tout en contribuant, réciproquement, à l’élévation du statut culturel de ce nouveau public. Par ailleurs, la mutation de medium permet à Zeami de redéfinir le type de sources auxquelles il était loisible de puiser, et de ne pas utiliser uniquement les modes classiques de citation mais d’en introduire de nouveaux lesquels mettent à profit la longueur des pièces et les métalangages propres au théâtre. Ses usages des citations combinées, des métaphores visuelles, des allusions mises en scène, des citations réitérées, déformées, dispersées, reconstruites et amplifiées sont examinés successivement.
Georges Métailié : « Note à propos des citations implicites dans les textes techniques chinois »
Quoique de manière différenciée selon qu’il s’agit de botanique, d’agriculture ou d’horticulture, les textes techniques chinois font un usage marqué de la citation. L’auteur décrit ici les différentes sortes de marques par lesquelles celle-ci est signalée au lecteur et analyse diverses modalités de sa réalisation. La mise en regard d’un extrait du Bencao gangmu de Li Shizhen (1596) et de sa source – que, pour une fois, il ne cite pas, sans qu’il soit possible de déterminer la raison de cette omission – met en évidence la manière dont le botaniste tresse le texte de la citation avec des ajouts de son cru, ou souligne comment il tronque au contraire celle-ci. La confrontation à nouveau de ce même extrait de Li Shizhen et de sa reprise, dans le contexte de l’horticulture, par le Huajing (1688) de Chen Haozi permet d’observer une manière autre de citation d’un texte désormais devenu un classique : la reformulation.
Geoffrey LLOYD : « Citations dans des contextes grecs et romains »
L’auteur souligne que si l’acte de citer peut être réalisé de plusieurs manières, depuis la reformulation d’une idée jusqu’à la citation verbatim, les modalités prédominantes à une époque sont fonction des pratiques du savoir – selon que, par exemple, elles favorisent l’oral ou l’écrit – aussi bien que de l’état d’organisation de l’ensemble des sources. Ainsi la fixation de textes canoniques modifie la nature de la transmission de plus d’une manière et, partant, les types de référence qui y sont faites. Il discute trois raisons de citer qui apparaissent prédominantes dans l’Antiquité gréco-latine, quoique leur fréquence respective varie selon les époques : l’on peut citer pour sculpter son statut d’érudit, pour conférer à une position donnée l’autorité de ceux qui sont donnés pour l’avoir soutenue ou établie, ou enfin pour mieux pouvoir contredire l’adversaire que l’on se donne par la citation. Point n’est besoin de le préciser, les deux derniers modes de citation sont ouverts à toutes espèces de manipulation.