Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis

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Collection Arguments Analytiques
Nombre de pages : 160
Langue : français
Paru le : 24/01/2024
EAN : 9782379243967
Première édition
CLIL : 3918 Psychanalyse
Illustration(s) : Non
Dimensions (Lxl) : 220×160 mm
Version papier
EAN : 9782379243967

Psychanalyse et subversion des normes

L’ouvrage présente une série de contributions sur la question des normes, issues de champs disciplinaires différents, en dialogue avec la psychanalyse lacanienne autour de la question des normes dans le monde contemporain et son malaise actuel.

La psychanalyse lacanienne est susceptible d’apporter du nouveau au sein de la réflexion contemporaine sur les normes.
Là où domine aujourd’hui la norme chiffrée, alors que la psychanalyse s’intéresse plutôt à ce qui demeure inéluctablement hors domestication et hors discours établis : les symptômes, les angoisses, les inhibitions, le trauma – bref, ce qui, de la jouissance, échappe toujours aux normes des sujets.
Ainsi, l’apport de la psychanalyse dans les débats actuels est précieux en ce qu’elle ne se contente pas d’éclairer les processus de normalisation sociale mais interroge aussi la puissance de création de normes et l’inventivité des sujets dans ce qu’elles peuvent avoir aussi bien de subversif.

Christiane Alberti, Aurélie Pfauwadel

Introduction générale


1. Vie et subversion des normes

Aurélie Pfauwadel

Préambule

Guillaume Le Blanc

La subversion des normes

François Ansermet

Au-delà de la norme

2. Politique et gouvernance par les chiffres

Christiane Alberti

Préambule

Olivier Rey

L’empire statistique

Philippe La Sagna

L’impossible solitude du sujet moderne

3. Virilités plurielles et norme mâle

Aurélie Pfauwadel

Préambule

Daniel Roy

« Tous les hommes sont des… »

Fabian Fajnwaks

La jouissance de la norme mâle.

À propos du livre de Florian Vörös : Désirer comme un homme.

Enquête sur les fantasmes et les masculinités

4. Éducation : normes ou désir ?

Aurélie Pfauwadel

Préambule

Johanna Lenne-Cornuez

Destituer la place du maître. La pédagogie subversive de Rousseau

Virginie Leblanc-Roïc

Éducation, normes et désir

Léandro de Lajonquière

Il n’y a d’éducation qu’hors norme

5. La langue et les normes

Christiane Alberti

Préambule

Jean-Jacques Lecercle

Langage et normes

Mazarine Pingeot

Langue normée, langue normative. L’échappée de la norme

Sophie Marret-Maleval

La novlangue et les normes


Les auteur·rices

La psychanalyse lacanienne, en tant que praxis radicalement atypique, est susceptible d’apporter du nouveau au sein de la réflexion contemporaine sur les normes. 

   Là où dominent aujourd’hui la norme chiffrée et la biopolitique qui standardisent les corps, la psychanalyse s’intéresse plutôt à ce qui demeure inéluctablement hors domestication et hors discours établis : les symptômes, les angoisses, le trauma – ce qui, de la jouissance, échappe toujours aux normes des sujets.

   Son apport dans les débats actuels est ainsi précieux car la psychanalyse ne se contente pas d’éclairer les processus de normalisation sociale : elle porte aussi bien le regard sur l’inventivité des sujets et leur puissance de création de normes dans ce qu’elles peuvent avoir de subversif.

   Le concept de norme constitue ici le terrain commun de contributions issues de champs du savoir différents, toujours en dialogue avec l’abord psychanalytique de la question.

 

Christiane Alberti est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne, Présidente de l’Association mondiale de psychanalyse et maître de conférences au département de psychanalyse de l’Université Paris 8 Saint-Denis. Elle a dirigé notamment les ouvrages Être mère (Navarin 2014) et Lacan Redivivus avec J.-A. Miller (Navarin 2021).

Aurélie Pfauwadel est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne, membre de l’Association mondiale de psychanalyse, maître de conférences au département de psychanalyse de l’Université Paris 8 Saint-Denis. Elle est l’auteur de Lacan versus Foucault. La psychanalyse à l’envers des normes (Cerf, 2022).

Christiane Alberti

Aurélie Pfauwadel


Introduction générale

Nous tenons que la psychanalyse lacanienne, en tant que praxis radicalement atypique, est susceptible d’apporter du nouveau au sein de la réflexion contemporaine sur les normes. En raison même du statut excentré qui est le sien dans la topographie des pratiques et des savoirs, nous pensons la psychanalyse apte à contribuer de manière inédite aux débats actuels sur les normes, leurs natures et leurs fonctions. C’est pourquoi le département de psychanalyse de l’université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis a tenu un séminaire interdisciplinaire, entre 2019 et 2022, dont sont issues les contributions publiées dans le présent ouvrage.

Nous avons choisi ce concept de norme, au carrefour de différentes disciplines, car il est suffisamment large pour pouvoir constituer le pivot, le socle commun d’échanges et de conversations avec des collègues venant de champs et d’horizons distincts de la psychanalyse. Le choix de ce concept s’est également inscrit dans le prolongement de la thèse d’Aurélie Pfauwadel, soutenue en 2016 sur le thème « La psychanalyse lacanienne et l’envers des normes. Réponses à Michel Foucault 1 ». Alors que le principe des généalogies foucaldiennes de la psychanalyse consiste à la rabattre sans cesse sur d’autres discours (discours médical, psychiatrique, familial, juridique, chrétien, spirituel, etc.), Jacques Lacan pose, à l’inverse, une différence radicale entre le discours analytique et les autres discours (ou liens sociaux) connexes dont il l’a distingué. Les psychanalystes sont incasables dans aucun des discours précédents, leur praxis se tient en dehors des autres formes de pratiques et de savoirs 2.

Ce travail doctoral se proposait de montrer que, d’un bout à l’autre de son parcours, Lacan s’était efforcé de penser les conditions de possibilité de la psychanalyse comme discours non normalisant (loin de la norme œdipienne à laquelle on l’a cantonnée) et comme pratique hors normes.

On sait que Georges Canguilhem, dont Michel Foucault fut l’élève, le précéda dans l’analyse de l’expansion inouïe des notions de normes et de normalité dans notre modernité. Canguilhem et Foucault ont en commun d’avoir questionné ce qui constitue la spécificité des normes, en tant qu’on peut les distinguer de la loi, et ce qui fait l’efficace propre aux normes. Si l’on procède à un effort minimal de définition du concept de « norme », il convient de souligner d’emblée, comme le fait Canguilhem dans le chapitre « Examen critique de quelques concepts » de son livre Le Normal et le Pathologique, « combien ce terme est équivoque », pour ne pas dire amphibologique, désignant à la fois « un fait et une valeur attribuée à ce fait par celui qui parle, en vertu d’un jugement d’appréciation qu’il prend à son compte » 3.

En effet, le mot norme vient du latin norma, instrument de mesure, cordeau ou équerre, dont se sert l’architecte. Il renvoie, d’une part, à la règle et à l’édiction d’un devoir-être : la norme, selon cette dimension impérative et prescriptive, désigne ainsi une contrainte et une obligation objective. Mais la notion de norme comporte, d’autre part, une dimension descriptive, en tant qu’elle désigne « ce qui ne penche ni à droite ni à gauche, donc ce qui se tient dans un juste milieu », « est normal ce qui est tel qu’il doit être », « ce qui se rencontre dans la majorité des cas d’une espèce », « la moyenne » 4.

L’étude de l’histoire de ces termes fait apparaître que l’usage extensif du mot norme dans notre langue est relativement récent, initié seulement au xixe siècle. Comme le relève bien Foucault : « La conscience moderne tend à ordonner à la distinction du normal et du pathologique le pouvoir de délimiter l’irrégulier, le déviant, le déraisonnable, l’illicite, le criminel aussi […]. Ces prestiges pourtant ne doivent pas faire illusion : ils ont été instaurés à une date récente 5. »

La sociologie, qui s’est constituée comme discipline au xixe siècle, a joué un rôle fondamental dans ce mouvement par sa prétention à étudier scientifiquement les comportements humains, cherchant à dégager les lois de l’univers social, brassant ensemble règles et habitudes – étude des institutions et des normes qui s’imposent verticalement au social, ou sociologie quantitative horizontale (relevés de données statistiques servant à dégager des moyennes). C’est ainsi qu’Adolphe Quételet, dans son ouvrage Le Système social, en est venu à promouvoir sa théorie de « l’homme moyen ». Cette sociologie statistique conduit à une définition du normal et du pathologique « très laïque 6 », sans idéaux, où ce sont les chiffres eux-mêmes qui s’imposent comme normes, de façon immanente.

Outre la sociologie, l’autre science reine du xixe siècle, à l’origine d’un sens de la norme non fondé sur le droit, est la médecine. Le discernement de la santé et de la maladie, du normal et du pathologique, produit un modèle de la norme qui n’est pas juridique, mais biologique. Ainsi que l’énonce, de manière fulgurante, Canguilhem : « Normal est le terme par lequel le xixe siècle va désigner le prototype scolaire et l’état de santé organique 7. »

Enfin, il convient de souligner que l’usage aujourd’hui prévalant du terme norme concerne son sens technique : normes de fabrication des objets, standards évalués et certifiés par les autorités compétentes ou « experts ». Cet emploi massif du terme norme dans le secteur de l’industrie et des services est à mettre au compte de l’avènement du capitalisme et de « sa curieuse copulation avec la science 8 », pour reprendre l’expression de Lacan. Sous ces normes techniques, il convient de reconnaître la domination de la norme chiffrée 9.

Dans son cours au Collège de France Les Anormaux, Foucault formule explicitement sa dette à l’égard de Canguilhem concernant l’idée de l’avènement d’une société de normalisation au détour du xviiie et du xixe siècle 10. Pour tous deux, la notion de norme n’est pas un concept neutre ou purement descriptif, mais un concept stratégique (« polémique » pour Canguilhem, « politique » pour Foucault). Si Canguilhem fut le premier, au sein de la tradition philosophique française, à procéder à l’examen épistémologique et historique de la notion de norme 11, il revient néanmoins à Foucault d’avoir apostrophé la psychanalyse depuis ce champ problématique des normes 12.

Le séminaire interdisciplinaire dont est issu cet ouvrage fut ainsi l’occasion de réfuter une certaine doxa trop souvent véhiculée à propos de la psychanalyse lacanienne, et a fortiori de la psychanalyse freudienne, doxa qui prétend en faire une pratique normative, gardienne de l’ordre symbolique patriarcal et de la différence des sexes.

À l’opposé de la représentation réactionnaire de la psychanalyse qui circule dans certains milieux militants, la psychanalyse lacanienne prend toujours le parti des corps vivants singuliers et elle récuse absolument l’« équivalence des corps » telle qu’elle est promue par l’« individualisme démocratique de marché 13 », qui prétend leur ajointer des objets interchangeables, ainsi que le souligne Éric Laurent dans son ouvrage L’Envers de la biopolitique. De plus, l’acte analytique se situe résolument à l’envers de toute ségrégation – en ce que l’expérience analytique propose un traitement de la jouissance d’un corps singulier par la lettre, sécrétée par une parole, une énonciation à nulle autre pareille. La psychanalyse se situe donc à « l’envers de la biopolitique 14 », telle qu’elle a été conceptualisée par Foucault.

Là où la « biopolitique » produit des effets d’homogénéisation, de standardisation des corps, la psychanalyse s’intéresse plutôt à ce qui demeure inéluctablement hors domestication et hors discours établis : les symptômes, les angoisses, les inhibitions, la répétition, le trauma – bref, ce qui, de la jouissance, échappe toujours aux normes des sujets. Une psychanalyse, même si elle produit des effets thérapeutiques, s’avance bien au-delà, puisqu’elle peut conduire un analysant à ressaisir ce qui constitue le principe de sa normativité propre, en nommant sa jouissance singulière. Elle vise cette « différence absolue 15 », le processus d’écriture original et unique de la jouissance chez chaque Un.

Voilà ce que la psychanalyse lacanienne nous semble pouvoir apporter aux débats contemporains sur les normes, et ce, même si la notion de normes n’est pas un concept psychanalytique : pas seulement une théorie des processus de normalisation, mais une conception de la normativité subjective dans ce qu’elle peut avoir aussi bien de subversif.

À l’heure actuelle, où les discours cognitivo-comportementalistes et neuroscientifiques tiennent le haut du pavé, il est principalement reproché à la psychanalyse de ne pas être « aux normes ». À l’époque qui est la nôtre, où règnent des exigences de rentabilité de plus en plus pressantes et une idéologie de l’évaluation généralisée, la psychanalyse se voit avant tout accusée de ne pas rentrer dans les cases, ni du discours de la science, ni du discours capitaliste. La dernière décennie a vu nombre d’États d’Europe ou d’ailleurs tenter de légiférer sur le « champ psy » et instituer de nouvelles normes en matière de psychothérapie, incluant la psychanalyse comme une psychothérapie parmi d’autres. Les États exigent le formatage des pratiques et la standardisation des formations. Ils demandent des procédures, des garanties et des statistiques en matière de résultats. Face aux contraintes scientistes qui pèsent sur le « champ psy », la psychanalyse est entrée en résistance, comme le manifeste bien un certain nombre de textes de cet ouvrage. Sa place de symptôme dans la civilisation apparaît ainsi au grand jour.

1. Thèse de philosophie soutenue le 6 décembre 2016 à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et dirigée par Jocelyn Benoist, professeur en philosophie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

2. Jacques Lacan, « Introduction à l’édition allemande d’un premier volume des Écrits » [1973], Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 555 : « Incasables dans aucun des discours précédents, il faudrait qu’à ceux-ci ils ex-sistent, alors qu’ils [les psychanalystes] se croient tenus à prendre appui du sens de ces discours pour proférer celui dont le leur se contente, à juste titre d’être plus fuyant, ce qui l’accentue. »

3. Georges Canguilhem, Le Normal et le Pathologique [1966], Paris, Presses universitaires de France, 2013, p. 101. Nous soulignons.

4. Ibid.

5. Michel Foucault, « Les déviations religieuses et médicales » [1968], Dits et écrits, Paris, Gallimard, « Quarto », 2001, vol. I, p. 652.

6. Cf. Jacques-Alain Miller, « L’ère de l’homme sans qualités », La Cause freudienne, n° 57, juin 2004, p. 84.

7. Georges Canguilhem, Le Normal et le Pathologique, op. cit., p. 225.

8. Jacques Lacan, Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse [1969-1970], édition établie par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 126.

9. Cf. Jacques-Alain Miller, « L’ère de l’homme sans qualités », op. cit., p. 72-97.

10. Cf. Michel Foucault, Les Anormaux [1974-1975], Paris, EHESS/Gallimard/Seuil, 1999, p. 45-46.

11. Cf. Georges Canguilhem, Le Normal et le Pathologique, op. cit.

12. Cf. Aurélie Pfauwadel, Lacan versus Foucault. La psychanalyse à l’envers des normes, Paris, Le Cerf, 2022.

13. Éric Laurent, L’Envers de la biopolitique. Une écriture pour la jouissance, Paris, Navarin/Le Champ freudien, 2016, p. 160.

14. Ibid., p. 21.

15. Jacques Lacan, Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse [1964], édition établie par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 248.

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Collection Arguments Analytiques
Nombre de pages : 160
Langue : français
Paru le : 24/01/2024
EAN : 9782379243967
Première édition
CLIL : 3918 Psychanalyse
Illustration(s) : Non
Dimensions (Lxl) : 220×160 mm
Version papier
EAN : 9782379243967

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