Paris 8 - Université des créations

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Revue Médiévales. Langue Textes Histoire
Nombre de pages : 272
Langue : français
Paru le : 17/01/2019
EAN : 9782842928612
Première édition
CLIL : 3386 Moyen Age
Illustration(s) : Non
Dimensions (Lxl) : 240×160 mm
Version papier
EAN : 9782842928612

Version numérique
EAN : 9782842928629

Traductions du Moyen Âge

N°75/2018

On a beaucoup traduit au Moyen Âge. Médiévales réunit ici historiens et littéraires autour d’un problème qui se pose à eux avec la même force : comment traduisait-on au Moyen Âge ? et comment traduire le Moyen Âge aujourd’hui ?

Histoire et littérature sont parfois pensées comme deux domaines étanches. Or deux occupations leur sont aussi communes qu’essentielles, à savoir l’édition et la traduction, puisque sans texte scientifiquement établi il n’est ni reconstitution du passé ni herméneutique solide possible, et que sans traduction, il n’est pas non plus de compréhension assurée des témoignages venus des mondes anciens. L’originalité de ce numéro coordonné par une chercheuse ayant reçu une double formation en Lettres et en Histoire est donc de faire dialoguer des spécialistes de littérature et d’histoire du Moyen Âge autour d’un même objet : la traduction.

Ouvrage publié avec le soutien de l’université Lumière Lyon 2 et du CIHAM (UMR 5648)

Laurence Moulinier-Brogi
Traduire au Moyen Âge, traduire le Moyen Âge


Jean-Louis Gaulin
Latin et vernaculaire dans les écritures administratives de la principauté de Savoie. L’exemple des comptes généraux du XIVe siècle

Alexis Charansonnet
Traduire en français la souveraineté royale. Autour de documents latin-français du Trésor des Chartes sur le rattachement de Lyon au royaume

Jérémie Rabiot
« 
Fatta fedelmente volgarizzare ». Les documents traduits et insérés dans la Nuova cronica de Giovanni Villani (Florence, XIVe siècle)

Carlos Heusch
Traduction et re-création : le cas des premiers romans d’aventures castillans, traduits du français (XIIIe-XIVe s.)

Marylène Possamai Perez      
Traduire Ovide au XIVe siècle : les amours de Mars et Vénus au livre IV des Métamorphoses et de l’Ovide moralisé

Irene Salvo Garcia
«
Que l’en seult balaine clamer ». Traduction et commentaire linguistique au Moyen Âge

Laurence Moulinier-Brogi
Y a-t-il de l’intraduisible ? Quelques exemples de résistances dans les écrits scientifiques du Moyen Âge

Marie-Pascale Halary
Sur une traduction médiévale de la Lettre aux frères du Mont-Dieu. Le témoignage ancien d’un vernaculaire savant

Corinne Pierreville
Le choix des mots. Traduire les textes érotiques du Moyen Âge

Christopher Lucken
Traduire la chanson de Roland

Essais et recherches

Arnaud Lestremau
Basileus Anglorum. La prétention impériale dans les titulatures royales à la fin de la période anglo-saxonne

Point de vue

Sylvie Duval
La littéracie des femmes à la fin du Moyen Âge. Questions sur l’histoire 
de la culture, de la lecture et de l’écriture à travers des travaux récents.

Notes de lecture

Marion Pouspin, Publier la nouvelle. Les pièces gothiques. Histoire d’un nouveau média, XVe-XVIe siècles (Alexandra Velissariou) ; Nacima Baron, Stéphane Boissellier, François Clément, Flocel Sabaté (dir.), Limites et frontières (Giovanni Stranieri) ; Arnau de Vilanova, Regiment de sanitat per al rei d’Aragó. Aforismes de la memòria (Marilyn Nicoud) ; Élisabeth Lusset, Crime, châtiments et grâce dans les monastères au Moyen Âge, XIIe-XVe siècle, (Megan Cassidy-Welch) ; Emmanuelle Vagnon et Éric Vallet (dir.), La Fabrique de l’océan Indien. Cartes d’Orient et d’Occident, Antiquité-xvie siècle (Bruno Judic) ; Léonard Dauphant, Géographies. Ce qu’ils savaient de la France, 1100-1600 (Adrien Carbonnet)

Livres reçus

Jean-Louis Gaulin – Université Lumière-Lyon 2, UMR 5648 (CIHAM)
Latin et vernaculaire dans les écritures administratives de la principauté de Savoie. L’exemple des comptes généraux du XIVe siècle

La principauté de Savoie a maintenu l’usage du latin comme langue d’administration jusqu’à la crise provoquée par l’occupation française des années 1536-1559. Pourtant, l’exploration de la série des comptes rendus par les trésoriers généraux au xive siècle montre que des documents annexes rédigés en vernaculaire – un moyen français avec des traits franco-provençaux – pouvaient, selon un schéma administratif très contrôlé, trouver sa place dans cette comptabilité majeure. Les écritures comptables de la Maison de Savoie offrent ainsi un terrain d’enquête particulièrement propice à l’étude du bilinguisme qui caractérisait les officiers du prince dans leur travail quotidien.
Mots clés : administration, bilinguisme, écritures comptables, franco-provençal, latin, Savoie, vernaculaire

 

Alexis Charansonnet – Université Lumière-Lyon 2, UMR 5648 (CIHAM)
Traduire en français la souveraineté royale. Autour de documents latin-français du Trésor des Chartes sur le rattachement de Lyon au royaume

Dans un contexte (seconde moitié de 1297) de propagande effrénée des officiers français en faveur du rattachement de Lyon, évêché impérial, à la royauté capétienne, la comparaison d’un court mémoire anonyme en latin des Archives nationales avec sa version en français révèle en quoi peut consister parfois la « traduction » : abréger, simplifier, diffuser plus largement l’argumentaire royal par l’intermédiaire de ses serviteurs locaux. Pour une démonstration simple mais majeure : prouver « que Lyons est du royaume de France et li premiers sieges d’archevesque qui sont el roiaume de France ».
Mots clés : archevêque, Empire, Lyon, mémoire administratif, officiers royaux, propagande, roman national, traduction

 

Jérémie Rabiot – Gymnase de Münchenstein (Bâle, Suisse), UMR 5648 (CIHAM)
« Fatta fedelmente volgarizzare ». Documents traduits et insérés dans la Nuova cronica de Giovanni Villani (Florence, XIVe siècle)

Cet article étudie la traduction en vulgaire et la retranscription de documents latins dans la Nuova cronica, une histoire du monde et de la ville de Florence rédigée au XIVe siècle par Giovanni Villani, chroniqueur-marchand. Partant de l’étude des objectifs et des principes de traduction mis en œuvre, il souligne les enjeux politiques et sociaux qui amènent l’auteur à rechercher, traduire et recopier des documents officiels (bulle pontificale, échanges de chancellerie ou traité d’alliance). Il s’efforce ainsi de rapprocher ces caractéristiques de l’essor des vulgarisations de statuts communaux, dans un contexte d’intensification de la communication politique en vulgaire dans les cités communales d’Italie.
Mots clés : Florence, Giovanni Villani, Italie, Nuova cronica, traduction, vulgaire

 

Carlos Heusch – École normale supérieure de Lyon, UMR 5648 (CIHAM)
Traduction et re-création : du didactisme d’Alphonse X aux premiers romans d’aventures castillans
L’article recense les principales traductions réalisées en Castille au XIIIe siècle dans l’entourage du pouvoir (Ferdinand III, Alphonse X et Sanche IV) en insistant sur leur caractère programmatique : la primauté donnée au didactisme oriental tient aux implications politiques de ce genre littéraire. L’auteur précise également quel est le modus operandi de ces traductions, notamment celles qui ont été faites sous l’égide d’Alphonse X. Avec Sanche IV, la Castille s’ouvre à une nouvelle vague de traductions tournées vers la très spiritualiste « matière de France ». Mais cela constitue le point de départ de récits d’aventures chevaleresques traduits du français qui vont donner les premières œuvres castillanes aux accents arthuriens comme le Chevalier Zifar ou le premier Amadis de Gaule.
Mots clés : Alphonse X, Amadis, didactisme, politique, roman de chevalerie, Sanche IV, traduction, Zifar

 

Marylène Possamaï-Perez – Université Lumière-Lyon 2, UMR 5648 (CIHAM)
Traduire Ovide au XIV siècle : les amours de Mars et de Vénus au livre IV des Métamorphoses et de l’Ovide moralisé

Cette étude recherche les sources de l’auteur anonyme qui, au début du xive siècle, livre la première traduction complète en langue vernaculaire des Métamorphoses d’Ovide, avant d’en donner une deuxième « traduction », une transposition axiologique, qui lève le voile de la fable pour en révéler le sens allégorique. Pour la traduction du latin au roman, le translateur, qui connaît le latin et peut le traduire fidèlement, choisit parfois les mots en s’aidant des gloses interlinéaires du manuscrit médiéval des Métamorphoses qu’il utilise. Mais il peut s’appuyer sur d’autres textes antiques (pour la légende de Mars, Vénus et Vulcain, il s’agit de l’Ars amatoria d’Ovide) et dispose aussi de versions romanes antérieures de la fable (en l’occurrence, celle qu’on lit dans le Roman d’Eneas). Il amplifie le texte des Métamorphoses grâce à ces mêmes textes, ou grâce aux mythographes qui l’ont précédé. Mais dès cette version romane de la fable, il fait preuve d’originalité et certains détails ne se lisent dans aucun autre texte. Cependant, c’est dans la deuxième transposition, celle de l’interprétation, qu’il se détache le plus de ses sources : les deux interprétations « concrètes » se distinguent des mythographes ou des récits romanesques antérieurs par leur ampleur et leur ton. Mais c’est surtout l’« allégorie » tropologique qui se révèle d’une originalité irréductible, notamment par le ton passionné caractéristique de cet ouvrage sans doute en lien avec l’homilétique de son temps.
Mots clés : allégorie, fable, latin, Ovide moralisé, prédication, roman, traduction

 

Irene Salvo García – Centre for Medieval Literature, Syddansk Universitet (Danemark)
« Que l’en seult balaine clamer ». Commentaire linguistique et traduction au Moyen Âge (XIIIe-XIVe siècles, Espagne, France)

Dès la fin du XIIIe siècle apparaissent les premières traductions des Métamorphoses d’Ovide en castillan et en français. Ces versions, héritées d’une exégèse commune de provenance française, sont insérées dans des œuvres bien plus longues à caractère historiographique et chrétien : la General estoria (1270-1284) d’Alphonse X, qui occupe 6 000 pages dans son édition moderne, et l’Ovide moralisé (vers 1320), qui contient plus de 72 000 vers. La réception de la glose interprétative longue n’empêche pas, néanmoins, que les deux traductions soient remarquablement littérales, ce qui permet de comparer assez précisément l’original aux versions vernaculaires. Ainsi, nous observons que la glose latine brève de caractère linguistique, une partie fondamentale des commentaires latins d’Ovide, est également connue des traducteurs. Dans ce travail, nous nous concentrons sur la traduction du lexique relatif à la mythologie et aux noms de plantes, de fleurs et d’animaux si présents dans les Métamorphoses d’Ovide et nous étudions à quel point les solutions romanes peuvent être expliquées par la glose conservée ou reliées à elle. Les exemples soulignent les difficultés rencontrées par les traducteurs, non seulement pour comprendre le latin avec précision, mais aussi pour trouver un équivalent en langue romane qui rende le terme original latin. La comparaison des deux traductions contribue de plus aux histoires littéraires et linguistiques de la langue d’oïl et du castillan entre la fin du XIIIe siècle et le début du XIVe siècle.
Mots clés : faune, flore, General estoria, gloses, lexiques, Métamorphoses, Ovide, Ovide moralisé, traduction

 

Laurence Moulinier-Brogi – Université Lumière-Lyon 2, UMR 5648 (CIHAM)
Y a-t-il de l’intraduisible ? Quelques exemples de résistances dans les écrits scientifiques du Moyen Âge

L’histoire des traductions en vulgaire de la littérature technique ou scientifique, appelée Fachliteratur en allemand, est riche en problèmes de terminologie, et souvent aussi de philologie, des erreurs de copie parfois perpétuées par des éditions ayant pu offrir des obstacles durables à l’identification correcte de tel ou tel objet. L’article donne un rapide panorama des difficultés inhérentes aux translations d’écrits scientifiques ou techniques en s’intéressant aux écueils liés à la traduction de noms d’espèces locales, notamment végétales, par la transmission fidèle des noms de couleurs d’une aire linguistique à une autre, ou encore par l’adoption de nouveaux termes introduits par les traductions arabo-latines en matière de science des astres à partir du XIIe siècle. Ces sondages dans différents champs de la science médiévale révèlent des résistances en matière d’identification, de transposition du particulier à l’universel, ou d’intégration dans une langue cible. Il rappelle au passage combien le gisement textuel constitué par les glossaires, les listes de synonymes ou autres lexiques, encore à défricher malgré de récentes avancées, a pu être d’un précieux secours pour les lecteurs du Moyen Âge, et peut l’être encore pour les modernes.
Mots clés : écrits scientifiques, Fachliteratur, Hagin le Juif, Hildegarde de Bingen, Liber subtilitatum, noms de couleurs, noms de plantes, science des astres, traduction, uroscopie, vernacularisation

 

Marie-Pascale Halary – Université Lumière-Lyon 2, UMR 5648 (CIHAM)
Sur une traduction médiévale de la Lettre aux frères du Mont-Dieu. Le témoignage ancien d’un vernaculaire savant

Cette étude porte sur une traduction ancienne (deuxième moitié du xiie siècle), en dialecte lorrain, de la Lettre aux frères du Mont-Dieu de Guillaume de Saint-Thierry. Après avoir rappelé les principales caractéristiques des translations monastiques contemporaines, elle examine les modalités de la mise en roman de ce texte spirituel en se concentrant, notamment, sur la traduction du binôme de substantifs anima/animus. L’enjeu est de montrer l’existence à date ancienne d’une scripturalité vernaculaire savante, qui n’était peut-être pas destinée à un public laïque.
Mots clés : animus/anima, Epistola ad fratres de Monte Dei, Guillaume de Saint-Thierry, littérature spirituelle, traductions monastiques, vernaculaire savant

 

Corinne Pierreville – Université Jean Moulin-Lyon 3, UMR 5648 (CIHAM)
Le choix des mots. Traduire les textes érotiques du Moyen Âge

La traduction est, comme chacun sait, un exercice condamnant le traducteur à une forme de frustration : il est impossible de restituer parfaitement toutes les nuances d’un texte, les connotations d’un mot, le rythme, les sonorités, les suggestions phoniques et sémantiques, le style d’un auteur. Les difficultés de cette entreprise s’accroissent quand le texte source relève d’une littérature s’attachant à l’évocation du désir et du plaisir sexuel. Lors de la constitution d’une anthologie de la littérature érotique médiévale, la nécessité de la traduction s’est imposée afin d’éviter de surcharger les textes de notes sémantiques, tant la langue du Moyen Âge est devenue étrangère au lecteur contemporain. Traduire était nécessaire pour éviter au lecteur des erreurs de compréhension et lui donner les clés du sens. Mais comment traduire ? Quels termes existant en français moderne fallait-il conserver ? Quels étaient les mots exigeant d’être traduits ? Des exemples précis nous permettent de justifier les choix qui ont été les nôtres tout en évoquant les résistances que nous avons rencontrées et, en particulier, les jeux de syllepse et de double-sens que nous avons échoué à traduire.
Mots clés : comique, érotisme, obscénité, traduction, transgression

 

Christopher Lucken – Université Paris 8 (Vincennes/Saint-Denis), EA 7322/Université de Genève
Traduire la chanson de Roland

Cette étude présente et analyse pour l’essentiel les nombreuses traductions rythmées ou versifiées de la Chanson de Roland réalisées entre la publication du manuscrit d’Oxford en 1837 et la fin de la Première Guerre mondiale, traductions qui s’efforcèrent de répondre au titre qui avait été donné à cette chanson de geste, d’en restituer d’une manière ou d’une autre le caractère lyrique et de maintenir ainsi le lien que l’on avait établi entre elle et la cantilena Rolandi qui aurait été chantée lors de la bataille de Hastings afin d’encourager les soldats à se battre. Après avoir cherché à préciser ce qui a amené ses premiers traducteurs à en conserver le chant (dans un contexte dominé principalement par la défaite de 1870 et un désir de revanche), elle présente également les arguments avancés en 1922 par Joseph Bédier pour la traduire en prose, plutôt qu’en vers, et s’efforce d’expliquer les motivations et les enjeux d’une telle décision.
Mots clés : cantilena Rolandi, chanson de geste, Chanson de Roland, Joseph Bédier, nationalisme, poésie épique, prose, traduction, vers

 

Arnaud Lestremau – Collège Pablo Picasso (Garges-lès-Gonesse)/LAMOP (UMR 8589 – Paris 1 Panthéon-Sorbonne/CNRS)
Basileus Anglorum. La prétention impériale dans les titulatures royales à la fin de la période anglo-saxonne

Les titulatures reflètent l’étendue du pouvoir d’un roi, mais renvoient aussi l’image qu’il entend donner de lui-même. Dans une période de mutation politique rapide dans le monde insulaire, il est donc logique que ces titulatures évoluent elles aussi, pour mettre en lumière les conquêtes ou les annexions, tout en signalant les revendications territoriales. Au début du ixe siècle, l’hégémonie mercienne se traduisait par l’utilisation de titres impériaux ; à compter de la fin du siècle, les victoires décisives remportées par le Wessex permettent à ses rois d’assumer une titulature de plus en plus audacieuse. Rendant d’abord compte de l’incorporation dans un même royaume d’Angles et de Saxons, le roi Alfred se présente comme roi d’un nouveau royaume, celui des « Anglo-Saxons ». Reprenant ensuite l’étiquette ethnique unificatrice et salvatrice créée par Bède, lui et ses successeurs se présentent progressivement comme les rois des Anglais. Cette capacité à dominer plusieurs royaumes que tout séparait quelques décennies plus tôt, l’efficacité de la lutte contre les Vikings, les conquêtes réalisées et l’influence croissante du roi en dehors de son royaume lui permettent progressivement de passer une nouvelle étape, en adoptant des titres plus clinquants. Si l’on en croit la communication politique du Wessex aux xe-xie siècles, le royaume est devenu un empire, a minima pendant le règne des souverains les plus puissants, comme Æthelstan, Edgar ou Cnut.
Mots clés : Angleterre anglo-saxonne, chartes, communication politique, prétentions impériales, titulature

 

Sylvie Duval – Fondation Thiers/CIHAM
culture, écriture, femmes, genre, latin, lecture, littéracie

Jean-Louis Gaulin – Université Lumière-Lyon 2, UMR 5648 (CIHAM)
Latin and vernacular in the administrative writings of the Principality of Savoy. The example of the general book accounts of the fourteenth-century

The Principality of Savoy continued to use Latin as its language of administration up until the crisis caused by the French occupation during the years 1536-1559. However, the examination of a series of book accounts compiled by financial officers in the fourteenth century shows that accompanying documents written in vernacular—a middle French with Franco-Provençal features—could, as part of a highly regulated administrative procedure, have had a place in this accounting process. The records of the House of Savoy therefore offer a field of inquiry that is particularly useful for studying the bilingualism of the Prince’s officers in their daily work.
Keywords : administration, bilingualism, book account, Franco-Provencal, House of Savoy, Latin, vernacular

Alexis Charansonnet – Université Lumière-Lyon 2, UMR 5648 (CIHAM)
Translating royal sovereignty into French. Latin-French documents of the Trésor des Chartes on the attachment of Lyon to the kingdom

In the second half of 1297 in a context of unbridled propaganda by French officers in favor of Lyon (an imperial bishopric) becoming attached to the Capetian kingdom, comparing a short anonymous Latin memoir from the National Archives with its French version reveals what “translation” can sometimes consist of: shortening, simplifying, and more widely disseminating the royal argument through its local servants. A simple but significant example of this can be seen with the phrase: “that Lyons is of the kingdom of France and the first archbishop seat of the French Kingdom” [“que Lyons est du royaume de France et li premiers sieges d’archevesque qui sont el roiaume de France”].
Keywords : administrative brief, archbishop, empire, Lyon, propaganda, “roman national,” royal officers, translation

Jérémie Rabiot – Gymnase de Münchenstein (Bâle, Suisse), UMR 5648 (CIHAM)
“Fatta fedelmente volgarizzare.” Translated and inserted documents in Giovanni Villani’s Nuova Cronica (Florence, fourteenth century)

This paper focuses on the translation into vernacular and the transcription of Latin documents in the Nuova Cronica, a history of the world and of the city of Florence written in the fourteenth century by the chronicler and merchant Giovanni Villani. It studies the objectives and principles of translation adopted here, and highlights the political and social issues that led the author to receive, translate, and copy official documents (papal bull, exchanges of Chancery, or alliance treaty). It therefore aims to link these facts with the increase of vulgarizations of communal statutes, at a time when political communication in vernacular was becoming more widespread in the communes of Italy.
Keywords : Florence, Italy, Giovanni Villani, Nuova Cronica, translation, vernacular

Carlos Heusch – École normale supérieure de Lyon, UMR 5648 (CIHAM)
Translation and re-creation: From Alfonso X’s didacticism to the first Castilian novels

The author lists the main translations undertaken in thirteenth century Castile within the circle of power (Kings Fernando III, Alfonso X, and Sancho IV), focusing on the programmatic character of these translations. The author shows that the superiority given to the oriental didacticism is due to the political implications of this literary genre. He also details the modus operandi of these translations, in particular those that were made under the authority of King Alfonso X. With the next monarch, Sancho IV, Castile opened itself up to a new wave of translations focused on the highly spiritualist “matière de France.” This was the starting point for narratives about chivalric adventures translated from French such as The Book of the Knight Zifar or the earliest Amadis de Gaula, which were to give the first Castilian works an Arthurian dimension.
Keywords : Alfonso X, Amadis, chivalric romance, didacticism, politics, Sancho IV, translation, Zifar

Marylène Possamaï-Perez – Université Lumière-Lyon 2, UMR 5648 (CIHAM)
Translating Ovid in the fourteenth century: The love of Mars and Venus in Book IV of the Metamorphoses and the Ovide moralisé

This article examines the sources of the anonymous author who, at the beginning of the fourteenth century, produced the first complete translation in the vernacular language of Ovid’s Metamorphoses, before providing a second “translation,” a thematic transposition, that lifted the veil of the fable to reveal its allegorical meaning. For the translation of the fable, the translator, who knew Latin well and could translate it faithfully, sometimes chose the words by using interlinear glosses of the medieval manuscript of the Metamorphoses he had at his disposal. However, he was also able to use other earlier texts for guidance (Ovid’s Ars amatoria for the story of Mars, Venus, and Vulcan) as well as the previous Romanic versions of the fable (in this particular case, the one in the Roman d’Enéas). Thanks to these texts, or thanks to the mythographers who preceded him, the translator enhanced the text of the Metamorphoses. In this French version of the fable, he displays originality and includes certain details that are not present in any other text. However, it is in the second transposition, that of the interpretation, that he really departs from his sources: both “concrete” interpretations distinguish themselves from the writings of mythographers or from previous romantic narratives in their scale and their tone. But it is the tropological “allegory” in particular that displays an unyielding originality, in particular through the zealous tone that is characteristic of this work, which can certainly be related to the preaching of the translator’s time.
Keywords : allegory, fable, Latin, Ovide moralisé, preaching, Romanic, translation

 

Irene Salvo García – Centre for Medieval Literature, Syddansk Universitet (Danemark)
« Que l’en seult balaine clamer. » Linguistic commentary and translation in the Middle Ages (ca thirteenth to fourteenth centuries, Spain and France)

The first translations of Ovid’s Metamorphoses in Castilian and in French date from the end of the thirteenth century. These versions, the product of a common exegetic tradition of French origin, are part of a much wider historiographical and Christian body of works : the General estoria (1270-1284) of King Alfonso X, the modern edition of which has more than 6,000 pages, and the Ovide moralisé (ca 1320), which contains 72,000 verses. Despite having extensive interpretative glosses at their disposal, both translations are remarkably literal, which allows us to compare the original text to the vernacular version quite precisely. Thus, we observe that the translators were also aware of the short Latin gloss, which is of a linguistic character and is a fundamental part of Latin commentaries on Ovid. In this article, we focus on the translation of the lexicon of plants, flowers, and animals, which are mentioned frequently in Ovid’s Metamorphoses, and we study the extent to which the vernacular solutions can be explained by or linked to the previous commentaries. The examples highlight the difficulties the translators had to contend with, which included not only having to understand Latin precisely, but also finding Romance language equivalents to capture the original Latin term. The comparison between both translations contributes to the literary and linguistic histories of Old French and Castilian between the end of the thirteenth century and the beginning of the fourteenth century.
Keywords : fauna, flora, General estoria, gloss, lexicons, Metamorphoses, Ovid, Ovide moralisé, translation

 

Laurence Moulinier-Brogi – Université Lumière-Lyon 2, UMR 5648 (CIHAM)
Are some things untranslatable ? Certain cases of resistance in the scientific writings of the Middle Ages

The history of the vernacular translations of the scientific or technical literature of the Middle Ages, the so-called Fachliteratur in German, presents many terminological and philological problems : these texts sometimes contain copy errors carried over into subsequent editions, and misreading is often the primary reason why specific objects are incorrectly identified. This article aims to provide a sample of the difficulties encountered in the translation of scientific or technical writing. It considers the translation of names of different species, in particular botanical ones, which are often very locally specific and sometimes even extinct. It also looks at the issue of accurately transmitting the names of colors from one linguistic area to another, and, lastly, the adoption of new terms introduced from the twelfth century onward into the medieval Western world by the Latin translations from Arabic about the science of the stars. This brief overview of various different fields of medieval science reveals that there was some resistance when it came to identifying and transposing the peculiar to the universal, or integrating new words into a target language. It also briefly touches upon the significance of medieval glossaries, lists of synonyms, and lexicons, which were very useful for medieval readers and can still be of great help for modern readers or translators.
Keywords : color names, Fachliteratur, Hagin the Jew, Hildegard of Bingen, Liber subtilitatum, names of plants, science of celestial bodies, scientific writing, translation, uroscopy, vernacularization

 

Marie-Pascale Halary – Université Lumière-Lyon 2, UMR 5648 (CIHAM)
A medieval translation of William of Saint-Thierry’s Letter to the Brothers of Mont-Dieu. Early evidence of a learned vernacular

This study looks at an early translation (second half of the twelfth century), in the Lorraine dialect, of the Letter to the Brothers of Mont-Dieu by William of Saint-Thierry. After outlining the main characteristics of contemporary monastic translations, it examines how this spiritual text was transposed into this Romance language by focusing in particular on the translation of the pair of nouns « anima/animus. » It aims to demonstrate the existence, at an early date, of a scholarly vernacular scripturality, which may not have been intended for a secular audience.
Keywords : animus/anima, Epistola ad fratres de Monte Dei, Letter to the Brothers of Mont-Dieu, monastic translations, spiritual literature, vernacular scripturality, William of Saint-Thierry

 

Corinne Pierreville – Université Jean Moulin-Lyon 3, UMR 5648 (CIHAM)
A choice of words ? Translating the erotic texts of the Middle Ages

As everyone knows, translation is an exercise that can lead the translator to become frustrated, since it is not possible to perfectly restore all the various nuances of a text, the connotations of a word, the rhythm, the tones, the phonic and semantic suggestions, and the style of an author. These difficulties increase when the writing deals with sexual desire and pleasure. In order to provide an anthology of medieval erotic literature, translation is essential, since the contemporary reader would be unable to understand the language of the Middle Ages, and the original text would have to be heavily annotated with notes on meaning. Translation is necessary for enabling the reader’s understanding of the text, and for providing keys to its meaning. But how should we translate ? What terms that exist in modern French should we keep ? What words should we change ? In this article, we use specific examples to justify our choices, as well as discussing what we failed to translate.
Keywords : comedy, eroticism, obscenity, transgression, translation

 

Christopher Lucken – Université Paris 8 (Vincennes/Saint-Denis), EA 7322/Université de Genève
Translating The Song of Roland

This study presents and analyzes the many versified or rhythmic translations of The Song of Roland produced between the publication of the Oxford manuscript in 1837 and the end of the First World War. These translations attempted to keep in mind the title that had been given to this chanson de geste, preserving in one way or another its lyrical character and thus maintaining the link that had been established with the Cantilena Rolandi that was said to have been sung during the Battle of Hastings to encourage soldiers to fight. After having specified what led its first translators to retain the song element of this poem (in a context dominated mainly by the defeat of 1870 and a desire for revenge), it presents the arguments made in 1922 by Joseph Bédier to translate it into prose, rather than verse, and attempts to explain the motives and issues of such a decision.
Keywords : Cantilena Rolandi, chanson de geste, epic poetry, Joseph Bédier, nationalism, prose, Song of Roland, translation, verse

 

Arnaud Lestremau – Collège Pablo Picasso (Garges-lès-Gonesse)/LAMOP (UMR 8589 – Paris 1 Panthéon-Sorbonne/CNRS)
Basileus Anglorum. Imperial claims in regnal styles at the end of the Anglo-Saxon period

Regnal styles reflect the extent of a king’s power, but they also show the image that he wants to project. During a period of intense political change in the British Isles, it was only logical that the regnal styles would change too, in order to highlight conquests and annexations and assert territorial claims. At the beginning of the ninth century, the Mercian hegemony was manifested by the use of imperial titles, and at the end of that century, the crucial victories of Wessex allowed their kings to assume increasingly audacious styles. As he had incorporated Angles into a Saxon kingdom, King Alfred presented himself as the king of a new kingdom, the kingdom of the Anglo-Saxons. He and his successors then took up a unifying and redeeming ethnic label forged by the Venerable Bede, and they progressively became the Kings of the English. Because they were able to rule several kingdoms that had been divided only a few decades earlier, and because of their ability to successfully fight against the Vikings, achieve conquests, and have a growing influence outside the kingdom, the kings chose even more daring and showy regnal styles. If one believes the political communication of Wessex during the tenth and eleventh centuries, the kingdom had become an empire, at the very least during the reign of its most powerful rulers, such as Athelstan, Edgar, or Cnut.
Keywords : charters, imperial claims, late Anglo-Saxon England, political communication, regnal style

 

Sylvie Duval – Fondation Thiers/CIHAM
gender studies, Latin, literacy, reading, women, writing

Introduction

Laurence Moulinier-Brogi
Traduire au Moyen Âge, traduire le Moyen Âge

La pratique de la traduction au Moyen Âge, en particulier en langues vernaculaires, est l’objet dans toute l’Europe d’un intérêt croissant, qui a largement dépassé le premier cercle des seuls linguistes. Il ne s’agira pas ici de présenter un état de la recherche et des initiatives (colloques, publications, bases de données, projets ANR, etc.) à ce sujet, tant ce champ est foisonnant. On trouvera d’un article à l’autre ici réunis des informations bibliographiques suffisantes pour le lecteur désireux d’en savoir toujours plus. Pour ne pas alourdir un recueil déjà riche, on se contentera de rappeler que cette livraison de Médiévales est le fruit d’une journée d’études, tenue à Lyon le 12 janvier 2018 dans les locaux du CIHAM (UMR 5648), qui s’était donné un double objectif : réunir autour d’un même objet de réflexion littéraires et historiens, dont les champs respectifs sont souvent perçus comme des vases non communicants, et aborder la vaste question des traductions sous un double angle d’attaque, en diachronie et en synchronie. Ainsi s’explique à la fois la variété des documents abordés, des actes de la pratique à la chanson de geste en passant par les traités d’uroscopie, mais aussi la variété des langues considérées : plutôt qu’entrer à nouveau dans le débat entre diglossie et bilinguisme pour qualifier la civilisation de l’Occident médiéval, on a préféré mettre en lumière l’interlinguisme du Moyen Âge.

Jean-Louis Gaulin nous introduit à la documentation comptable des états de Savoir, dont la langue administrative fut longtemps le latin. Or, dans cette région à la situation étonnante d’un point de vue linguistique, tiraillée entre franco-provençal au Nord et piémontais au Sud, l’examen de documents comptables inédits dans lequel la langue vulgaire fait irruption lui permet d’apporter une importance retouche à l’idée reçue selon laquelle le latin aurait été la seule langue d’expression du pouvoir savoyard. En s’attachant à comparer un court mémoire anonyme en latin conservé aux Archives nationales avec sa version en français, Alexis Charansonnet révèle pour sa part en quoi peut consister parfois la « traduction » : en l’occurrence, en 1297, dans un contexte de propagande des officiers français en faveur du rattachement de Lyon, évêché impérial, à la royauté capétienne, la traduction de ce document relaie la diffusion de l’autorité royale en assurant une démonstration aussi simple que capitale : prouver « que Lyons est du royaume de France et li premiers sieges d’archevesque qui sont el roiaume de France. »

Jérémie Rabiot, quant à lui, étudie la traduction en vulgaire et la retranscription de documents latins dans la Nuova cronica du chroniqueur-marchand Giovanni Villani (†1348), dont une des particularités est l’insertion de documents exogènes (un peu à la manière de Joinville incorporant le texte de l’ordonnance de 1254 à sa Vie de saint Louis). Par l’étude des objectifs et des principes de traduction mis en œuvre, cet article met en lumière les enjeux politiques et sociaux qui ont pu amener Villani à rechercher, (faire) traduire et recopier des documents officiels (bulle pontificale, échanges de chancellerie ou traité d’alliance). L’époque est alors à l’intensification de la communication politique en vulgaire dans les cités communales d’Italie, et les particularités de l’œuvre de Villani sont à mettre en perspective avec l’essor contemporain des vulgarisations de statuts communaux.

Les implications politiques ne sont pas non plus absentes des traductions réalisées en Castille au xiiie siècle dans l’entourage du pouvoir (Ferdinand III, Alphonse X et Sanche IV) qu’étudie Carlos Heusch, caractérisées par leur caractère programmatique et la primauté donnée au didactisme d’inspiration orientale. L’auteur analyse le modus operandi de ces translations, notamment celles qui ont été faites sous l’égide d’Alphonse X, avant de montrer entre autres qu’avec Sanche IV la Castille s’ouvre à une nouvelle vague de traductions tournées vers la « matière de France », qui produira les premières œuvres castillanes aux accents arthuriens comme le Chevalier Zifar ou le premier Amadis de Gaule.

Outre les contextes, il convient aussi de s’interroger sur les méthodes et les écueils des traducteurs. Marylène Possamaï Perez recherche pour sa part les sources de l’auteur anonyme qui, au début du xive siècle, a livré la première traduction complète en langue vernaculaire des Métamorphoses d’Ovide : elle montre qu’il connaissait assez le latin pour le traduire fidèlement, en s’aidant parfois, pour choisir ses mots, des gloses interlinéaires du manuscrit médiéval des Métamorphoses qu’il utilisait. Il pouvait aussi s’appuyer sur d’autres textes antiques et disposait de versions romanes antérieures de la fable — autant d’écrits lui permettant d’amplifier le texte d’Ovide —, ce qui ne l’empêchait pas de faire preuve d’originalité par rapport à ses sources.

Plus encore que celle des sources, c’est la question des ressources des traducteurs qu’abordent plusieurs articles, incidemment ou non. Les gloses latines de caractère linguistique, par exemple, élément fondamental des commentaires d’Ovide au Moyen Âge, ont sans doute également joué un rôle dans les traductions auxquelles s’intéresse Irene Salvo Garcia, celles des Métamorphoses en langue d’oïl et en castillan, apparues dès la fin du xiiie siècle et insérées dans des œuvres bien plus amples à caractère historiographique et chrétien, telles la General estoria (1270-1284) d’Alphonse X et l’Ovide moralisé. Ces traductions n’en sont pas moins très littérales, et une bonne illustration en est fournie ici par la traduction du lexique relatif à la mythologie et aux noms de plantes, qui a pu poser aux traducteurs des problèmes de compréhension mais aussi de recherches d’équivalents.

De tels problèmes de terminologie traversent l’histoire de la littérature technique ou scientifique en langue vulgaire, et Laurence Moulinier-Brogi procède par sondages dans le vaste champ appelé Fachliteratur en allemand, en s’intéressant aux difficultés soulevées posées par la traduction de noms d’espèces locales, notamment végétales, ou disparues, par la transmission fidèle des noms de couleurs d’une aire linguistique à une autre, ou encore par l’adoption de nouveaux substantifs introduits par les traductions arabo-latines en matière de science des astres à partir du XIIe siècle. Elle rappelle au passage combien le gisement textuel constitué par les glossaires, les listes de synonymes ou autres lexiques, encore à défricher malgré de récentes avancées, a pu être d’un précieux secours pour les lecteurs du Moyen Âge, et peut l’être encore pour les modernes. En complément des questions liées à la transposition du particulier à une échelle plus large, générale, voire universelle, celle de la capacité du vulgaire à se faire langue de science et secréter un lexique savant est également abordée ici par Marie-Pascale Halary, à partir d’un second observatoire offert par la littérature spirituelle du Moyen Âge. Son étude porte sur une traduction de la deuxième moitié du xiie siècle, en dialecte lorrain, de la Lettre aux frères du Mont-Dieu du cistercien Guillaume de Saint-Thierry (†1148). Après avoir rappelé les principales caractéristiques des translations monastiques de l’époque, elle examine les modalités de la mise en roman de ce texte spirituel et se concentre sur la traduction du binôme de substantifs anima/animus, pour démontrer l’existence, à une date ancienne, d’une scripturalité vernaculaire savante qui n’était peut-être pas destinée à un public laïque : elle confirme ainsi à son tour que l’essor des langues vulgaires à partir du xiie siècle ne saurait s’expliquer seulement par l’ignorance du latin, et combien, depuis le haut Moyen Âge, ont pu subir de torsions les équivalences établies entre, d’une part, clerc et litteratus et, d’autre part, laïc et illiteratus[1].

Poésie, botanique, zoologie, médecine ou astronomie et astrologie médiévales ont donc pu poser avec force des questions d’interprétation en synchronie, qu’elles continuent de poser en diachronie. Car traduire n’est pas seulement risquer de trahir : c’est avant tout « trans-dire », c’est-à-dire tenter de franchir d’une part des frontières linguistiques, en forçant des serrures syntaxiques ou en forgeant un lexique recevable par le lectorat visé, mais aussi de traverser l’épaisseur des siècles. Sur cette dernière question bien évidemment inépuisable dans ce volume et inépuisable tout court, deux éclairages sont apportés à partir de matériaux littéraires très différents, d’un côté un gisement de textes longtemps minorés ou tenus pour anecdotiques, à savoir la littérature obscène ou érotique[2], et un monument comme la célèbre Chanson de Roland.

La difficile question du nom de la chose trouve une illustration originale avec l’article de Corinne Pierreville, qui montre que la plupart des difficultés inhérentes à toute entreprise de traduction s’accroissent quand le texte-source relève d’une littérature s’attachant à l’évocation du désir et du plaisir sexuel, et du sexe tout court[3]. Pour constituer une anthologie de la littérature érotique — pour ne pas dire parfois égrillarde, voire obscène — du Moyen Âge, la nécessité de la traduction s’est imposée à l’auteure afin d’éviter de surcharger les textes de notes sémantiques, tant la langue médiévale est devenue étrangère au lecteur contemporain. Mais comment traduire ? Quels termes existant en français moderne fallait-il garder ? Quels étaient les mots exigeant d’être traduits ? Des exemples précis lui permettent de justifier les choix qui ont été les siens tout en évoquant les obstacles qu’elle a rencontrés et, en particulier, des doubles sens résistant à toute tentative satisfaisante de traduction.

Pour finir, l’importante étude de Christopher Lucken présente les nombreuses traductions rythmées ou versifiées de la Chanson de Roland réalisées entre la publication du texte par Franscique Michel en 1837[4] et la fin de la Première Guerre mondiale, autant de versions qui tâchèrent de répondre au titre qui avait été donné à cette chanson de geste[5], et d’en rendre d’une manière ou d’une autre le caractère supposément lyrique. Après avoir tenté de préciser ce qui avait amené ses premiers traducteurs à en conserver la dimension chantée (dans un contexte dominé par la défaite de 1870 et un désir de revanche), l’article rappelle les arguments avancés par Bédier pour la traduire en prose plutôt qu’en vers, et s’efforce d’expliquer les motivations et les enjeux de sa décision : si Bédier conservait le titre[6], il brisait le lien que l’on avait établi entre la Chanson de Roland et la Cantilena Rolandi que, selon un chroniqueur du xiie siècle, un jongleur aurait entonnée lors de la bataille d’Hastings pour galvaniser les soldats — en 1066, soit près de 3 siècles après Roncevaux ! Avec Bédier, tout ne finit pas par des chansons… Quoi qu’il en soit, dans le cas de la Chanson de Roland, la question de la transposition d’une œuvre se double de celle du changement de forme d’un texte, autre moment de risque de perte de substance, mais c’est bien une même interrogation qui sous-tend les contributions rassemblées ici, par-delà la diversité délibérée des types de textes et des langues cible envisagées : comment traduire, voire « traduire ou ne pas traduire »[7], telle est la question

 

 

[1] Voir notamment H. Grundmann, « Litteratusilliteratus. Der Wandel einer Bildungsnorm vom Altertum zum Mittelalter », Archiv für Kulturgeschichte, 40 (1958), p. 1-63.

[2] Saluons de ce point de vue le caractère pionnier de l’œuvre de Pierre Bec, Burlesque et obscénité chez les troubadours : pour une approche du contre texte médiéval, Paris, 1984, et, dans une perspective tout à fait différente, de celui de D. Jacquart et Cl. Thomasset, Sexualité et savoir médical au Moyen Âge, Paris, 1985.

[3] Voir à ce sujet le court et stimulant article erotico-philologique de Th. Städtler, « Du vit et la coille », Revue de linguistique romane, 59 (1995), p. 131-135.

[4] Ms. Oxford, Bodleian Library, Digby 23, f. 1r-72r (2e ¼ du XIIe s.) ; voir La chanson de Roland ou de Roncevaux du XIIe siècle, publiée pour la première fois d’après le manuscrit de la Bibliothèque bodléienne à Oxford par Francisque Michel, Paris, 1837.

[5] Rappelons qu’aucun des manuscrits connus ne porte ce titre, mais que la version dite de Lyon se termine par : « Ci fenit li chançons des douez combatant / Explicit la desconfite de Roncevaux (ms. Lyon, Bibl. Mun., 743, f. 1r-60r).

[6] Voir La chanson de Roland commentée, éd. J. Bédier, Paris, 1927.

[7] On ne résiste pas ici à l’envie de parodier Shakespeare, sur les traces d’A. Corbellari, « Traduire ou ne pas traduire: le dilemme de Bédier. À propos de la traduction de la Chanson de Roland », Vox romanica, 56, 1997, p. 63-82.

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Revue Médiévales. Langue Textes Histoire
Nombre de pages : 272
Langue : français
Paru le : 17/01/2019
EAN : 9782842928612
Première édition
CLIL : 3386 Moyen Age
Illustration(s) : Non
Dimensions (Lxl) : 240×160 mm
Version papier
EAN : 9782842928612

Version numérique
EAN : 9782842928629

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