Paris 8 - Université des créations

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Collection Littérature Hors Frontière
Nombre de pages : 484
Langue : français
Paru le : 02/10/2016
EAN : 9782842924560
Première édition
CLIL : 3638 Poésie contemporaine
Illustration(s) : Non
Dimensions (Lxl) : 220×137 mm
Version papier
EAN : 9782842924560

Version numérique
EAN : 9782842928858

Pour la poésie

Poètes de langue française (XXe-XXIe siècle)

Un état des lieux de la poésie de langue française aujourd’hui.
La poésie, cet « art du langage ». Qu’est-ce qu’être poète de langue française aujourd’hui ? français ou francophone, quelle influence viser ou atteindre dans l’espace public ? Quels sont ses modes de diffusion ? Telles sont les questions que pose (entre autre) cet ouvrage qui élargit le débat à tout le monde francophone (Europe, Québec, Antilles, Algérie, Afrique subsaharienne).

Avant-propos Corinne Blanchaud

Introduction Cyrille François

Première partie : Partages poétiques

Chapitre 1. Des filiations

La poésie,une parole d’archipel entre solitude et fraternité (en hommage à Tahar Djaout) Daniel Maximin

Le commencement dans la poésie d’Anne Hébert François Dumont

« Ya’Sin » (1996), un hommage poétique de Jamel Eddine Bencheikh à Kateb Yacine Christiane Chaulet-Achour

« Les espaces poétiques mitoyens de Robert Choquette et Rosaire Dion-Lévesque. » Delphine Rumeau

 

Chapitre 2. Singularités poétiques

Paysages de Nimrod dans Babel, Babylone : de la boue et de l’or Yaya Mountapmbémé P. Njoya

Au centre de nulle part : poésie de Mimy Kenet Pierre-Yves Soucy

Un guetteur sur la ligne de crête : Claude Esteban Corinne Blanchaud

 

Chapitre 3. Œuvre et création

Formuler, figurer. Le livre en dialogues, chiasme et déplacement Claude Ber et Pierre Dubrunquez,

Le travail de la baleine Jean Portante 

Deuxième partie : La poésie en situation

Chapitre 1. La poésie face aux événements

De la guerre civile au conflit de 2006 : une chronique poétique libanaise ? Blandine Valfort

« Speak white » de Michèle Lalonde. Gestes, postures et devenir d’une prise de parole. » Arnaud Maïsetti

Oralité et « désir de la voix vive » chez Gaston Miron et Gherasim Luca Violaine Houdart-Mérot,

Georges Henein : une poésie engagée dans l’Histoire Marc Kober

Hymne national, discordances politiques et résonances communautaires au Cameroun Bana Barka

 

Chapitre 2. La poésie objet d’une affirmation identitaire

Poésie africaine et écriture de l’Histoire Raphaël Ngwe

Quelques réflexions sur les propositions d’Aimé Césaire pour un nouvel art poétique nègre Marie Frémin

La poésie calédonienne, entre performances et recherche de solidarités Dominique Jouve

Écrire pour prendre la parole : situation de la poésie amérindienne francophone Jonathan Lamy-Beaupré

Poésie et édition au Cameroun : pour un regard ethnostylistique Jean-Marcel Essiene

Troisième partie : Modalités de diffusion et de réception

Chapitre 1. De l’édition professionnelle au journal étudiant et lycéen

L’image institutionnelle des Écrits des Forges Jacques Paquin

Poésie, vidéo et nouveaux modes de diffusion chez les poètes contemporains du Québec : les éditions de l’Écrou face aux nouvelles technologies Paul Fraisse

 La diffusion de la poésie estudiantine en France sous le regard des pratiques universitaires américaines Anne-Marie Petitjean

Le journal lycéen, un espace d’expression poétique Olivier Belin

Chapitre 2. De l’anthologie

Brièveté, anthologie et francophonie Nelson Charest

Le surréalisme en anthologie: un chant du cygne ? Pierre-Henri Kleiber

Chapitre 3. La poésie dans l’espace

Entretien avec Anne Slalik pour le site littéraire Encres vagabondes, juillet 2012 Brigitte Aubonnet

Poésie et espace public : lectures des mots, lectures des lieux Marc-André Bouillette

Bibliographie Index nominum et rerum Présentation des auteurs

Cet ouvrage répond à une problématique ambitieuse et rarement traitée : il confronte des œuvres poétiques contemporaines issues d’aires géographiques très diverses (Europe, Québec, Antilles, Algérie, Afrique subsaharienne), questionnant le partage de la langue française devenue langue poé- tique inspirée par des cultures et des réalités quotidiennes différentes. Il permet ainsi de rompre avec une vision trop souvent restrictive et purement hexagonale de la poésie de langue française. De plus, mettant au jour des poètes parfois peu connus, il tente de comprendre la vitalité et la force de résistance de la poésie dans un monde qui la marginalise.   Corinne Blanchaud est maître de conférences à l’Université de Cergy-Pontoise, et spécialiste de littérature de langue française. Cyrille François est enseignant de littérature et langue française à l’Université de Cergy-Pontoise. Ses travaux portent en particulier sur les francophonies littéraires.
Introduction Cyrille François La découverte de la variété des littératures francophones hors des grands centres a été suivie d’un effort de rapprochement des productions de poètes d’origines sociales et culturelles différentes mais partageant une même langue, que ce soit par choix ou par monolinguisme. Or le genre poétique a été essentiel dans la représentation de l’hospitalité linguistique, peut-être parce que, plus que dans les autres genres, il existe un rapport étroit, hypersensible, du poète à la – sa – langue et à la façon de la travailler, de la faire sonner, de la faire signifier ; parce que, dans ce genre, la conscience persiste des représentations produites par un usage de la langue et que s’y pose avec le plus d’acuité la question de la justesse du dire et d’une recherche du vivre et de l’être dans les profondeurs mystérieuses du langage. Mais c’est aussi parce que l’anthologie de poésie a été un médium majeur de la reconnaissance des poètes francophones et, d’abord, de ceux issus des colonies. Les anthologies de Blaise Cendrars1 en 1921, de Léon-Gontran Damas2 en 1947 et de Léopold Sédar Senghor3 en 1948 ont ainsi été pionnières dans la valorisation des auteurs ultramarins. Si l’anthologie de Senghor a connu un plus grand succès grâce à l’aval de Sartre et sa situation au cœur de la négritude, celle de Damas accomplissait une communion inouïe entre poètes français et ultramarins, rendant possible une coexistence, donc, une égalité de statut entre eux. Avant eux, en 1903, Iwan Fonsny et Jean-Joseph Van Dooren4 avaient déjà colligé des poèmes francophones venus d’horizons différents ; mais dans leur anthologie, l’assimilation au paradigme français était prégnante. Des années 1980 à aujourd’hui, la perspective internationale des anthologies s’est poursuivie – sans pour autant être majoritaire5. Attentives en particulier à la poésie publiée à partir de la deuxième moitié du xxe siècle, elles ont élargi la place accordée aux poètes hors de la sphère nationale, en particulier hexagonale. Grâce à elles, des écrivains de « nationalités » différentes se côtoient et offrent au lecteur habitué à la tradition patrimoniale une bibliothèque plus ouverte à des littératures et des productions considérées comme « mineures » du point de vue des centres éditoriaux et des scènes majeures où se joue la fortune des œuvres, quelles que soient leurs origines culturelles et géographiques. Par ailleurs, la circulation des anthologies axées sur un corpus « régional » n’est pas non plus à négliger, car elles sont les meilleurs ambassadeurs de certaines littératures en déficit de visibilité6. Du côté des ouvrages universitaires, les approches synthétiques ou comparatistes et les dictionnaires restent peu nombreux, en raison peut-être de la faveur accordée aux auteurs reconnus, légitimés par la tradition académique et l’institution littéraire dans son ensemble7. Certaines synthèses, comme celle réalisée par Bernard Lecherbonnier pour le surréalisme8, amènent à reconsidérer l’histoire littéraire nationale et la centralité monolithique de la norme française. Les anthologies et les études concourent elles aussi à la reconnaissance de la pluralité francophone, au même titre que les déclarations d’écrivains. Ils conduisent de la sorte à une même reconfiguration de l’équivalence langue-espace. Cette internationalisation francophone des anthologies et des études universitaires manifeste la résistance à l’équivalence langue-culture-nation. La place accordée aux littératures non hexagonales tend à rendre compte de l’affranchissement du mimétisme exotique et de ses canons, qui a marqué la colonisation, sans pour autant que le fil soit coupé. Selon les cas, on observera comment l’émancipation s’est réalisée historiquement. Dans ce partage d’une langue, de nouvelles directions d’influence s’avouent à rebours des grands modèles et des centres traditionnels, des filiations hétérogènes se nouent et complexifient l’idée d’appartenance littéraire. Cette communion au sein de la langue française « hospitalière » a cependant pour inconvénient de dissimuler des tensions créatrices relatives à l’idéologie de la langue et à ses implications culturelles et politiques, dans la mesure où, comme le rappelle Pascale Casanova, « [l]es rapports de force littéraires passent ainsi, pour une part, à travers des rapports de force politiques9. » Dans bien des cas, le choix ou la contrainte d’une langue d’écriture ne sont pas gratuites, tout comme la genèse d’un style dès lors qu’on ne le ramène pas seulement à l’expression singulière, originale, du Moi. « [C]omme la langue n’est pas un outil littérairement autonome, mais un instrument toujours déjà politique, c’est, paradoxalement, par la langue que l’univers littéraire reste soumis à des dépendances politiques. C’est pourquoi les formes de domination, en quelque sorte “emboîtées” les unes dans les autres, tendent à se superposer, se mêler, se cacher les unes avec les autres. Les espaces dominés littérairement peuvent aussi l’être, et de façon inséparable, linguistiquement et politiquement10. » De plus, ces tensions de l’univers littéraire recouvrent les différences de représentations, de connotations, de codes, donc de réception liées à l’usage de la langue française et de ses « variantes », auquel est confronté tout poète. C’est pourquoi les contributions de cet ouvrage tracent plusieurs situations de la poésie, aux coordonnées variables, déterminées, on l’a dit, par le rapport à la langue, les conditions de production et de réception, l’implication sociale ou la marginalisation, la culture investie, les modèles choisis, la quête engagée. Ce faisant, elles nous font voir une politique de la poésie, nécessaire à la vie en communauté, elle-même construite par des solidarités d’écriture et de lecture dans le partage de la langue française et de ses inflexions. Partages poétiques Pour commencer, Daniel Maximin, prenant l’exemple des ren­contres intellectuelles et artistiques à la librairie-éditeur Présence Africaine dans les années 1960 à Paris, fait valoir l’ouverture aux « voix » et « chemins » du monde que chaque poète mène pour participer aux luttes communes ou être solidaire de la condition des autres poètes et des autres hommes. Pour les poètes issus des Antilles et d’Afrique, la culture, c’est-à-dire en l’occurrence la poésie, était le viatique essentiel à la libération des individus et des peuples. Quand les rencontres entre les poètes ne sont pas possibles, c’est l’anthologie qui fédère, met en partage et en dialogue. Maximin prend en exemple les anthologies pionnières de Léon Gontran Damas et de Léopold Sédar Senghor pour montrer comment la libération politique passe par la libération des modèles imposés, l’affirmation de soi, de son intégrité, par l’appropriation d’éléments culturels divers. Dans la mesure où le poète est celui qui veut échapper à tout enfermement et se bat pour la liberté, la rencontre de l’autre lui est essentielle car elle est la condition de l’enrichissement linguistique, culturel, humain et de l’abolition des barrières. Plusieurs contributions traitent de la position du poète « solitaire et solidaire » par rapport à une conscience collective, prin­cipalement au Québec et en Afrique. L’œuvre poétique d’Anne Hébert, que présente François Dumont, donne un exemple du surgissement d’une voix indépendante à partir de l’accomplissement d’une conscience collective. Pour la poétesse, il s’agit d’interroger par la poésie le commencement puis d’envisager les fins. Elle épouse le mouvement de plusieurs poètes québécois des années 1960, unissant un « nous » au pays tout en s’en émancipant au travers d’une voix singulière, consciente de son humilité, et mettant en doute l’idéal mythique des débuts. Son passage d’une poésie puisant au sacré de l’ascétisme prosodique ou du verset vers la fiction narrative épouse, là encore, l’évolution de la littérature québécoise de l’invention d’un commencement vers celle des devenirs. Assumant des filiations hétérogènes, certains poètes, comme Jamel-Eddine Bencheikh, réinventent des modèles en marge des canons des grandes littératures qu’ils côtoient – la française et l’arabe dans le cas cité. Dans le poème en hommage à Kateb Yacine qu’étudie Christiane Chaulet Achour, la menace que représente la libération des dogmes par la poésie, s’applique à la relecture du Coran mis en dialogue par les poèmes de Kateb et le verset de Bencheikh. Entre légitimité et perturbation des discours, intimité et étrangeté, les versets de Bencheikh relient une relecture du Coran et celle de l’ « aîné » ou de l’ « ancêtre » littéraire profane qu’il s’est choisi. À travers la proximité entre les deux poètes et le Coran, comme les deux branches sacrée et profane, arabophone et francophone, de la culture algérienne, la poésie de Bencheikh affronte la violence exercée dans la langue et par le terrorisme pour penser le présent et le devenir de l’Algérie divisée par la guerre. Autre émancipation encore dans un autre contexte : au moment où, au xixe siècle, la littérature canadienne française réfléchissait à ses conditions d’existence et d’autonomie par rapport à la littérature française, deux écrivains canadiens, Robert Choquette et Rosaire Dion-Lévêque, que compare Delphine Rumeau, ont mélangé les modèles génériques, formels et thématiques américains et français. Le premier s’est émancipé de la tradition française par l’influence de Walt Whitman dont il escamote pourtant la dimension américaine pour en faire un prophète. Sa poétique manifeste une ouverture au pays passant par l’emploi d’un vers libéré puis par un repli vers des formes et thématiques françaises ou apparentées. Le second, Dion-Lévesque, emprunte la direction inverse, d’une inspiration catholique vers l’américanité et une écriture plus libre. Mountapmbémé P. Njoya, s’attachant à l’étude du recueil Babel, Babylone de Nimrod publié en 2010, montre la singularité d’une poésie qui actualise un pays doublement métissé au niveau temporel et géographique. Temporel, parce que le poète convoque parallèlement, dans ce recueil, l’horreur du paysage urbain au Tchad – dans la capitale N’djamena – et la beauté du village d’enfance et de ses environs. Géographique, parce qu’à cette évocation du pays natal répond celle du Nord, du pays picard où le poète en exil a trouvé refuge. L’actualisation du paysage intérieur consiste à inscrire dans la dynamique valorisante du paysage rêvé tout pays, y compris la capitale souillée, dans l’espoir d’une métamorphose. Par la création poétique d’un dialogue ou d’une géographie littéraires, le poète concilie différents lieux – de parole, d’être – géographiques, culturels et politiques. La situation du poète épouse un itinéraire à travers les frontières idéologiques, géographiques et imaginaires. Pierre-Yves Soucy dresse un bilan de l’œuvre de Mimy Kinet, qui fait partie des poètes méconnus malgré une œuvre impressionnante, non par l’accumulation des recueils publiés mais par la délicatesse et l’engagement d’existence dans l’écriture. Cette œuvre, de « plain-pied » dans son temps, constitue un témoignage des terres restées inexplorées des productions littéraires de langue française. C’est une œuvre excédant les frontières d’un champ litté­raire artificiel, détachée des modes, des bornes institutionnelles et des débats identitaires, avec le monde pour seul horizon. En écho, Corinne Blanchaud présente « l’expérience trans­cendante du langage » de Claude Esteban. Le poète, né d’un père espagnol et d’une mère française, initie son expérience poétique à Tanger par un retour « aux choses » afin de se désaliéner de l’érudition scolaire et universitaire. Ce retour rend aux mots la consistance des corps, à la matière la sensualité. Pour clore cette première partie, trois créateurs témoignent de leurs partages poétiques au travers des langages et des langues : entre la poésie et les arts plastiques pour les voix croisées de Claude Ber et Pierre Dubrunquez, entre les langues pour Jean Portante. La poésie en situation L’engagement politique de la poésie peut tenir d’abord à sa volonté de nommer la violence. Faisant le point sur l’écriture, par les poètes libanais, des trente-cinq jours de conflit armé que le Liban a connu en 2006, Blandine Valfort repère et analyse les modalités de la prise en charge de l’événement et son empiètement sur le quotidien. Par un réalisme trivial ou, au contraire, la non-adhésion au réalisme, par le croisement des temporalités et les jeux de mots, une parole concentrée à faire voir une humanité qui dure se fait poésie et déjoue au moyen de ses ressources propres les cris et la destruction imposées par la guerre. Au travers des conflits politiques et culturels est en jeu l’existence d’une parole individuelle et collective et, à travers elle, celle de la langue. Lors de la Révolution tranquille, la lutte pour la langue française est un lieu central du combat pour l’identité collective des Canadiens français. L’écriture poétique défend la langue inhérente à l’histoire d’un peuple dominé, « colonisé » et en manque de parole et d’audience ; elle s’engage pour la désaliénation culturelle. Présenté par Arnaud Maïsetti, le poème « Speak White » de Michèle Lalonde, écrit en 1968, est devenu l’un des emblèmes de cette lutte contre l’aliénation sociale et culturelle. Il condense la parole d’une collectivité en mal de langue et d’être qu’il amène à reconnaissance, jusqu’au moment où ce militantisme entraîne la défiance d’écrivains des générations ultérieures, attachés à redéfinir la langue québécoise. Les relectures de « Speak White » sont révélatrices de l’engage­ment de la langue poétique dans la formulation et la transformation d’une conscience collective ou, au contraire, dans la rupture avec celle-ci. Violaine Houdart-Merot illustre cette fonction politique de la profération en mettant face à face deux poètes dont les œuvres écrites se réalisent dans un rapport dialectique avec l’oralité : Gaston Miron, qui, à la tête de l’Hexagone, œuvre à repoétiser la langue pour donner une voix au pays et au peuple québécois ; et Ghérasim Luca, dont la parole proférée bouleverse les mécaniques de la langue et exprime la position d’apatride du poète. En démantelant la langue depuis une extériorité et une solitude radicales, il évite la difficile conciliation de la transformation poétique et de l’action politique éprouvée par Miron et, d’une autre manière, par Georges Henein. À travers la confrontation de ces deux poètes performeurs, l’auteure tente également de dégager les contours et les enjeux de cette notion ambiguë d’oralité poétique, qui prend une importance accrue dans la poésie contemporaine. Georges Henein, présenté par Marc Kober, défendit un temps des idéaux révolutionnaires sans néanmoins faire de sa poésie un moyen de propagande. Entre les deux guerres mondiales, il sut s’impliquer poétiquement dans le champ politique et idéologique tout en refusant une écriture partisane. Son allégeance au surréalisme puis son choix d’un « hermétisme rebelle » correspondent tout à fait à cette position consacrant l’indépendance de l’art mais se donnant pour mission de critiquer la société bourgeoise et de par­ticiper « au drame collectif ». À l’opposé de la valorisation de la poésie conçue comme parole libre et subversive, il arrive que le poète la rende partisane, au service de l’institution politique. C’est ce qu’expose Bana Barka à travers les polémiques relatives à la réception de l’hymne national camerounais. Il montre combien un poème peut être, dès sa genèse et en raison de sa destination, déterminé politiquement au point de se trouver au cœur de tensions nationales et érigé en objet patrimonial et patriotique en fonction des situations politiques et culturelles. Cet exemple nous donne à réfléchir sur ce que peut être l’intention poétique. Dans ces conditions, le poète cherche un consensus entre l’écriture dans la langue de l’ancien colonisateur, avec ses avantages de visibilité, et l’acquisition d’éléments cul­turels, l’appropriation de références endogènes, voire la recherche d’authenticité, tout aussi nécessaire à la « vérité » de la poésie et à la légitimité de l’auteur et de son œuvre. La poésie objet d’une affirmation identitaire Au Cameroun toujours, les exemples choisis par Raphaël Ngwe témoignent du rôle de la poésie en tant qu’arme d’émancipation et d’affirmation d’abord, puis de critique des régimes politiques. La poésie d’Afrique subsaharienne s’est déployée sous l’influence des idéologies apparues d’abord chez les poètes de la Harlem-renaissance puis du mouvement de la négritude. De Senghor et Césaire à leurs épigones, elle s’est développée selon une trajectoire de résistance à la mainmise du monde occidental d’abord, puis, aujourd’hui, à la corruption politique de la démocratie. Transformer la langue pour transformer le monde, c’est-à-dire d’abord son monde (national, culturel, social), suppose l’adé­quation d’une poétique et d’une expérience culturelle définie par le rapport à l’Autre. En ce sens, Marie Frémin fait le point sur la réflexion d’Aimé Césaire concernant un art poétique nègre, en dialogue avec René Depestre et en réaction aux propositions de Louis Aragon sur l’art poétique français. Cet art poétique prend ses distances tant par rapport au surréalisme qu’à une poésie à vocation nationale revendiquée par Louis Aragon sur les bases de l’héritage formel des siècles antérieurs. Aimé Césaire, en provoquant le débat et prônant la liberté formelle qu’il inscrit dans l’histoire de la libération de l’esclavage, a permis aux poètes antillais et caribéens – parallèlement aux propositions faites par ailleurs en Haïti pour le roman autour de Jacques Stephen Alexis – de penser et tracer une voie de création en adéquation avec leur identité. La réappropriation de traditions culturelles régionales, ou fortement identitaires, fait de la langue française un moyen de diffusion transnational et un lieu de partage culturel. Les panoramas dressés par Dominique Jouve et Jonathan Lamy-Beaupré, respectivement pour la Nouvelle-Calédonie et les Amérindiens, mettent tous deux en évidence le rôle de la performance pour la survivance ou la reconnaissance de ce que François Paré nomme une « littérature de l’exiguïté11 ». En Nouvelle-Calédonie, la poésie-performance, associant danses traditionnelle et contemporaine, textes chantés et déclamés, assure une visibilité au poète : le spec­tacle accomplit l’accord et la fusion de l’oralité traditionnelle endogène et de l’oralité contemporaine pour un public qui n’irait pas nécessairement à la rencontre des textes. Pour la constitution récente d’une littérature amérindienne en langue française, l’inté­rêt, similaire, est encore plus grand : la performance fait entendre la voix d’une culture silencieuse et menacée par l’oubli au moyen d’une langue de communication qui pallie le déficit de locuteurs de la langue ancestrale. De la Nouvelle-Calédonie au Canada, les formes du poème évoluent pour servir une même cause : la revendication d’une langue et d’une culture, la voix d’un peuple. Accompagnée ou non de musique et de danse, la performance dévoile la portée politique de la poésie. Sa présence sur scène la rend audible en tant que création et en tant qu’expression identitaire d’un groupe social et/ou culturel. Cette évolution générale s’applique tout à fait à la poésie camerounaise. Jean-Marcel Essiene y observe, d’une part, l’influence de la colonisation puis de la négritude et, d’autre part, les relations entre enjeux esthétiques et éditoriaux. Passée l’indépendance, l’émancipation du modèle français conduit les poètes à intégrer la culture « autochtone » et, progressivement, à participer à un projet nationaliste avant que, dans les années 1990, la diversification des thèmes et le lyrisme ne reprennent de l’importance. Par-delà les étapes schématiques, on aperçoit l’oscillation complexe du discours poétique entre engagement nationaliste, démarcation critique et autonomie artistique, entre recherche d’une utopique « authenticité culturelle » et métissage des influences, qui a prévalu tout au long de la seconde moitié du xxe siècle en Afrique, dans le monde arabophone et aux Amériques. Modalités de diffusion et de réception Marginalisée, se sentant souvent menacée, la création poétique est confrontée à l’institution, économique, académique, scolaire, par rapport à laquelle elle se positionne, tantôt profitant des moyens de diffusion et de consécration disponibles, tout coûteux soient-ils, tantôt se tenant à distance, ou même se plaçant en porte-à-faux. Les stratégies institutionnelles ne sont pas du seul ressort des auteurs, loin de là. Elles relèvent d’abord du choix des éditeurs et, donc, des politiques éditoriales, définissant quelles voix interviendront dans l’espace public et comment. Les Écrits des Forges, maison d’édition présentée par Jacques Paquin, illustrent sur une large période le travail d’édition en marge des grandes instances de consécration, en raison du manque de soutien et du choix d’une ligne éditoriale éloignée de l’attrait des noms et frayant avec la contre-culture. Malgré une réception inégale, parfois défiante, la maison a su gagner une place importante dans le milieu éditorial. Quant aux éditions de l’Écrou, « mineures » dans le champ littéraire, elles profitent pleinement des ressources offertes par les nouvelles technologies afin de valoriser les auteurs, répondre à une esthétique liée à la contre-culture et élargir les possibilités poétiques, en associant à l’ouvrage papier l’incitation à la performance et sa capture pour diffusion. Selon la présentation de Paul Fraisse, la vidéo, dans le cas des performances, sert à « faire parler des œuvres autrement » et devient un média à part entière de diffusion du poème. Sans faire disparaître le livre ni la poésie, les supports sur vidéo et internet permettent la démocratisation du support numérique en attirant de nouveaux lecteurs et en s’adaptant aux attentes du public. En outre, ses « virtualités » créatrices ne sont pas ignorées par les créateurs et acteurs du champ littéraire. Dans les lieux institutionnels que sont l’école et l’université se côtoient la défiance envers l’académisme et l’adhésion naïve aux normes. Des pratiques créatrices, amatrices, tentent ici et là d’émerger à travers les journaux de classe ou d’établissement, lieux de diffusion pour les élèves et les étudiants qui découvrent l’écriture poétique. Or, c’est là qu’un des devenirs de la poésie se décide et là aussi que se pose d’emblée la question de la relation entre les acteurs du milieu littéraire et l’institution scolaire et universitaire. Afin de mettre en perspective cette relation, l’enquête d’AMarie Petitjean confronte les deux modèles américain et français et laisse entrevoir des conséquences toutes différentes. Aux États-Unis, comme au Canada, la formation universitaire entretient un lien étroit entre l’institution universitaire et la création. Outre la sensibilisation et l’impulsion créatrice, les cours de creative writing permettent l’intégration à un réseau, la participation à des prix littéraires et aux revues littéraires présentes sur les campus. À l’inverse, en France, l’université n’a pas pour mission de former à l’écriture et manque donc de formation spécialisée. Seuls les ateliers d’écriture instaurent au sein de l’institution universita

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