Paris 8 - Université des créations

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Collection Littérature Hors Frontière
Nombre de pages : 166
Langue : français
Paru le : 02/10/2012
EAN : 9782842923402
Première édition
CLIL : 3643 Essais littéraires
Illustration(s) : Non
Dimensions (Lxl) : 220×137 mm
Version papier
EAN : 9782842923402

Version numérique
EAN : 9782842927684

À l’aube des Mille et Une Nuits

Études comparatistes

Les Mille et Une Nuits, source d’inspiration littéraire, modèle de construction textuelle ou mythe de l’image du féminin avec le personnage de Schéhérazade.

Les auteurs interrogent ici, dans des études comparatistes, le rayonnement des Mille et Une Nuits. Sont abordés ici son influence sur les autres textes, les connexions plus ou moins conscientes établies avec d’autres auteurs, la réception qui a pu en être faite dans différentes cultures. De Jules Verne en passant par la Russie, du Dictionnaire des mythes féminins au Manuscrit trouvé à Saragosse, ce volume est une invitation à la déambulation, sur les traces laissées par ce texte fondateur de la littérature orientaliste.

Introduction Christiane CHAULET ACHOUR

Ce que les femmes racontent ? Lecture croisée d’une situation énonciative récurrente dans L’Âne d’or d’Apulée et Les Mille et Une nuits Carole BOIDIN Le Barbier de Saragosse : Les Mille et Une nuits et le Manuscrit trouvé à Saragosse Olivier BESUCHET Le prestige de l’éducation contre le plaisir du conte ? Réception et réécriture des Mille et Une Nuits au XVIIIe siècle en Russie Victoire FEUILLEBOIS Jules Verne et la mille et deuxième nuit Evanghélia STEAD Pour un autre mythe littéraire de Schéhérazade : lectures et propositions à partir de l’article « Schéhérazade » du Dictionnaire des mythes féminins Cyrille FRANÇOIS Des écrivaines contemporaines et Les Mille et Une Nuits Christiane CHAULET ACHOUR Bibliographie générale Contributrices, contributeurs
Introduction Christiane Chaulet Achour Quand Shahrazade se tait à l’aube, les chercheurs prennent la parole… Paul Hazard constatait en 1935, à propos des effets de l’édition d’Antoine Galland en Europe : « Quand Schéhérazade commença ses récits nocturnes et se mit à déployer, infatigable, les ressources infinies de son imagination, nourrie de tous les songes de l’Arabie, de la Syrie, de l’immense Levant […] toute l’Europe fut avide de l’entendre », car ses récits nourrissaient « l’exigence humaine, qui veut des contes après des contes, des rêves après des rêves, éternellement1 ». Les contes de la sultane ont-ils toujours ces effets sur les lecteurs et créateurs aujourd’hui ? La réponse ne peut être que réservée ; mais ce qui ne fait pas de doute, c’est que, depuis les années 19802, le relais de la fascination pour les contes arabes semble pris par les analyses et études des critiques littéraires et des universitaires. Leurs décryptages portent sur les nombreuses résurgences des Mille et Une Nuits dans la littérature occidentale depuis le début du xviiie siècle et de plus en plus sur ces résurgences dans les pays arabes et d’autres régions du monde. Même lorsqu’il apparaît souvent que l’Occident se parle à lui-même dans ces nouvelles créations ou analyses, la transmission ne se fait pas en circuit fermé – prendre et ne plus se soucier de la source –, mais s’inscrit dans des ailleurs multiples, depuis l’Antiquité – et il y a alors nécessairement d’autres sources que les traductions européennes – ou, plus près de nous, à partir du xviiie siècle. Les échanges sont parfois superficiels, le plus souvent profonds ou même essentiels, l’Orient des Nuits ayant réorienté les schémas narratifs et discursifs. Cette « avidité » critique que nous évoquons et à laquelle nous participons par cet ouvrage s’est traduite par de nombreux séminaires autour de ce sujet plein d’arborescences, avec plus ou moins de dialogues entre chercheurs arabisants travaillant sur les textes arabes et chercheurs des sciences humaines et de différentes langues sondant, à partir de telle ou telle traduction-adaptation dans une langue européenne, des œuvres héritières, pour le meilleur et pour le pire. Il est utile de citer tout d’abord, pour situer l’apport du présent volume, les collectifs qui l’ont précédé, de celui d’Edgard Weber en 19953 aux volumes les plus récents. Il faut auparavant rappeler qu’entre les années 1980 et le début du xxie siècle, les publications de Jamel-Eddine Bencheikh, Claude Brémond et André Miquel4 et la nouvelle traduction que deux d’entre eux ont éditée, d’abord de façon incomplète en Folio-Gallimard5 puis en version exhaustive dans la prestigieuse collection de la Pléiade6, le séminaire de Gilbert Grandguillaume et de François Villa7, la réédition avec introductions des Mille et Une Nuits d’Antoine Galland par Aboubakr Chraïbi et Jean-Paul Sermain8, ont été des appuis majeurs et des incitateurs pour de nombreux chercheurs. Les fruits de cet intérêt renouvelé ont été comptabilisés, pour en rester à l’édition française, en 2004, par notre premier collectif, Les 1 001 Nuits et l’imaginaire du xxe siècle 9 et celui coordonné par Aboubakr Chraïbi, Les Mille et Une Nuits en partage10 ; notre second collectif en 2006 sous le titre Les Mille et Une Nuits des enfants ; en 200811, un nouveau collectif coordonné par Cyrille François, Le Don de Shahrazad. La mémoire des Mille et Une Nuits12 ; en 2009 enfin, coordonné par Aboubakr Chraïbi et Carmen Ramirez, Les Mille et Une Nuits et le récit oriental en Espagne et en Occident13. De son côté, Dominique Jullien, qui avait déjà étudié la place et la fonction des Mille et Une Nuits dans la somme proustienne, offrait, en 2009, Les Amoureux de Schéhérazade14, titre suggestif entre tous pour qualifier cette aimantation de tant de recherches vers ce monument littéraire universel. Il faudrait citer d’autres critiques – on en trouvera certains dans notre bibliographie générale – qui ont consacré des ouvrages personnels à cet espace de création composé des contes et de leurs prolongements. D’autres colloques ont eu lieu, en particulier en Tunisie et au Maroc. On citera, sous l’impulsion d’Abdelfattah Kilito, Les Mille et Une Nuits : du texte au mythe, édité en 2005, fruit d’un colloque de 200215, et le volume qui doit être publié en 2011 du colloque international de Fès, « Les Mille et Une Nuits et la créativité littéraire »16. Ce nouvel ouvrage se place modestement dans cette lignée d’une communauté de chercheurs en langue française – loin d’être complète puisque nous n’avons pris en considération que certains pays de la Méditerranée –, riche d’une centaine de noms de tous horizons qui continuent à creuser les « sillons » dessinés par les Nuits arabes et leurs efflorescences. Il se place dans la perspective d’une mise en relation des études littéraires en France – françaises, francophones et traduites –, sous l’influence de la traduction d’Antoine Galland, pour rendre visibles les multiples « ponts » qui peuvent être franchis grâce à cet espace commun de recherche. Les chercheurs, invités à y intervenir, ont confirmé par leurs travaux l’intérêt fort qu’ils portent aux Mille et Une Nuits. L’ensemble de la rencontre a bénéficié de l’expertise dans le domaine d’Aboubakr Chraïbi, par sa présence active tout au long de l’atelier de travail qui a permis l’élaboration de notre ouvrage. Il a en particulier éclairé le débat en cernant l’environnement du « père » français des Mille et Une Nuits, Antoine Galland, en complétant les silences de l’histoire littéraire et en accentuant la notion d’échange qui est au cœur de toute incursion dans Les Mille et Une Nuits, notion d’échange entre les langues et les cultures, chère aux comparatistes : En ce qui concerne la présentation des Nuits et le rôle de Galland, il y a un commentaire qui s’impose d’emblée, côté arabe, car il existe des informations nouvelles qui modifient quelque peu notre perception des Nuits avant Galland et qui pourraient même modifier la perspective d’ensemble, qui cesserait d’être strictement française, pour devenir plus partagée, plus cosmopolite17. Aboubakr Chraïbi montre que les contes n’étaient pas assoupis dans les pays arabes au moment de la traduction de Galland puisque plusieurs faits attestent de la vitalité de leur transmission : « À cela, on peut ajouter que Galland lui-même n’était pas un arabisant isolé à Paris, mais qu’il était entouré de plusieurs savants d’origine syrienne, de la ville d’Alep, et que c’est l’un d’eux qui lui a procuré plusieurs manuscrits des Nuits. » Ces précisions permettent de faire apparaître une symétrie d’échanges culturels dès cette époque qui ne peut que mieux faire comprendre la qualité des textes que Galland parvient à offrir dans les champs littéraires occidentaux. Elles redonnent une dimension cosmopolite à la transmission des contes arabes sans rien enlever de son offensive sans précédent à l’arabisant français dans son rapport à une autre culture. C’est cette position centrale qui sert de référence à la majorité des contributions de cet ouvrage ; à une exception près, celle de la mise en relation de L’Âne d’or d’Apulée avec les Nuits, comme précurseurs, l’un et l’autre, de la fiction narrative. Le motif choisi est celui d’une narratrice : l’interprétation avancée à partir du contexte culturel de l’époque met en questionnement l’appréciation moderne de Shahrazade18. Les xviiie et xixe siècles sont visités à partir de deux écrivains majeurs, l’un par l’œuvre qui a fait sa renommée, Jean Potocki et son Manuscrit trouvé à Saragosse, et l’autre, Jules Verne, par un livret d’opéra peu connu. Ils sont visités aussi en Russie pour montrer l’impact que la traduction de Galland a eu sur l’autonomisation de la fiction narrative. Les xxe et xxie siècles sont abordés sous l’angle du féminin, par une lecture critique d’un article de dictionnaire, article bilan dans le champ littéraire français, et par l’examen d’un grand nombre d’écrivaines qui ont engagé une relation ludique, contestatrice ou décentrée avec le modèle pesant de la sultane. Présentons plus précisément ces contributions. Les études réunies ici apportent de nouveaux éclairages par rapport aux ouvrages antérieurs, par des prolongements quand l’œuvre avait été déjà étudiée, ou par des mises à jour nouvelles de dialogues avec les Nuits. Carole Boidin se propose de comparer Les Mille et Une Nuits à un autre ancêtre supposé de la fiction narrative, L’Âne d’or. Ces deux recueils représentent l’énonciation des histoires par le biais de personnages conteurs, ce qui donne un accès figuré aux valeurs associées à ces récits dans leurs cultures d’origine. Si les auteurs de contes de fées y ont vu des préfigurations étranges de leurs « contes de nourrice », il n’est pas sûr que la féminité de Schéhérazade ou de la vieille qui raconte l’histoire de Psyché soit univoque. Elle n’est que l’un des éléments combinés pour construire des figures d’énonciation qui correspondent, dans chaque œuvre, aux effets recherchés par le discours. La vieille de L’Âne d’or peut ainsi être perçue à la fois comme une énonciatrice à l’autorité déconstruite, porteuse de fabulæ, et comme une défiguration de l’autorité philosophique. La construction de Schéhérazade correspond sans doute à une tout autre logique, à la fois de l’ordre de la variation folklorique et du jeu sur un imaginaire plus lettré. Notre ensemble s’ouvre donc par cette interrogation sur les formes narratives anciennes bien avant que, selon la formule consacrée, les Nuits soient « offertes » au monde occidental par Antoine Galland. Ce regard oblige à un redimensionnement de nos appréciations. Olivier Besuchet, quant à lui, s’intéresse à Jean Potocki, cet écrivain polonais de langue française du xviiie siècle. « Le Barbier de Saragosse » propose une étude de cas centrée sur la comparaison de deux séquences narratives analogues : l’une dans Les Mille et Une Nuits, dans la traduction d’Antoine Galland, l’autre dans le Manuscrit trouvé à Saragosse (version de 1810) de Jean Potocki. Olivier Besuchet met en évidence la reprise par Potocki d’un personnage des Nuits, le barbier dans l’« Histoire que raconta le tailleur » (CLVIIe nuit), mais aussi de sa fonction diégétique – le récit du barbier retient son malheureux interlocuteur – et d’une de ses caractéristiques – sa présence à plusieurs niveaux narratifs (dans le récit enchâssé aussi bien que dans le récit enchâssant). Or, la description des attributs structurels de ce personnage déborde le cadre d’une stricte analyse des formes. Elle ouvre à une interprétation, d’une part, du regard que porte Jean Potocki sur l’espace qui a vu naître Les Mille et Une Nuits et, d’autre part, des figurations de cet espace au sein du Manuscrit trouvé à Saragosse. Dans le roman de Potocki, les structures, les séquences, les personnages orientaux sont transposés dans un cadre occidental et reliés à une tradition européenne. Interrogeant les frontières entre l’Orient et l’Occident, le Manuscrit trouvé à Saragosse met en évidence l’interpénétration de ces deux cultures. Victoire Feuillebois interroge le succès rencontré par la traduction d’Antoine Galland et son devenir. En effet, Les Mille et Une Nuits ont eu un succès considérable dès le xviiie siècle en Russie : diffusé dans le pays dès la traduction Galland de 1704, le texte est lu, repris et réécrit par plusieurs générations d’écrivains russes, qui profitent du succès de la fiction arabe à une époque où une vraie littérature russe moderne commence à peine à se former. Pourtant, cet héritage des Mille et Une Nuits en Russie a été largement minoré dans la seconde moitié du xixe siècle, et surtout au xxe siècle : pour des raisons idéologiques, les critiques ont souvent nié l’importance de ce texte apparemment frivole dans la consolidation du canon littéraire. Dans le champ intellectuel soviétique par exemple, on étudie uniquement les fictions orientales qui présentent un message politique ou philosophique visant à critiquer le pouvoir en place ou à éduquer le lecteur, tandis que les mêmes critiques rejettent les autres réécritures des Nuits comme des fantaisies indignes de l’attention des lecteurs d’hier et d’aujourd’hui. L’objet de cette étude est donc de souligner que, contrairement à ce qui est parfois soutenu, les différents auteurs qui reprennent Les Mille et Une Nuits se rejoignent sur l’usage qui peut être fait de l’œuvre comme un moyen d’affirmer, contre l’exigence didactique, la nécessité de la fiction plaisante et donc de justifier leur statut d’auteurs d’histoires inventées. Évanghélia Stead indique tout d’abord brièvement l’intérêt de la tradition littéraire de La Mille et Deuxième Nuit comme moyen de confrontation entre le vaste cycle des contes orientaux et la fiction occidentale qui se donne l’ambition de l’égaler en s’en inspirant. Puis elle attire l’attention sur l’inventivité du livret de Jules Verne, La Mille et Deuxième Nuit, conçu sur une musique d’Aristide Hignard, aujourd’hui perdue, en en proposant une étude articulée autour de plusieurs points : * le livret confirme l’analyse psychanalytique du récit-cadre des Nuits par Bettelheim mais l’infirme aussi ; en mettant à nu le mal d’un sultan toujours non guéri de son trauma à la fin des Nuits, Verne transfère subtilement le débat sur les rapports entre fiction et réalité et le problème de la création, auquel se confrontent Schahriar et Schéhérazade, deux personnages également malades et amnésiques ; *le dénouement insiste sur la polysémie du langage ; la question de la création de la fiction est au premier plan ; * il émane enfin de ce livret un portrait complexe et précoce de Schéhérazade, auteur dans la modernité par sa mainmise sur la réalité, sa science subtile de l’amour et du désir, son maniement du paradoxe. Verne utilise aussi symboliquement le jeu des échecs pour transposer la confrontation amoureuse, une scène que l’industrie cinématographique du xxe siècle privilégiera. L’auteur évalue en dernier lieu les dettes de Verne à l’égard de Gautier, son emprunt du titre, l’étrange suspension temporelle dans laquelle il installe l’opérette (Nuits closes et ouvertes à la fois), et le motif du livre des Nuits apporté au sultan, unique semble-t-il dans la tradition française à l’époque de cette petite création, assurément d’un intérêt particulier dans le corpus de La Mille et Deuxième Nuit. Cyrille François tente d’embrasser « le mythe de Schéhérazade » tel qu’il est présenté dans le Dictionnaire des mythes féminins de 2002, entrée remarquée de la sultane dans une entreprise de ce type et légitimation de son existence littéraire. L’article commence par ébaucher les contours du mythe littéraire de Schéhérazade à partir d’une approche critique de l’article « Schéhérazade » signé par Marie-France Rouart dans ce Dictionnaire, et fait apparaître la sollicitation importante de l’ouvrage de Hiam Aboul-Hussein et Charles Pellat, Chéhérazade, personnage littéraire, et les interprétations qu’elle entraîne. À partir de la lecture de ces deux études, l’article propose de se démarquer d’une lecture féministe trop systématique et de pointer les problèmes épistémologiques liés à la délimitation du corpus et à l’absence de distinction entre les différents types de réécritures. C’est aussi dans cette perspective « féminine » et/ou « féministe » que Christiane Chaulet Achour conclut cet ensemble en privilégiant un corpus de quatorze écrivaines contemporaines françaises, francophones ou traduites en français (cinq romancières algériennes, une Chilienne, une Égyptienne, quatre Françaises, une Italienne, une Syrienne et une Tunisienne), avec comme objectif d’interroger le « féminisme » affirmé de l’œuvre en le confrontant aux relations que ces écrivaines entretiennent avec le texte même, du devenir de la Sultane à l’emprunt de telle ou telle stratégie narrative et tel ou tel motif. Ce choix exclusif d’écrivaines tente de croiser le critère du genre avec des modalités de réécriture pour poursuivre une classification des modes de prolongement des Nuits, par clins d’œil, citations, reprises et transformations. Ces clins d’œil ou réécritures sont fortement indexés à l’actualité personnelle ou collective de l’écrivaine. Ces différents articles qui sollicitent des corpus très divers à partir d’une source commune manifestent trois convergences, chacun d’eux en illustrant au moins deux. La première est l’intérêt porté à l’œuvre d’Antoine Galland et la capacité qui fut la sienne de faire sortir les contes de leurs espaces privilégiés, indo-perso-arabes, et de permettre qu’ils influencent les créations en Occident. Seule la première contribution s’en démarque puisqu’elle travaille à une comparaison de L’Âne d’or d’Apulée et de versions arabes anciennes. La seconde convergence est l’interrogation de la figure de la sultane comme représentative de la féminité. Le travail sur les textes anciens vient ici s’inscrire en contradiction avec l’interprétation très prisée depuis le xixe siècle du « féminisme » de Shahrazade. Les xxe et xxie siècles semblent, eux aussi, nuancer cette lecture dominante. Ainsi son féminisme est apprécié avec distance critique : parmi les « ruses » des femmes, elle apparaîtrait comme la plus rusée ; parmi les motifs des Nuits, elle ne pourrait être isolée de son époux, de sa sœur et de toutes les histoires dont elle est la mémoire et la voix ; elle est un élément d’un ensemble qui ne peut être dissocié des autres, sous peine de perdre tout pouvoir d’influence. La dernière convergence est, enfin, celle de l’extraordinaire renouvel­lement des arcanes de la narration que les contes arabes ont développé chez les auteurs postérieurs à Galland : cette capacité de solliciter les imaginaires est, sans aucun doute, une des raisons de leur succès si pérenne. Les Mille et Une Nuits et les reprises légères ou profondes qui en sont faites disent le refus du renoncement à la fin de l’écriture : découvertes, lues, renaissantes et réécrites, elles continuent à être une figure forte de l’indissociabilité de la lecture et de l’écriture et des rapports féconds qu’entretiennent les cultures et les œuvres, en transgressant les frontières des ensembles littéraires « nationaux ». Abdelfattah Kilito, s’interrogeant sur l’art du récit que les Occidentaux attribuent aux Arabes, expose son expérience personnelle de retour aux Mille et Une Nuits. Il découvre alors que les médiateurs de ces relectures ne sont pas arabes mais français. Ce sont les écrivains de Zadig, Jacques le fataliste, Le Sopha, À la recherche du temps perdu ; ainsi que, durant les années soixante, l’explosion des analyses textuelles où le corpus des contes19 s’empare du corpus des Mille et Une Nuits20. Il constate aussi que l’autre part, arabe, de sa culture, n’est pas pour grand-chose dans cet intérêt. S’interrogeant donc sur cette fascination de l’Europe pour ce qu’elle considère comme le monument de la culture arabe, il prend conscience qu’il s’insère en réalité « dans une tradition européenne qui avait commencé avec Galland ; autrement dit, je me suis placé en dehors de la littérature arabe ». Et poussant plus loin ce qui apparaît comme un paradoxe, il pose une question qui prête à débat : « […] Les Nuits font-elles partie de cette littérature ? Il me semble qu’elle peut s’en passer, et en réalité elle s’en est bien passé21. » Le changement d’attitude vis-à-vis des Nuits date d’un peu plus d’un siècle mais sans qu’il y ait véritablement désignation d’un modèle qui provoquerait le renouvellement des formes littéraires : « Grâce aux Européens, les Arabes se sont un beau jour brusquement aperçus qu’ils possédaient un trésor dont ils ignoraient la valeur22. » Il affirme alors que la force des Nuits ne s’est pas encore véritablement exercée sur les auteurs arabes qui n’entretiennent pas avec le monument la même complicité qu’un Borgès ou qu’un Proust : « Force est de dire que ce livre a eu un impact bien plus grand en Europe que dans le monde arabe. Pourtant il est (ou devrait être) l’une des principales fiertés des Arabes. » Nos contributions corroborent en partie ces constats mais apportent un début de démenti à la superficialité que le monde arabe entretient aujourd’hui avec cette œuvre du passé. Christiane Chaulet Achour  
 
  1. Paul Hazard, La Crise de la conscience européenne (1680-1715), Paris, Boivin, 1935, 3 vol., t. II, p. 179 sq.
2. Les Nuits sont inscrites au programme de l’agrégation de Lettres modernes, en littérature comparée, à la fin des années 1980.
3. Edgard Weber (dir.), Les Mille et Une Nuits, contes sans frontière, Toulouse, Amam, 1995, actes du colloque de Toulouse de novembre 1993.
4. Jamel-Eddine Bencheikh, Les Mille et Une Nuits ou la Parole prisonnière, Paris, Gallimard/NRF, 1988 ; Jamel-Eddine Bencheikh, Claude Brémond et André Miquel, Mille et un contes de la nuit, Paris, Gallimard/NRF, « Bibliothèque des idées », 1991.
5. Les Mille et Une Nuits. Contes choisis, édition de Jamel-Eddine Bencheikh et André Miquel, Paris, Folio-Gallimard, 1991-2002,

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Collection Littérature Hors Frontière
Nombre de pages : 166
Langue : français
Paru le : 02/10/2012
EAN : 9782842923402
Première édition
CLIL : 3643 Essais littéraires
Illustration(s) : Non
Dimensions (Lxl) : 220×137 mm
Version papier
EAN : 9782842923402

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EAN : 9782842927684

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