Claude Denjean – Université de Perpignan Via Domitia (UMR 5136, Framespa)
Claire Soussen – Université du Littoral-Côte-d’Opale (UR 4030, HLLI)
Le roi et ses juifs dans les monarchies occidentales (péninsule Ibérique, France, Angleterre
L’article examine l’évolution de la place des juifs dans la durée au sein des monarchies féodales et prémodernes, à travers quelques cas emblématiques. L’opinion commune ignore souvent l’existence des juifs dans le monde féodal avant la législation sur les « usuriers » et leur expulsion à partir de la fin du XIIe siècle ; or les juifs y sont présents. Nous partons donc du Midi des cartulaires, de la Narbonne des « rois des juifs », à la recherche des juifs de ce monde féodal et de leur « invention » qui suivit l’expansion notariale et l’arrivée de l’État capétien après la Croisade. L’Angleterre et la péninsule Ibérique font elles aussi l’objet d’un examen.
- Angleterre, crédit, féodalité, France, juifs, péninsule Ibérique
Marie Dejoux – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris, Institut universitaire de France
Des juifs attachés à la glèbe de leur seigneur ? Pour une relecture de la « législation » capétienne, 1223-1254
Cet article propose une relecture des ordonnances prises par les rois de France contre les usuriers juifs au premier XIIIe siècle, celles-ci ayant longtemps été appréhendées comme des législations visant à fixer un statut pérenne à l’ensemble des juifs du royaume, notamment à les attacher durablement, comme les serfs, à la glèbe de leur seigneur. En les réinsérant dans le contexte précis dans lequel elles ont été édictées, des captiones (c’est-à-dire des épisodes de capture des juifs contre rançon), et en repartant des originaux et de leur conservation, nous démontrons ici que ces « ordonnances » étaient moins normatives que prescriptives. Elles n’avaient vocation à contraindre la mobilité des juifs que temporairement, le temps que le roi et ses barons confisquent les créances des usuriers juifs.
- Capétiens, juifs, usure, législation, serfs, captiones
Manon Banoun
Repérer et étudier les quartiers juifs médiévaux de Paris : une analyse spatiale du quartier dit de la Tacherie au XIIIe siècle
Cette étude propose une nouvelle approche méthodologique pour l’analyse des quartiers juifs médiévaux de Paris, notamment du quartier dit de la Tacherie, situé sur la rive droite de la Seine et occupé par plusieurs foyers juifs de la fin du XIIe siècle ou le début du XIIIe siècle jusqu’en 1306. Pour mieux circonscrire l’implantation urbaine des communautés juives dans ce secteur, plusieurs types de sources (fiscales, toponymiques, planimétriques) sont croisés. En combinant ces différentes données à une approche régressive du parcellaire actuel, il est possible de mieux localiser les équipements cultuels de ce quartier et de mieux comprendre son organisation interne, donc d’approcher l’espace vécu des communautés juives et leur insertion dans la ville.
- Analyse spatiale, France, juifs, juiverie de la Tacherie, parcellaire, Paris, quartier juif
Romain Saguer – Université de Perpignan Via Domitia, Centre de recherches sur les sociétés et environnements en Méditerranées (UR 7397)
Les juifs dans la documentation du domaine royal : organisation communautaire et appartenance à la cité (Couronne d’Aragon, XIVe-XVe siècle)
Les rapports entre juifs et chrétiens ont souvent été abordés grâce à la documentation notariale et aux sources normatives des chancelleries occidentales. L’analyse des registres du Trésor a permis une meilleure connaissance des contributions fiscales des communautés. En complément de ces sources traditionnelles, il faut souligner l’intérêt de la documentation produite par les officiers du domaine royal des différents territoires de la Couronne d’Aragon pour la question de l’appartenance des juifs à la cité. Les thèmes des boucheries et de l’habitat comme marqueurs de la présence juive dans la ville illustrent comment l’abord de la documentation normative produite par les institutions domaniales locales et des comptabilités du domaine présentées à la Chambre des comptes apporte des éléments de compréhension supplémentaires sur la vie des communautés juives médiévales et leur existence dans la cité.
- Boucherie, Couronne d’Aragon, domaine royal, juifs, quartier juif
Amélie Sagasser – Institut historique allemand, Paris
Négocier et contractualiser la présence juive dans les espaces germaniques
Cette contribution est consacrée à la négociation et à la contractualisation de la présence des juifs dans les espaces germaniques du Moyen Âge. En partant des privilèges accordés par l’évêque Rüdiger Huzmann et par l’empereur salien Henri IV, elle analyse comment, et dans quelle mesure, une communauté juive a été intégrée pour la première fois au sein d’une ville, Spire, dans les espaces germaniques à la fin du XIe siècle. Au-delà des privilèges accordés, lʼexemple de Spire montre que lʼimplantation des juifs dans la ville tenait à des raisons économiques, mais aussi à des luttes de pouvoir entre souverains séculiers et ecclésiastiques dans lesquelles les évêchés étaient partie prenante. À partir de ce constat, la contribution s’interroge sur une éventuelle influence des collections canoniques afin de démontrer dans quelles mesures les privilèges de Spire (ou dʼautres plus tardifs) sʼinscrivaient (ou non) dans la tradition juridique de lʼépoque, notamment avec Burchard de Worms et son Decretum, mais aussi avec dʼautres collections canoniques qui fixaient un cadre juridique au sein duquel les acteurs séculiers et ecclésiaux pouvaient agir.
- Burchard de Worms, collections canoniques, Germanie, Henri IV, juifs, privilèges, Rüdiger Huzmann, Spire
Capucine Nemo-Pekelman – Centre d’histoire et d’anthropologie du droit (CHAD), Université Paris Nanterre
Le sabbat et les fêtes juives, jours fériés du calendrier romain. Une victoire politique des juifs italiens à la fin de l’Antiquité
La constitution impériale du 26 juillet 412, que les médiévaux nomment Die Sabbato, fut un succès politique des juifs italiens. Elle eut pour origine l’offensive de chrétiens italiens qui avaient utilisé une procédure, celle de la citation en justice, pour piéger les juifs qui refusaient de se déplacer en justice les jours de sabbat et de fêtes, les exposant à une condamnation pour contumace. On verra que cette offensive s’inscrivait à un moment – entre le IVe et le Ve siècle – où les Églises de Rome et d’Italie développaient une pastorale qui donnait une nouvelle visibilité à la célébration dominicale ainsi qu’un calendrier martyrial destiné à combler tous les temps de l’année. Or cette entreprise rencontrait sur son chemin les traditions séculaires, en Occident, du sabbat et des fêtes juives. Enfin, nous examinerons comment le pouvoir impérial arbitra cette matière, en montrant que la décision de 412 renouait avec une ancienne tradition – remontant à des lois d’Auguste et de Constantin – qui avait été temporairement rompue sous le règne de Théodose Ier.
- Droit romain, fêtes juives, jours fériés, juifs, Rome, sabbat
Giacomo Todeschini – Chercheur indépendant
L’inclusion ambiguë des juifs dans les villes italiennes du Moyen Âge
Entre le XIIe et le XVe siècle, les juifs italiens ont été perçus différemment par les pouvoir italiens de l’Italie centro-septentrionale et par les pouvoirs des souverains gouvernant les royaumes de Naples et de Sicile. Dans le premier cas, les juifs ne sont pas reconnus comme formant des communautés juridiques : ils sont plutôt identifiés comme des sujets particuliers liés aux gouvernements locaux par des relations économiques multiples. Dans le second cas, au contraire, les chancelleries royales définissent les « juifs » comme des communautés liées au roi par des devoirs fiscaux. Cette situation complexe produit au nord et au centre de la péninsule une condition civique des juifs italiens marquée par l’incertitude de l’appartenance, donc par une citoyenneté précaire et toujours révocable, tandis que, dans le Midi, les juifs se trouvent dans une condition de dépendance directe du pouvoir du roi qui fait d’eux des sujets à la fois séparés et privilégiés. Dans les deux cas, l’inclusion des juifs dans le corps civique et politique est caractérisée par une ambiguïté qui aboutira, à la fin du XVe siècle, à une définition du judaïsme comme « crime pourtant non punissable » et, au XVIe siècle, à la ghettoïsation.
- Citoyenneté, exclusion, Italie, juifs, précarité
Alessandra Veronese – Université de Pise
Présence juive et sociabilité dans l’Italie du bas Moyen Âge
Cette contribution vise à mettre en lumière certaines des questions liées à la contractualisation de la présence juive dans l’Italie centro-septentrionale au cours des derniers siècles du Moyen Âge. Nous tentons, en particulier, d’analyser à partir de textes normatifs le désaccord existant entre les aspects théoriques et la réalité de la présence juive. Contrairement à ceux de Rome et d’Italie méridionale dont la présence était ancienne, les juifs d’Italie centrale et septentrionale représentaient une nouveauté substantielle. Leur arrivée dut donc être négociée selon des modalités relativement nouvelles, ce qui donna lieu à des situations inédites. Les documents présentés ici visent à offrir quelques exemples de la manière dont les juifs ont réussi à s’insérer dans le monde chrétien, non seulement en termes économiques, mais aussi à travers des relations sociales que les autorités n’ont presque jamais réussi à interrompre complètement, du moins jusqu’aux premières décennies du XVIe siècle.
- Italie, juifs, Pérouse, sociabilité, Trévise, usure, Volterra
Florian Besson – Université Toulouse 2 Le Mirail (UMR Framespa)
Godefroy de Bouillon a-t-il trouvé le Graal ? La première croisade et le « vase suspendu » d’Albert d’Aix
Albert d’Aix, l’un des chroniqueurs de la première croisade, décrit une relique placée au cœur du temple de Salomon, à Jérusalem, que les croisés auraient découverte lors de la prise de la Ville sainte en 1099 : un vase d’or contenant le sang du Christ. Ce Graal « avant la lettre » en dit long sur la manière dont le chroniqueur imagine et fantasme la Terre sainte, mais aussi dont il pense et met en scène la croisade, en général, et celle de Godefroy de Bouillon en particulier.
- Albert d’Aix, croisade, Godefroy de Bouillon, Graal, imaginaire, Orient, reliques
Margot Laprade – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Lamop, UMR 8589)
Cum Sarra tua : conuersio et consortium marital en Gaule (IVe-VIIe siècle)
À la fin de l’Antiquité et à l’époque mérovingienne, les sources décrivent de nombreux couples qui s’engagent ensemble dans la conversion à la vie consacrée, la conuersio, avant l’entrée de l’homme dans le clergé. Cet épisode est un moment privilégié pour étudier le consortium marital entre deux conjoints qui doivent se plier à une stricte continence sexuelle sans pour autant se séparer. Le rôle de l’épouse, soutien et accompagnatrice de son mari dans ce changement de vie, apparaît dès lors central, particulièrement dans les Vies de saints qui mettent en avant l’idéal d’un couple uni et d’une épouse loyale. Par l’observation de la conuersio en couple des futurs évêques de Gaule entre le IVe et le VIIe siècle, cet article vise à étudier les modalités de ce phénomène et à montrer la construction d’un idéal conjugal par les auteurs mérovingiens.
- Consortium marital, continence, conversion, couple, évêque
Théophile Duchêne – Doctorant en géographie, université d’Angers (ESO UMR 6590)
La rage dans l’Occident médiéval par les textes savants (XIe-XVe siècle)
En raison d’une perception négative des méthodes médicales dans l’Occident médiéval, les historiens ne se sont que très peu penchés sur l’histoire de la rage dans cet ensemble géographique, sous prétexte que les médecins et les chirurgiens n’exerçaient alors que sur la base d’un savoir-faire issu des traités médicaux hérités de l’Antiquité, puis d’ouvrages en langues arabes à partir du XIIe siècle. Si, en effet, les savants de cette région sont largement tributaires de ces traités au sujet du couple rage-hydrophobie, il n’en reste pas moins que ce mal était largement répandu et que malgré l’absence de traitement efficace, sa violence faisait l’objet d’une considération importante dans les traités médicaux et chirurgicaux. Cet article propose un premier portrait de la façon dont cette maladie était perçue, diagnostiquée, et enfin traitée. Il s’appuie en premier lieu sur des textes savants, et esquisse dans une seconde partie l’étude de certains de ses versants culturels, notamment des répercussions sur l’imaginaire autour des canidés.
- Chiens, histoire, hydrophobie, médecine, rage