Lee Ming-huei : “Culture et démocratie. Réflexions à partir de la polémique entre libéraux taiwanais et néo-confucéens contemporains“
Dans les années 1950, une vive polémique opposa à Taiwan intellectuels libéraux et confucéens. Si les deux camps se rejoignaient dans leur opposition au communisme et leur promotion de la démocratie, ils divergeaient néanmoins dans leurs conceptions de la liberté et des idéaux moraux, de la relation entre l’individu et la communauté ou encore de la tradition. Le débat occidental entre libéralisme et communautarisme permet de remettre en perspective ces différences et de mieux comprendre la position des intellectuels confucéens ainsi que la contribution indirecte de leurs idées à la démocratie taiwanaise.
Qin Hui : “La culture traditionnelle aujourd’hui : un devoir d’inventaire pour penser le politique“
Après l’avènement de la dynastie des Qin (221-207), le confucianisme a d’abord servi, dans l’histoire chinoise, d’alibi à des politiques dictatoriales d’inspiration légiste ou à la mise en coupe réglée du pays par des intérêts privés. Les véritables idéaux confucéens, par nature anti-légistes, ne purent en réalité s’exprimer qu’à de très rares occasions. Ce fut notamment le cas à la fin de la dynastie des Qing (1644-1912) quand les lettrés qui les incarnaient embrassèrent largement « les études occidentales ». Paradoxalement, et pour un ensemble de raisons complexes, on en vint pourtant à opposer radicalement l’Occident et le confucianisme. En prenant ce dernier pour cible, les grands mouvements politiques ou intellectuels du xxe siècle, tant réformistes que révolutionnaires, ont donc largement manqué ce qui aurait dû être leur cible véritable : un pouvoir centralisé écrasant l’individu. Deux conditions seraient aujourd’hui nécessaires pour qu’un confucianisme authentique puisse offrir des ressources pour sortir du piège dans lequel l’histoire l’a enfermé : il devrait d’une part se rapprocher de l’Occident et de ses valeurs démocratiques ; et, d’autre part, être capable de sortir de sa tour d’ivoire pour proposer au pays des mesures concrètes et applicables.
Jiang Qing : “Le confucianisme de la « Voie royale », direction pour le politique en Chine contemporaine“
À travers ses différentes acceptions, la démocratie est devenue en Chine contemporaine l’horizon indépassable du politique. Pourtant, pour la tradition politique confucéenne dite de la « Voie royale », le peuple n’a jamais constitué qu’une source de légitimité du politique, à égalité avec le Ciel (c’est-à-dire un ordre supérieur et transcendant) et la Terre (c’est-à-dire l’histoire et la culture). L’auteur souligne qu’il importe aujourd’hui de rétablir cet équilibre pour permettre à la Chine de sortir de l’ornière dans laquelle elle est enfoncée depuis plus d’un siècle. Il accompagne sa réflexion sur le politique de propositions institutionnelles à travers lesquelles un nouvel équilibre des types de légitimité pourrait selon lui trouver une traduction concrète.
Gan Yang : “Prendre en compte la continuité historique pour penser le politique aujourd’hui“
Avec la promotion par le pouvoir d’une « société d’harmonie », un nouveau consensus est en train de voir aujourd’hui le jour en Chine. Ce consensus est pour l’auteur le fruit de trois traditions qui se répondent : la première correspond à la politique d’ouverture et de réformes conduite depuis la fin des années 1970 ; la seconde est l’héritage maoïste et ses idéaux de justice sociale ; la troisième est la tradition confucéenne et son idée centrale d’harmonie, qui diffère de la lutte des classes à laquelle le Parti a fait longtemps référence. En prenant véritablement en compte le continuum entre ces différentes expériences historiques, la Chine pourra emprunter sa propre voie, celle d’une République socialiste confucéenne. Pour cela, une réévaluation de l’histoire récente, et notamment des soixante années de la République populaire, est nécessaire. On ne peut en effet plus opposer, comme on le fit longtemps, les trente années du maoïsme aux trente années de l’ouverture.
Liu Xiaofeng : “Leo Strauss et la Chine : une rencontre autour de l’ethos classique”
Pour l’auteur, l’un des introducteurs de Leo Strauss en Chine, l’intérêt que suscite cette pensée dans son pays tient d’abord au fait qu’elle permet de se défaire d’un siècle de quête continue de différents « -ismes » enthousiastes et aveugles, venus de l’Occident. À travers Leo Strauss, c’est donc la perspective d’une rencontre véritable avec l’ethos classique, tant occidental que chinois, qui devient possible. L’enjeu sous-jacent n’est autre que le rejet du relativisme sur le plan des valeurs et la critique radicale d’une modernité héritée de l’esprit des Lumières.
Wang Hui : “Politique de dépolitisation et « caractère public » des médias de masse”
Un processus de dépolitisation est aujourd’hui à l’œuvre tant en Chine que dans le reste du monde. Il touche à la fois les rouages de l’État et ces grands acteurs du politique au xxe siècle que sont les partis politiques. États et partis semblent désormais se transformer en organismes neutralisés d’administration dont la tâche revient simplement à gérer des intérêts divergents. Mais cette apparente neutralité masque en réalité un processus de tractation entre le pouvoir politique et les intérêts financiers de groupes d’intérêts. Les médias, tant en Chine que dans les démocraties occidentales, illustrent bien cette logique. Leur caractère prétendument public et transparent ne sert qu’à masquer un processus de reféodalisation qui s’opère au détriment de toute justice sociale.
Emmanuel Terray : “La démocratie et ses limites”
L’auteur souligne combien, en dépit de la différence des contextes, les contributeurs chinois de ce numéro soulèvent, quant aux fondements et aux limites de la démocratie, des interrogations fort comparables à celles qui s’énoncent en Occident. Il entreprend de passer en revue quelques-unes d’entre elles : la question de la ou des libertés (liberté négative et positive, individualisme et communauté), le problème d’une exclusivité donnée à la légitimation par la souveraineté populaire (rôle de l’arrière-fond historique et éthico-religieux) et le débat sur les formes concrètes de participation politique, au delà du système représentatif. Il souligne aussi, dans un dialogue avec Qin Hui, la pertinence d’une prise en compte simultanée de la « grande » et de la « petite communauté » dans une vie politique démocratique.