Noëlle Batt : « L’expérience diagrammatique : un nouveau régime de pensée »
Il s’agit ici de retracer le parcours, dans l’oeuvre de Gilles Deleuze, d’un concept ” in progress ” &endash; diagramme &endash;, élaboré à partir de trois sources : le sémioticien Charles S. Peirce commenté par le linguiste Roman Jakobson, le peintre Francis Bacon, le philosophe Michel Foucault, et de le confronter à la réflexion sur le concept du même nom, du philosophe-mathématicien Gilles Châtelet dans Les Enjeux du Mobile. De l’un, de l’autre et de leur confrontation, on déduira la possibilité de fonder un régime de pensée dit “diagrammatique” dont il restera à tester la productivité dans différents domaines de savoirs : littérature, arts, philosophie, sciences humaines en général.
Alexis de Saint-Ours : « Les sourires de l’être »
L’objet de cet article est l’examen du rôle joué par les diagrammes en mathématiques et en physique. À travers l’étude de différents types de configurations diagrammatiques (diagrammes d’espace-temps en relativité, diagrammes d’Argand, diagrammes de Dynkin, etc.), l’accent est mis sur l’étonnante capacité des diagrammes à articuler visible et calculable.
Alison James : « Pour un modèle diagrammatique de la contrainte : l’écriture oulipienne de Georges Perec »
Correspondant à un moment de la création artistique, le diagramme est pour Deleuze une ” catastrophe ” qui contient en même temps un germe d’ordre. Il est associé à la machine abstraite qui n’a ni forme ni substance, mais seulement des fonctions et des matières. Les contraintes de l’Oulipo visent précisément à tracer un ensemble de potentialités plus ou moins abstraites, qui peuvent ensuite être actualisées dans une oeuvre. Dans La Vie mode d’emploi de Perec, les contraintes combinatoires sont des traits non formés qui représentent un principe d’organisation mais créent aussi, par leur complexité, des distributions imprévisibles. Dans le recueil de poèmes Alphabets, la contrainte hétérogrammatique défait la syntaxe, mais risque de ne pas toujours refaire des configurations signifiantes. Dans le cas de La Disparition, la contrainte lipogrammatique permet d’échapper aux automatismes linguistiques. Comme modèle conceptuel, la notion de diagramme nous permet de dépasser l’idée courante que les contraintes oulipiennes soient forcément formelles ou syntaxiques. Enfin, cette discussion offre une nouvelle perspective sur le “réalisme” de Perec : les contraintes ouvrent de nouvelles voies à la perception et à la création, création qui peut désormais capter “l’énergie considérable” de la vie.
Charles Alunni : « Diagrammes & Catégories comme prolégomènes à la question : Qu’est-ce que s’orienter diagrammatiquement dans la pensée ? »
À partir de la remarque de Wittgenstein selon laquelle « Je pense avec ma plume », sont explorés les enjeux du raisonnement diagrammatique en physique et en mathématique contemporaines, plus particulièrement en théorie des Catégories. Est également mis en valeur l’aspect dynamique des diagrammes et ses conséquences sur des phénomènes tels que la compactification formelle et le transfert conceptuel.
Mathieu Duplay : « La pensée impossible : le diagramme insulaire dans “The Merry Men” de Robert Louis Stevenson »
Chez Deleuze, le concept de diagramme sert non seulement à penser le processus d’actualisation, mais aussi à retrouver, en amont des formations particulières, qu’elles soient politiques, conceptuelles ou artistiques, la puissance immanente du virtuel. Le conte de Robert Louis Stevenson intitulé « The Merry Men » met en lumière cette réversibilité. Tout au long du récit, un dispositif panoptique travaille à rendre possible un rigoureux contrôle du visible, tandis que l’énonçable se trouve régi par des règles de parole inspirées du dogme religieux. Mais l’objet que se fixe la narration est moins de décrire ce modèle disciplinaire que de remonter jusqu’aux multiplicités dynamiques qui doublent chaque vision et chaque énoncé. L’écriture de Stevenson se fait ainsi expérience du dehors du langage, ou mieux : du langage comme dehors, experimentum linguae qui non seulement éclaire la réflexion deleuzienne sur le virtuel, mais incite à la confronter à la pensée de Wittgenstein, quelque étrange que puisse paraître un tel rapprochement.
Jean-Philippe Narboux : « Diagramme, dimensions et synopsis »
On se propose de montrer que le propre du diagramme est d’atteindre à une synopticité dynamique, opératoire, en restreignant, exhibant et corrélant celles des dimensions du symbolisé qu’il symbolise, qu’il s’agisse de dimensions à l’aune de quoi il prend la mesure de ce qu’il dénote (cas de ce que nous appellerons ici des diagrammes dénotatifs), ou bien de dimensions à l’aune de quoi il donne la mesure de ce qu’il exemplifie (cas des diagrammes exemplificatifs). En vertu de sa synopticité réglée, le diagramme est essentiellement manipulable. Sa manipulation fait émerger tantôt des relations externes entre coordonnées (cas des diagrammes dénotatifs) tantôt des relations internes entre dimensions (cas des diagrammes exemplificatifs). On argue d’un tournant pris par la pensée de Wittgenstein au sujet du lien qu’entretient la généralité avec la négation pour faire valoir cette solidarité entre synopsis et sélection de dimensions. Le confinement à certaines dimensions qui est au principe du diagramme cesse de frapper celui-ci d’indétermination ou d’incomplétude à partir du moment où l’état de choses cesse de se voir prêter des dimensions qui lui seraient intrinsèques, comme c’était encore le cas dans le Tractatus ; inversement, le caractère pleinement déterminé du sens du diagramme atteste que, loin de ressortir à un repérage exhaustif des dimensions selon lesquelles l’état de choses se déclinerait, la complétude ou la détermination du sens provient d’une monstration synoptique qui passe par la sélection de dimensions.
Yves Abrioux : « Diagramme, histoire, devenir. Ou, quand Deleuze fait de l’histoire de l’art »
Après avoir rappelé la place du concept de diagramme dans la pensée de Gilles Deleuze, en insistant sur ses rapports étroits avec les notions de force et de devenir, cet article s’intéresse à la manière dont le philosophe s’adonne à l’histoire de l’art dans Francis Bacon. Logique de la sensation, ouvrage dans lequel (suite à un premier travail sur Foucault et à quelques passages de Mille Plateaux) il fait un usage systématique du diagramme. Or, la philosophie deleuzienne range explicitement le diagramme du côté du devenir et du virtuel, non pas de l’histoire et des formes. Je relève que, dans sans son écriture d’un récit paradigmatique de l’acte de peindre comme dans son histoire de la figuration depuis l’Égypte ancienne jusqu’à Bacon (en passant par différentes moutures de la peinture abstraite), Deleuze a recours à un discours aussi dogmatique que conflictuel, voire guerrier. Découlant d’une fixation sur le cliché, cette tonalité conduit l’écriture deleuzienne loin du devenir et du virtuel. Si le discours historique schématique développé dans le Bacon territorialise fortement les propos de Deleuze sur l’art, il n’en laisse cependant pas moins deviner une autre dynamique de la pratique picturale qui ne privilégierait pas nécessairement l’organicisme de la lutte de l’oeil et de la main et pourrait conduire à une tout autre approche de l’abstraction en peinture.