Alice RIO
Les formulaires et la pratique de l’écrit dans les actes de la vie quotidienne (VIe-Xe siècle)
Il est difficile de juger de la portée de l’usage de l’écrit au haut Moyen Age parce que les transactions menées au bas de l’échelle sociale n’ont guère laissé de traces dans nos sources. Plusieurs historiens ont avancé l’hypothèse que l’usage de l’écrit était plus répandu qu’on ne pourrait s’y attendre à partir des documents d’archives qui nous sont parvenus, mais les limites imposées par les conditions de transmission des actes de la pratique rendent cette hypothèse pratiquement impossible à démontrer. Les formulaires, ou collections de modèles de documents, peuvent nous permettre d’évaluer plus précisément l’étendue des lacunes de ce corpus documentaire. Parce qu’ils étaient préservés en raison de leur utilité au jour le jour, et non selon leur capacité à protéger les intérêts d’établissements religieux dans le long terme, ils nous donnent une image plus représentative du genre de documents que les scribes s’attendaient à devoir écrire au cours de leur carrière, et constituent une source d’informationimportante sur l’usage de l’écrit par les laïcs, y compris ceux provenant de milieux sociaux moins élevés.
Formulaires – archives – literacy – usage de l’écrit – latin post-classique
François BOUGARD
Ecrire le procès. Le compte-rendu judiciaire entre le VIIIe et le XIe siècle
Le règlement des conflits au haut Moyen Age a donné lieu à une production documentaire variée, dont l’éventail est bien plus large que celui du seul “procès verbal” des audiences de justice. Cependant, le seul examen des comptes rendus strictement judiciaires n’est pas privé d’intérêt. Une fois disparus les “jugements” royaux de la période mérovingienne et des débuts de l’époque carolingienne, la “notice de plaid” a régné en maître. Sa forme externe, là où la présence d’originaux la rend possible, mériterait une étude plus poussée qu’elle n’en a bénéficié jusqu’à présent. Le texte, lui, a longtemps répondu à un schéma commun au delà des vriantes régionales : présentation du collège judiciaire et des parties, dépôt de la plainte, échange des arguments, recherche et administration de la preuve s’il y a lieu, “profession” du perdant, sentence. Au Xème siècle, cette homogénéité relative fait place à des solutions divergentes. Tandis qu’en Germanie, la source judiciaire se fait de plus en plus rare, elle se coule dans le royaume d’Italie en de nouveaux formulaires, qui, d’un côté, permettent de rendre compte de nouvelles procédures ou développent certains aspects qui jusque-là ne donnaient pas matière à souvenir écrit, de l’autre, mettent l’historien face à des sources toujours plus standardisées. En France s’impose progressivement la notice “narrative”, où le récit gagne en pittoresque ce qu’il perd en institutionnel, selon une évolution déjà bien étudiée, dans laquelle la responsabilité de l’écriture monastique jour le premier rôle. En dernier ressort, la singularité de la documentation judiciaire, ici et là tient moins à la justice, à ses responsables et à la manière dont elle est rendue qu’aux différences en matière de personnel notarial.
Haut Moyen Age – Justice – Production documentaire
Laurent MORELLE
Instrumentation et travail de l’acte : quelques reflexions sur l’écrit diplomatique en milieu monastique au XIème siècle
L’article explore quelques implications de la “maîtrise monastique” sur l’écrit diplomatique du XIème siècle. L’instrumentalisation des actions juridiques dans les communautés monastiques relève d’une politique de mise par écrit au caractère local, sur laquelle pèse la diversité des fonctions internes (pédagogiques, identitaires, administratives) dévolues à l’écrit. Des exemples analysés, puisés surtout dans les chartriers de France septentrionale, il ressort que le souci d’une mémoire “utile” dès la conception de l’acte stimule l’invention de formes complexes et instables (actes continués, actes-dossiers, réécritures, notices, pancartes), qui témoignent aussi d’une conception de l’acte renouvelée ; l’original n’est plus intouchable, la relation traditionnelle original/copie est brouillée. Parallèlement, mais surtout dans la seconde moitié du XIème siècle, d’autres outils de la mémoire, tels que chirographes et cartulaires, témoignent de la volonté de stabiliser la teneur et le texte des références écrites, selon une économie de l’acte qui annonce l’évolution du XIIème siècle.
diplomatique – monastère- pancartes – chirographes – cartulaires – originaux – copies
Paul BERTRAND
A propos de la révolution de l’écrit (Xe-XIIIe siècle). Considérations inactuelles
Partant du premier panorama qu’a dressé Michael Clanchy en son temps avec son From Memory to Written Record, l’auteur a voulu ici étudier la révolution de l’écrit en mettant l’accent sur l’écrit diplomatique, les documents de la pratique. Il a cherché à préciser un grand nombre de questions que se posent les historiens : la croissance de l’écrit a-t-elle vraiment eu lieu, aux XII-XIVème siècles ? Comment qualifier le “fonctionnalisme” dont font preuve les chercheurs lorsqu’ils étudient le document ? Comment qualifier la part de l’oral et de l’écrit dans la culture de la fin du Moyen-Age ? Comment les laïques se mêlent-ils de l’écrit ? Pourquoi peut-on parler de “mondialisation” de l’écrit alors ?
histoire culturelle – pratiques de l’écrit – diplomatique – révolution de l’écrit – mémoire – oral et écrit – fonctions de l’écrit
Thomas LABBE
Tonitrus Hyemalis : météorologie et pronostics dans les chroniques de Matthieu Paris et John de Oxnead au XIIie siècle
Matthieu Paris et John de Oxnead, deux bénédictins anglais du XIIIème siècle, firent preuve dans leurs chroniques respectives d’un grand intérêt pour les phénomènes naturels, et parmi ceux-ci plus particulièrement pour l’un d’entre eux qu’ils ont clairement distingué et nommé “Tonitrus Hyemalis” (tonnerre d’hiver). Ils traitèrent celui-ci en respectant une réflexion très cohérente, empruntant autant aux acquis de la science de leur époque qu’aux traditions divinatoires les plus en vogue dans l’Occident du XIIIème siècle. Ils montrent à cette occasion comment la pensée médiévale put lier entre eux des savoirs de natures différentes afin d’aboutir à une réflexion synthétique et originale concernant un phénomène naturel et comment l’historien moderne doit prendre en compte cet aspect composite de la culture afin d’obtenir une meilleure compréhension de la vision du monde des hommes et des femmes de cette époque.
Phénomène naturel – météorologie – divination – science – tonnerre – Matthieu Paris – John d’Oxnead
Julie CLAUSTRE
Esquisse en vue d’une anthropologie de la confiscation royale. La dispersion des biens du cardinal Balue (1469)
Cet article évoque l’une des manières dont circulent les choses à la fin du Moyen Age et dont se fixe leur valeur : la confiscation. Celle-ci n’a été étudiée que pour ses aspects juridiques et financiers. Une approche anthropologique, ici proposée, tente de cerner en quoi ce mode de circulation affecte la nature et la valeur des biens qui circulent. Parmi les multiples confiscations prononcées par Louis XI, celle qui a frappé le cardinal Jean Balue au printemps 1469 est passée à la postérité, grâce au récit du chroniqueur Jean de Roye d’abord et à la citation qu’en fit Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris. Le scandale a surtout laissé une ample documentation qui permet de suivre l’évaluation, les changements de main et ce que l’on peut considérer comme une conversion de certains biens de Balue. On a ainsi conservé le compte détaillé de la saisie des biens meubles établi par un notaire et secrétaire du roi, ainsi que les témoignages recueillis à la demande du frère et de la belle-soeur du cardinal qui revendiquaient la propriété de certains biens du cardinal, les tapisseries en particulier. Ils laissent entrevoir les pratiques de don et de sociabilité comme le jeu brutal de la faveur et de la disgrâce qui ordonnent le milieu élitaire parisien des grands offices royaux dans la deuxième moitié du XVème siècle.
Confiscation – anthropologie économique – circulation des objets – valeur des biens – élites urbaines – Paris – XVème siècle – Jean Balue – Louis Xi – faveur et disgrâce