Mathieu Duplay : « “We Canot Spend the Day in Explanation”. Emerson/Nietzsche/Deleuze, le temps de la pensée »
Nietzsche, lecteur assidu d’Emerson, est aussi l’un des auteurs de prédilection de Deleuze ; ainsi, un lien de filiation relie ces trois penseurs, comme en témoigne la réapparition de thèmes ou de concepts emersoniens chez les deux autres auteurs. Il n’en est pas moins déplacé de voir en Emerson le fondateur d’une ” tradition ” philosophique dont Nietzsche et Deleuze seraient les continuateurs ; en effet, ils ont justement en commun de refuser de faire école, et tous trois jugent l’imitation incompatible avec la pensée. Le propos de cet article est de rendre compte de la forme particulière d’échange qui s’établit entre eux sans en trahir la spécificité, c’est-à-dire sans recourir à la notion d'” influence “. La solution passe par une réflexion sur la temporalité propre à la pensée, temporalité paradoxale, irréductible à la simple chronologie, et sur la place d’Emerson, non à l’origine de telle ou telle tradition intellectuelle, mais à l’horizon de la philosophie.
Jagna Oltarzewska : « Lacan aux USA : un nouveau départ ? »
Malgré le nombre croissant de publications qui lui sont consacrées aux États-Unis, l’influence de Jacques Lacan se fait peu sentir en dehors des domaines de la théorie littéraire et des cultural studies. Je m’interroge, dans cet article, sur les raisons et les enjeux de cette résistance profonde de la clinique à la psychanalyse lacanienne, et j’examine les facteurs qui ont contribué à produire et à creuser les divergences théoriques.
Anthony Larson : « Transcendance, immanence, capital : territoires de la pensée française dans l’Amérique contemporaine »
L’influence que la pensée française exerce aujourd’hui en Amérique dans le champ des lettres et des sciences humaines est indéniable. Au lieu de retracer les contacts et les échanges qui, au cours des trente-cinq dernières années, ont favorisé cette influence, cet article a pour but d’expliquer comment la pensée française récente a pu avoir un tel impact sur la pensée américaine à un moment historique précis. La réflexion s’appuie sur l’analyse des présupposés théoriques et métaphysiques de la pensée structuraliste et post-structuraliste et sur la relation que ces dernières entretiennent avec notre situation contemporaine au regard du capitalisme. Cette approche, qui s’inspire ouvertement de celle de Deleuze et Guattari, a pour but de montrer qu’à condition d’être correctement posée, la question du ” comment ? ” des échanges intellectuels récents peut changer nos modes de réflexion et d’être, nous éloigner d’une pensée du sujet métaphysique et de la transcendance, et nous amener à prendre en compte l’immanence.
Sylvère Lotringer : « La théorie, mode d’emploi »
La pénétration de la pensée francaise aux Etats-Unis a suivi, pour l’essentiel, l’évolution qu’elle a connue en France, mais selon des rythmes et des modalités différentes. Le structuralisme initial y a été rapidement remplacé par les développements ” post-Structuralistes ” (Derrida, Lacan) qui ont pris un essor spécifique aux Etats-Unis sous le nom de ” déconstruction “. L’étude ci-dessous, toutefois, analyse plus de plus près la réception tardive des Nietzschéens francais (Foucault, Deleuze, Guattari) et la réception plus immédiate des penseurs ” extrapolationistes ” (Baudrillard, Virilio), avec toutes les distorsions culturelles qu’elles impliquent, comme une radiographie de la culture américaine elle-même. Elle s’efforce également de présenter en filigrane les diverses stratégies adoptées par Semiotext(e), une revue et maison d’édition indépendante d’inspiration française créée à New York en 1974, en vue de donner à la pensée française un rôle plus actif en Amérique, évitant les séductions de la mode et de l’institution, les besoins de sécurisation et d’autorité intellectuelle. Se situant délibérément en diagonale par rapport aux milieux universitaires, artistiques et politiques d’outre-atlantique, la collection ironiquement appelée ” Agents de l’Etranger ” a réussi à faire de la théorie elle-même une activité performative, stimulant et questionnant simultanément la culture américaine, mais aussi la culture française.
Pascal Engel : « Petits déjeuners continentaux et goûters analytiques »
Cet article décrit la coupure entre ” analytiques ” et ” continentaux ” qui affecte la philosophie. On essaie d’expliquer ses causes, qui sont à la fois “institutionnelles et historiques. Je soutient l’idée que cette coupure est réelle, et qu’elle correspond à deux manières distinctes et incomptatibles de faire de la philosophie. Aussi regrettable cela soit-il pour les oecuménistes et les nostalgiques d’une philosophie cosmopolite, il y a peu d’espoir de réduire cette fracture. Le mieux que l’on puisse attendre est de la tolérance de part et d’autre, et un peu de sang froid.